L'histoire du Bouledogue Français

La genèse du Bouledogue Français

Bien qu’il soit originaire de France, c’est au Royaume-Uni que commence l’histoire du Bouledogue Français.

 

Depuis le 13ème siècle, les Britanniques utilisaient des molosses locaux dans des combats contre – entre autres – des taureaux. C’est ce qui explique qu’on appela ces chiens des Bulldogs (« bull » signifie « taureau » en anglais). Très populaire, cette pratique s’étendit au fil du temps à d’autres pays européens.

  

Elle finit toutefois par être interdite un peu partout en Europe dans la première moitié du 19ème siècle, et il fallut alors trouver un autre emploi au Bulldog Anglais. On procéda donc à des croisements avec le Carlin ainsi qu’avec différentes races de terriers, en vue de réduire sa taille. On obtint ainsi un chien de compagnie et de garde appelé Toy Bulldog (Bouledogue Miniature), qui devint vite très populaire au Royaume-Uni dans les années 1850.

 

Les circonstances de l’arrivée du Toy Bulldog en France ne sont pas connues précisément, mais deux hypothèses ressortent comme étant les plus plausibles.

 

La première soutient que des clients français des dentellières de Nottingham (dans le centre-est de l’Angleterre) auraient découvert ce chien en passant commande sur place, et l’auraient ramené en France.

 

La seconde hypothèse (qui est aussi la plus probable) est que ces mêmes dentellières, voyant leurs emplois menacés par la Révolution Industrielle et l’avènement des machines dans le domaine du textile, émigrèrent dans la deuxième moitié du 19ème siècle avec leurs Toy Bulldogs vers les régions françaises où leur activité se maintenait - essentiellement le nord du pays, la Bretagne et la Normandie.

 

Quoi qu’il en soit, ce chien devint rapidement populaire dans ces territoires, tant auprès de la classe ouvrière que de la haute société. Il conquit aussi bientôt Paris, où on le trouvait employé tant comme animal de compagnie que pour chasser les rats. 

 

Ce fut d’ailleurs dans les quartiers populaires de la capitale que furent entrepris dans les années 1880 les croisements qui aboutirent à la création du Bouledogue Français actuel.

 

Comme ces travaux n’ont pas été documentés, on ne sait pas quelles races exactement furent croisées avec le Toy Bulldog. Il semble probable toutefois qu’on ait utilisé des races brachycéphales, c’est-à-dire au crâne large et plat, au museau « écrasé » et au nez court. Néanmoins, il y eut certainement aussi d’autres contributions : par exemple, les oreilles droites du Bouledogue Français ne sont un héritage génétique ni du Toy Bulldog, ni d’une autre race brachycéphale.

 

Quoi qu’il en soit, la première mention de ces oreilles chez certains individus (tandis que d’autres en revanche continuaient à arborer des oreilles repliées vers l’arrière, comme celles du Toy Bulldog) remonte à la fin du 19ème siècle. Dès cette époque, l’apparence physique du Bouledogue Français était considérée comme fixée, et on admettait les deux formes d’oreilles.

 

Dès sa création dans les années 1880, celui qui était alors nommé Boule-Dog Français était utilisé comme chien de travail. Ainsi, son rôle principal était de chasser les rats et de garder les entrepôts ainsi que les écuries – il devint d’ailleurs vite populaire auprès des bouchers et des marchands de vin parisiens. Toutefois, les prostituées et les mauvais garçons des bas quartiers l’employaient aussi pour leur protection.

 

Il acquit aussi rapidement le statut d’animal de compagnie, d’abord dans les quartiers populaires de la capitale – et notamment auprès des prostituées, comme le montrent de nombreuses cartes postales érotiques du début du 20ème siècle. Dans un second temps, il conquit également le cœur des classes sociales supérieures parisiennes, accompagnant artistes, bourgeois et même nobles. 

 

Sa notoriété ne tarda pas à gagner le reste de l’Hexagone, grâce notamment au succès qu’il remporta en 1887 lors de sa première participation à une exposition canine, organisée en l’occurrence dans la capitale, où il concourut en tant que variété du Toy Bulldog. Il se diffusa alors rapidement à travers le pays et devint l’un des animaux de compagnie préférés des Français, toutes classes sociales confondues. 

 

Sa popularité était telle qu’un premier club de race, le Bouledogue-Club Français, vit le jour en 1885, et que la Société Centrale Canine (SCC), fondée en 1881 et qui est aujourd’hui encore l’organisme cynologique de référence du pays, reconnut officiellement la race dès 1898. Un standard de race fut publié dès cette année-là, dont celui en vigueur aujourd’hui demeure très proche : les caractéristiques du Bouledogue Français étaient déjà fixées pour l’essentiel, à l’exception de la forme de ses oreilles. En effet, il était jusqu’alors susceptible d’arborer soit des oreilles droites, soit des oreilles en rose comme celle du Bulldog Anglais. Le standard de 1898 trancha ce point, en acceptant uniquement les premières – qui étaient celles que les amateurs de la race en France préféraient. De ce fait, on peut dire que la race telle qu’on la connaît actuellement, c’est-à-dire notamment pourvue exclusivement de ces fameuses oreilles droites, remonte au début du 20ème siècle – soit une trentaine d’années après le début des croisements et sélections qui permirent sa création.

 

Les deux guerres mondiales qui marquèrent la première moitié du 20ème siècle ainsi que la crise économique des années 30 mirent le Bouledogue Français en péril, comme du reste de nombreuses autres races. Cependant, grâce au travail de quelques éleveurs européens et américains qui ne ménagèrent pas leurs efforts pour qu’il survive, il parvint à continuer d’exister. Il finit même par voir sa popularité exploser dans différents pays à partir des années 80.

La diffusion internationale du Bouledogue Français

En Grande-Bretagne

 

On sait que le Bouledogue Français fut introduit au Royaume-Uni à la fin du 19ème siècle, et y fit alors polémique.

 

En effet, arguant du fait qu’il était issu d’une race anglaise, les puristes britanniques n’acceptaient ni le qualificatif « Français » faisant partie intégrante de son nom, ni la préférence pour les oreilles droites au détriment de celles en rose qui avait été officialisée en 1898 lors de la reconnaissance de la race par la Société Centrale Canine française (SCC) et la publication d’un premier standard. Il fut donc d’abord globalement ignoré par le monde cynophile britannique, alors même qu’il avait du succès auprès de la population.

 

Un club de race y vit néanmoins le jour en 1902, le French Bulldog Club of England, qui travailla à valoriser la race auprès des cynophiles, avec toutefois une préférence affichée pour les oreilles en rose qui rappelaient son ascendance britannique.  

 

Dans le reste de l’Europe

 

On ignore à peu près tout de la diffusion du Bouledogue Français dans les pays d’Europe autres que la France et le Royaume-Uni. On peut toutefois penser que sa grande popularité dans l’Hexagone – et un certain effet de mode dû à son succès auprès des riches Parisiens – attisa très tôt la curiosité des amoureux de la gent canine originaires du reste du continent, et que certains en adoptèrent en France pour les ramener dans leur pays. Sa reconnaissance officielle par la Société Centrale Canine française (SCC) dès 1898 joua aussi certainement un rôle dans sa diffusion, au même titre d’ailleurs que le succès qu’il remportait dans diverses expositions canines.

 

En tout état de cause, le Bouledogue Français se diffusa même très loin de ses terres natales. En particulier, après la Seconde Guerre mondiale, des éleveurs australiens développèrent une lignée parallèle à partir de sujets importés du Royaume-Uni. Il se dit d’ailleurs qu’on leur doit son surnom affectueux « Frenchie », qui ne tarda pas à se répandre dans les pays anglo-saxons.

 

En Amérique du Nord

 

Les circonstances exactes de la diffusion du Bouledogue Français au Canada ne sont pas connues. Toutefois, au vu des liens entre la France et le Québec, on peut penser qu’il fit son entrée dans le pays via la Belle Province. Une autre possibilité est que les Canadiens découvrirent ce chien par l’intermédiaire des États-Unis, où il s’implanta rapidement.

 

En effet, il y fut introduit dès la fin du 19ème siècle, probablement ramené par de riches touristes américains désireux de suivre la mode parisienne. Il devint vite populaire auprès des classes sociales supérieures, qui n’hésitaient pas à dépenser des fortunes pour en importer : au début du 20ème siècle, acquérir un représentant de cette race coûtait autour de 3000 dollars américains, soit l’équivalent d’environ 35.000 dollars actuellement.

 

Là aussi, la question des oreilles ne tarda pas à faire polémique. En effet, alors que les Britanniques favorisaient les oreilles repliées vers l’arrière (dites « en rose »), les Américains préféraient à l’instar des Français qu’elles soient droites (les nommant « de chauve-souris »). Ce désaccord amena la création en 1897 d’un club de race, le French Bull Dog Club of America (FBDCA), qui d’ailleurs existe encore de nos jours : il préconisa d’emblée de privilégier les oreilles droites, et la race fut effectivement développée dans cette direction de la fin du 19ème siècle au début du 20ème.

 

Toujours en 1897, des Bouledogues Français furent présentés pour la première fois au Westminster Kennel Club Dog Show, prestigieuse exposition canine qui se déroulait alors chaque année à New York. Toutefois, l’ensemble des spécimens en question arboraient des oreilles repliées en rose. Le FBDCA retira immédiatement son soutien au Westminster Kennel Club et organisa dès l’année suivante (soit en 1898) sa propre exposition, qui se tint dans le luxueux hôtel Waldorf-Astoria de New York, en présence de nombreuses personnalités. Bien sûr, tous les chiens qui y furent présentés possédaient des oreilles droites.

 

Cette manifestation bénéficia d’une importante couverture médiatique et remporta un grand succès, qui fut décisif pour le Bouledogue Français. En effet, quelques mois plus tard, l’American Kennel Club (AKC) décida de reconnaître la race et publia un premier standard officiel - qui n’acceptait d’ailleurs que les oreilles droites.

 

Cette reconnaissance fit qu’il perdit son statut de « chien de riches » et se diffusa dans l’ensemble de la population américaine.

 

Il jouit ainsi d’une grande popularité aux États-Unis jusqu’à la Première Guerre mondiale – au point d’ailleurs que pas moins de 100 spécimens furent présentés à l’édition 1913 du Westminster Kennel Club Dog Show.

 

Les choses se compliquèrent par la suite, sous l’effet cumulé du conflit, de la dépression des années 30 puis de la Seconde Guerre mondiale. L’intérêt suscité par cette race diminua fortement, au point d’ailleurs que son avenir finit par être menacé – tant sur le sol américain qu’ailleurs, au demeurant.

 

Cependant, grâce au travail de quelques éleveurs américains et européens, le Bouledogue Français parvint à survivre. Depuis les années 80, il est même redevenu très populaire aux États-Unis. Mieux : en 2022, il devint carrément la race la plus adoptée dans le pays, mettant fin à 31 années de règne sans partage du Labrador Retriever.

La reconnaissance du Bouledogue Français par les organismes officiels

La Société Centrale Canine (SCC) française et l’American Kennel Club (AKC) furent les premiers organismes cynologiques de référence à reconnaître le Bouledogue Français, dès 1898. Dans la mesure où cette race fut développée en France, c’est assez logique pour ce qui concerne la SCC. En revanche, le fait que l’AKC franchisse le pas aussi rapidement montre bien combien celle-ci ne tarda pas à devenir populaire aux États-Unis.

 

Le Kennel Club britannique (KC) leur emboita le pas en 1906, suivi de peu par le Club Canin Canadien (CCC), qui fit de même en 1907.

 

La Fédération Cynologique Internationale (FCI), qui fut créée en 1911 et dont sont membres les organismes nationaux d’une centaine de pays (dont la SCC française, la Société Royale Saint-Hubert belge et la Société Cynologique Suisse), mit quant à elle nettement plus de temps à reconnaître le Bouledogue Français, puisqu’elle ne le fit qu’en 1956.

 

Le second organisme de référence des États-Unis, le United Kennel Club (UKC), fut lui aussi assez tardif : il attendit 1965.