L'histoire du Cavalier King Charles Spaniel

La genèse du Cavalier King Charles Spaniel

Le Cavalier King Charles Spaniel ne fut créé qu’au 20ème siècle, mais ses origines remontent à une époque bien plus lointaine. En effet, il descend d’une version naine de l’épagneul, dont l’histoire exacte est inconnue mais qui apparut au Moyen Âge en Europe de l’Ouest, et qu’on appelait alors « Consolateur » ou encore « Épagneul doux ». On sait également qu’il arriva en Angleterre sous le règne de Marie Ière (ou Marie Tudor, 1516-1558). 

 

Entre le 15ème et le 18ème siècle, ce petit épagneul était le chien de chasse et de compagnie le plus répandu dans les cours et auprès de la noblesse européennes. Au fil du temps, sa taille fut réduite et il perdit son statut de chasseur au profit de celui de compagnon domestique. Il était si apprécié dans ce rôle qu’il était très souvent représenté dans les tableaux, posant aux côtés – voire sur les genoux – d’illustres maîtresses et maîtres. 

 

Bien qu’il fût présent un peu partout en Europe, ce fut dans l’Angleterre du 17ème siècle qu’il acquit véritablement ses lettres de noblesse. En effet, le roi Charles Ier (1600-1649), et plus encore son fils le roi Charles II (1630-1685), affectionnaient particulièrement ce chien, au point qu’ils ne se séparaient que rarement de leurs protégés. De nombreux tableaux de l’époque sont d’ailleurs là pour en témoigner, mettant en scène des épagneuls nains autour des deux monarques.

 

Charles II éprouvait un tel amour pour ses compagnons à quatre pattes que des récits de l’époque narrent qu’il faisait installer dans sa propre chambre les femelles venant de mettre bas ou sur le point de le faire, et qu’il était toujours accompagné de plusieurs épagneuls, où qu’il aille. Il promulgua même un décret autorisant leur présence dans tous les lieux publics, y compris dans l’enceinte du Parlement, où tout animal était jusqu’alors interdit. Cela lui attira d’ailleurs des critiques, d’aucuns jugeant cela quelque peu outrancier. 

 

En tout cas, ce fut sous le règne de Charles II et en son honneur qu’on se mit à nommer ce chien King Charles Spaniel ou King Charles Dog. C’est d’ailleurs sous cette appellation qu’il est répertorié dans le Systema Naturae, un ouvrage de classification de la nature selon le principe des trois règnes (animal, végétal et minéral) écrit en 1735 par le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778). 

 

À la mort de Charles II en 1685, son frère lui succéda sous le nom de Jacques II (1633-1701). Sans aller aussi loin en la matière que son aîné, lui aussi appréciait beaucoup cette race et vivait entouré de King Charles Spaniels. 

 

C’était également le cas du colonel John Churchill (1650-1722), premier duc de Marlborough, qui développa une lignée blanche et châtain – la robe la plus courante à l’époque. On suppose que ses chiens étaient alors plus grands que la moyenne, car il les utilisait aussi pour la chasse. Ils étaient élevés dans son palais de Blenheim, situé dans l’Oxfordshire (sud-est de l’Angleterre), ce qui explique le nom de « blenheim » qu’aujourd’hui encore on donne aux Cavalier King Charles dotés de cette robe.

 

L’histoire du blenheim fut pendant des siècles intimement liée à la famille ducale, qui poursuivit l’élevage génération après génération. Il existe même une légende qui entend expliquer l’origine de la marque châtain au milieu du crâne dont il est souhaitable qu’un spécimen blenheim soit doté. Souvent appelée « empreinte du pouce de la duchesse », elle viendrait de l’épouse du premier duc. En effet, selon cette légende prenant place en 1705, la duchesse attendait alors anxieusement des nouvelles de son époux parti guerroyer à Blenheim, en Bavière (dont il revint au final victorieux, donnant ce nom à son palais en référence à ce succès). Inquiète, elle frottait nerveusement son pouce sur la tête de sa chienne gestante. Lorsque cette dernière mit bas, les petits portaient une tache châtain au même endroit.

 

Qu’il arborât ou pas la robe blenheim (qui était déjà la plus répandue à l’époque), le King Charles Spaniel resta le favori de l’élite britannique jusqu’au début du 18ème siècle. Toutefois, il tomba en disgrâce à la chute de la lignée des Stuart en 1714, et fut ensuite remplacé par la race favorite des Tudor : le Carlin

 

Il ne disparut pas pour autant, mais se transforma de façon radicale en se mettant à arborer une face plus plate, un nez plus court ainsi que des yeux plus grands et proéminents. La manière d’aboutir à ces changements n’ayant pas été documentée, on ne peut qu’émettre des hypothèses : les plus vraisemblables sont soit simplement une sélection des plus petits sujets, soit des croisements volontaires ou naturels avec le Carlin. La seconde est toutefois la plus probable de toutes. 

 

Quoi qu’il en soit, des transformations eurent lieu également au 19ème siècle, sous le règne de la reine Victoria (1819-1901). À ce moment-là, le King Charles s’était démocratisé au Royaume-Uni : on le trouvait désormais aussi parmi les classes laborieuses, qui toutefois l’appelaient Toy Spaniel. Là encore, le plus probable est que des croisements furent effectués, pour le coup certainement de manière volontaire, avec des races asiatiques au museau aplati qui étaient très en vogue à l’époque : le Carlin, l’Épagneul Japonais et le Pékinois

 

Ces ultimes évolutions permirent d’aboutir au King Charles Spaniel actuel : un chien plus petit qu’autrefois, affichant entre 2,3 et 4,5 kg sur la balance, doté d’un crâne bombé, d’un museau raccourci, d’yeux saillants, et aux capacités physiques nettement amoindries – au point qu’il n'est désormais plus capable de chasser. Des premières expositions canines consacrées au King Charles à nez court furent organisées par des éleveurs de la race au milieu du 19ème siècle.

 

Des sujets au museau plus long continuaient toutefois à naître au sein de certaines portées, mais ils étaient écartés de la reproduction – voire éliminés – car ils ne correspondaient pas à la nouvelle norme. De ce fait, ils devinrent très rares, tant dans les hautes sphères de la société anglaise qu’auprès des ouvriers. 

 

Il en fut ainsi jusqu’aux années 1920, lorsque des éleveurs et des amateurs se mirent à regretter fortement les King Charles Spaniels d’autrefois, ceux qu’on pouvait voir dans les tableaux du temps des Stuart : un peu plus grands, plus athlétiques et arborant un museau plus long.

 

L’un d’eux, le cynophile américain Roswell Eldridge (1857-1928), décida en 1926 de proposer pendant cinq années consécutives un prix de 25 livres sterling (une fortune à l’époque) à qui présenterait lors de la prestigieuse exposition Crufts de Birmingham (Angleterre) le couple canin qui se rapprocherait le plus de l’ancien type. Les chiens recherchés étaient décrits comme devant ressembler aux « épagneuls blenheim de l’ancien type, […] comme observés sur les images du temps de Charles II […] : à face longue, pas de stop, crâne plat non incliné en dôme, spot au milieu du crâne ».

 

La majorité des éleveurs de King Charles Spaniels furent outrés par cette demande, alors que tous élevaient des chiens au museau court et précisément méprisaient l’ancien type, devenu d’ailleurs pratiquement inexistant. Cependant, l’importance de la somme offerte fit qu’il s’en trouva pour relever le défi.   

 

Le fait qu’il y eut dès 1926 deux lauréats (une femelle nommée Flora et un mâle de trois ans baptisé Ferdi of Monham) prouva s’il en était besoin que l’ancien type n’avait pas complètement disparu. Dès lors, au-delà de l’attrait du prix proposé, l’intérêt pour l’ancien type se réveilla et des éleveurs britanniques se remirent à le développer. 

 

L’un des plus célèbres était une éleveuse réputée de Chow Chow du nom d’Amice Pitt qui, après avoir remporté le prix en 1927 avec sa femelle Waif Julia, s’investit pleinement pour faire renaître l’ancien type à travers un affixe créé pour l’occasion, Ttiweh. 

 

En 1928, les vainqueurs furent Hentzau Sweet Nell, une autre femelle d’Amice Pitt, et Ann’s Son, un mâle qui appartenait à miss K. Mostyn Walker et qui fut également sacré en 1929 et en 1930.

 

L’année 1928 fut une année charnière dans l’histoire du Cavalier King Charles. En effet, ce fut cette année-là que quatre éleveuses – dont Amice Pitt – fondèrent le Cavalier King Charles Spaniel Club (CKCSC). Deux raisons les poussèrent à opter pour le terme « Cavalier » afin de distinguer l’ancien type et le King Charles Spaniel. La première était de faire référence aux partisans de Charles Ier lors de la première révolution anglaise (1642-1651), car ils étaient nommés ainsi. La seconde est que de 1927 à 1930, la photo choisie pour illustrer la description du type de chien recherché était celle d’un tableau de 1845 intitulé The Cavalier’s Pets, réalisé par le peintre anglais Edwin Landseer (1802-1873) et représentant deux petits épagneuls du même type que celui des Stuart. 

 

Dès l’année de sa création, le club rédigea un standard de race en utilisant comme modèle Ann’s Son, qui pesait 6 kg, arborait une robe blenheim et aurait été naturellement engendré par un couple de King Charles à nez court. En effet, même si elles étaient considérées comme indésirables par les éleveurs de l’époque, ce type de naissances pouvaient survenir de manière involontaire. Quoi qu’il en soit, le Cavalier King Charles actuel descend de cet étalon.

 

Toujours en 1928, le Kennel Club britannique (KC), qui est aujourd’hui encore l’organisme cynologique de référence du pays, reconnut le Cavalier comme une variété du King Charles, sous le nom officiel de « King Charles Spaniel, Cavalier Type ». Cependant, peut-être parce que c’était plus parlant pour la plupart des gens, on l’appelait plutôt « Old Type King Charles Spaniel » dans les expositions canines, afin de le différencier du King Charles à nez court.

 

Ainsi, il suffit de quelques années seulement pour que l’ancien type renaisse. Beaucoup de spécialistes émirent par la suite des doutes sur le fait qu’on ait pu obtenir autant de transformations en si peu de temps, sans recourir à des croisements avec d’autres races : une taille et un poids accrus, un crâne aplani, un museau plus long ainsi que des capacités physiques améliorées. On soupçonnait des croisements avec divers épagneuls, notamment l’Épagneul Nain Continental ou le Cocker Anglais – cette dernière option étant la plus probable. 

 

Quoi qu’il en soit, la Seconde Guerre mondiale eut des conséquences dramatiques pour cette race qui n’en était alors qu’à ses débuts : seuls six Cavaliers auraient survécu dans tout le Royaume-Uni, dont descendraient l’ensemble des individus britanniques actuels.

 

Cela explique que même s’il est possible qu’on ait apporté alors un peu de sang frais via des croisements, il existait dans la période de l’après-guerre une consanguinité très élevée au sein de la race – avec à la clef divers problèmes de santé. Quoi qu’il en soit, le Kennel Club (KC) cessa dès 1945 de considérer ce chien comme une simple variété du King Charles Spaniel, le reconnaissant alors comme race à part entière.

 

Pour relancer la race, on utilisa notamment à partir de 1948 un étalon du nom de Daywell Roger, qui était le petit-fils d’Ann’s Son et s’était distingué dans les expositions canines organisées par le Cavalier King Charles Spaniel Club (CKCSC). Il appartenait à Jane Pitt Bowlder, la fille d’Amice Pitt, qui était elle aussi fortement impliquée dans l’aventure. Elle reprit d’ailleurs la lignée de sa mère lorsque celle-ci finit par décéder, en 1978.

La diffusion du Cavalier King Charles Spaniel dans son pays d'origine

Dès sa création en 1928, le Cavalier King Charles Spaniel Club (CKCSC) travailla à la promotion de la race en organisant des événements destinés à la faire connaître. D’ailleurs, lorsqu’en 1945 le Kennel Club (KC) finit par la reconnaître comme une race à part entière plutôt que comme simple variété du King Charles Spaniel, il organisa dès l’année suivante une première exposition qui lui fut entièrement dédiée. 

 

Cependant, ce ne fut véritablement qu’à partir des années 60 que le Cavalier King Charles parvint à prendre pleinement ses distances avec le King Charles Spaniel et à être vraiment connu des Britanniques.

 

L’adoption d’un représentant de la race par la princesse Margaret (1930-2002), sœur de la reine Elizabeth II (1926-2022), y contribua certainement. On peut penser en effet que nombre de Britanniques découvrirent ce chien en voyant dans les journaux le petit Rowley aux côtés de son illustre maîtresse.

 

Différents spécimens qui se distinguèrent sur les rings des expositions canines aidèrent eux aussi la race à se faire connaître. Ce fut le cas notamment d’une femelle du nom d’Amelia of Laguna, qui obtint en 1963 le premier prix au Crufts dans le groupe des Toys. La victoire en 1973 d’un mâle baptisé Allansmere Acquarius, qui décrocha le prestigieux titre de Best-in-Show au Crufts, eut également un impact particulier. En effet, ce fut à partir de cette année-là que la race devint vraiment populaire au Royaume-Uni et que le nombre d’enregistrements annuels auprès du Kennel Club explosa.

 

Néanmoins, et comme c’est trop souvent le cas, cela n’eut pas que des effets positifs : face à une demande en forte hausse, l’élevage de Cavalier King Charles Spaniel se fit globalement moins consciencieux, privilégiant le nombre plutôt que la qualité. Cela eut des répercussions sur l’apparence, le comportement et la santé des représentants de la race.

La diffusion internationale du Cavalier King Charles Spaniel

La diffusion du Cavalier King Charles Spaniel dans les autres pays d’Europe ne fut pas vraiment documentée, mais elle ne survint probablement pas avant les années 70. Par exemple, on sait qu’en France la Société Centrale Canine (SCC) n’enregistra en 1969 que deux individus, probablement importés.

 

Les circonstances de sa diffusion sont tout aussi nébuleuses, mais il y a fort à parier que les succès de la race dans les expositions britanniques ainsi que l’adoption d’un de ses représentants par un membre de la famille royale eurent un impact, et que le bouche à oreille fit le reste.

 

On n’en sait pas davantage concernant sa diffusion au Canada. On peut émettre les mêmes suppositions, mais il est aussi très possible que la race s’y soit fait connaître via les États-Unis, où elle devint bien présente à partir des années 50. 

 

En effet, bien que deux premiers mâles aient été ramenés du Royaume-Uni dans les années 40, le Cavalier King Charles ne conquit véritablement les États-Unis qu’une décennie plus tard. 

 

Il le dut beaucoup à une habitante du Kentucky nommée Sally Lyons Brown, qui en 1952 reçut d’une amie anglaise un chiot Cavalier King Charles - une femelle noir et feu nommée Psyche of Eyeworth. Elle se passionna pour la race et se mit à importer d’autres spécimens.

 

Il n’était alors pas possible d’enregistrer ces chiens auprès de l’American Kennel Club (AKC), puisqu’ils appartenaient à une race que ce dernier ne reconnaissait pas encore, mais Lyons Brown contacta les quelques autres propriétaires de Cavaliers du pays afin de former un groupe de passionnés. C’est ainsi que fut fondé en 1954 le Cavalier King Charles Spaniel Club USA (CKCSC USA). Jusqu’à la reconnaissance officielle de la race par l’AKC en 1995, soit pendant quatre décennies, ce dernier fut le seul organisme du pays auprès duquel il était possible d’enregistrer un Cavalier King Charles.

 

Dans la perspective de cette reconnaissance imminente, l’AKC proposa en 1992 au CKCSC USA de devenir le club de race officiel du Cavalier King Charles, mais celui-ci refusa. En effet, plusieurs de ses membres avaient constaté les effets négatifs que l’intensification de son élevage avait eu au Royaume-Uni : ils ne souhaitaient donc pas que l’AKC reconnaisse le Cavalier King Charles, par crainte que la même chose ne se produise aux États-Unis. 

 

Cette décision ne fit toutefois pas l’unanimité, et amena une partie des membres du club à faire scission pour fonder l’American Cavalier King Charles Spaniel Club (ACKCSC) en 1993. Ce dernier demanda et obtint le statut de club officiel de la race, ce qu’il est encore de nos jours.

 

Le CKCSC USA continue lui aussi d’exister, mais donc en tant que registre indépendant.

La reconnaissance du Cavalier King Charles Spaniel par les organismes officiels

En toute logique, le Kennel Club britannique (KC) fut le premier organisme cynologique de référence à reconnaître officiellement le Cavalier King Charles Spaniel. Cela survint en 1945.

 

Il fallut attendre 1955 pour que la Fédération Cynologique Internationale (FCI) en fasse de même. Cette reconnaissance marqua incontestablement un tournant, dans la mesure où plus d’une centaine d’organismes cynologiques nationaux en sont membres - notamment ceux de la France (la Société Centrale Canine, ou SCC), de la Belgique (la Société Royale Saint-Hubert, ou SRSH) et de la Suisse (la Société Cynologique Suisse, ou SCS).

 

Le Club Canin Canadien (CCC) franchit quant à lui le pas deux ans plus tard, soit en 1957.

 

Les principaux organismes cynologiques américains attendirent beaucoup plus longtemps pour en faire de même : 1980 pour le United Kennel Club (UKC), 1995 pour l’American Kennel Club (AKC).

 

En tout cas, le Cavalier King Charles Spaniel est aujourd’hui reconnu par l’ensemble des organismes cynologiques de référence du monde entier.