Manger de la viande de chien

Un stand de vente de viande de chien en Asie

Le chien joue auprès de l’Homme un rôle atypique pour un animal. En effet, aucune autre espèce ne peut se targuer de servir d’autant de manières différentes : guider des troupeaux, transporter des charges, protéger les biens ou les personnes, aider pour la chasse… sont autant de tâches dont il s’acquitte depuis déjà des milliers d’années, même si bien sûr certaines races sont plus adaptées que d’autres à tel ou tel usage.


Cela ne l’empêche pas d’être aussi parfois lui-même source d’un produit animalier. Par exemple, le Chien Laineux Salish était élevé jusqu’à son extinction à l’aube du 20ème siècle par le peuple éponyme (appartenant aux premières nations canadiennes) pour en cultiver la laine.


Tout domestiqué qu’il est, le chien reste aussi un animal comestible. Si consommer sa viande est une pratique souvent taboue et même interdite dans certaines parties du globe, elle ne date pas d’hier et perdure dans certaines régions, au grand dam des amoureux de la gent canine.


Depuis quand l’être humain consomme-t-il de la viande de chien ? Fut-ce à une époque une pratique très répandue partout dans le monde ? Où perdure-t-elle, et pour quelles raisons ? S’agit-il alors d’une viande comme une autre, ou bien occupe-t-elle une place à part ?

L’histoire de la consommation de viande de chien

L’histoire de la cynophagie en Europe de l’Ouest

La cynophagie en Europe dans l’Antiquité

Une pratique présente dès l’Antiquité dans plusieurs civilisations…
Une gravure de chien datant de la Rome antique
Une gravure de chien datant de la Rome antique

Le fait de consommer de la viande de chien est une pratique si singulière dans la culture occidentale contemporaine qu’elle a un nom spécifique : la cynophagie, un terme composé à partir des mots de grec ancien « kynós » et « phágos », qui signifient respectivement « chien » et « mangeur ». Pourtant, elle n’est pas étrangère au continent européen, loin sans faut…

 

Par exemple, les Gaulois mangeaient du chien, comme le rappelle notamment l’historien français Éric Baratay, spécialiste des relations entre les humains et les animaux. Ainsi, ils utilisaient aussi bien le meilleur ami de l’Homme comme chasseur que comme mets à consommer ; au cours de sa vie, un même animal pouvait d’ailleurs très bien passer du premier statut au second.

 

Ils élevaient aussi des chiens de type épagneul spécifiquement destinés à la consommation, qui étaient abattus jeunes pour que leur viande soit la plus tendre et la moins grasse possible. On ignore si la cynophagie était fréquente ou réservée à des fêtes et à des moments particuliers de l’année, mais des fouilles archéologiques menées à Acy-Romance (dans l’est de la France) permirent d’établir que pour les Gaulois, la viande de chien avait beaucoup plus de valeur que celle de cheval, par exemple.

 

Cela dit, les Gaulois n’étaient pas le seul peuple de l’Antiquité à consommer de la viande de chien. Au 3ème siècle après J.-C., dans son Abrégé des Histoires philippiques, l’historien romain Justin témoignait également de cette pratique chez les Carthaginois.

 

Des fouilles menées en Grèce sur les sites archéologiques de Kastro (sur l’île de Sifnos) et de Lerne (dans le Péloponnèse) suggèrent que la viande de chien aurait également pu être consommée sur ces territoires durant les âges du Bronze et du Fer, qui couvrent plus ou moins les trois millénaires précédant notre ère.

 

La viande de chien était également utilisée comme offrande dans le culte d’Hécate, la déesse de la mort, de la lune, de la magie et des carrefours. Cet animal étant fréquemment associé à l’au-delà dans la mythologie de la Grèce antique, les adeptes avaient en effet pour coutume d’inclure sa viande dans les offrandes qu’ils laissaient au bord des carrefours.

 

Les recherches sur la pratique de la cynophagie en Europe demeurent cependant trop rares pour savoir si de telles pratiques étaient courantes dans les civilisations européennes préchrétiennes, ou si les quelques exemples avérés correspondent plutôt à des exceptions.

… mais qui ne faisait déjà pas l’unanimité
Le demi-dieu Cúchulainn, illustration de Stephen Reid (1904)
Le demi-dieu Cúchulainn, illustration de Stephen Reid (1904)

Après qu’en 50 avant J.-C les troupes de Jules César (100 avant J.-C. – 44 avant J.-C.) conquirent la Gaule, les Gaulois durent cesser de consommer de la viande de chien. En effet, considérant cet animal comme un compagnon à part entière, les Romains jugèrent d’un très mauvais œil la consommation de sa viande et la firent interdire.

 

L’opposition idéologique entre ces deux peuples contemporains de l’Antiquité montre bien en tout cas à quel point la question de la viande de chien n’est pas seulement actuelle, mais existe en fait depuis bien longtemps.

 

Une légende issue de la mythologie irlandaise d’avant notre ère vient d’ailleurs le confirmer. Elle raconte l’histoire du demi-dieu Cúchulainn (« chien de Culann », en irlandais), pour qui la cynophagie était un véritable tabou. Toutefois, il bénéficia un jour de l’hospitalité d’une vieille dame, et la tradition irlandaise fit qu’il n’eut alors d’autre choix que de consommer le plat à base de viande de chien qu’elle lui servit, afin de ne pas offenser son hôte. Or, cela eut pour effet de l’affaiblir considérablement, alors qu’un combat difficile l’attendait – à tel point que le fait d’avoir consommé ce mets entraîna sa mort. Cette histoire est révélatrice du fait que la cynophagie était déjà une pratique qui divisait les habitants de l'île.

La cynophagie en Europe de l’Ouest du Moyen Âge au 20ème siècle

Dessin d'un marché à viande de chien pendant le siège de Paris en 1870
Dessin d'un marché à viande de chien pendant le siège de Paris en 1870

Avec la chute de l’Empire romain au 5ème siècle et la christianisation de l’Europe, c’est pour des raisons religieuses que la cynophagie demeura interdite sur le continent. En effet, à l’inverse des Romains, les chrétiens considéraient le chien comme un animal impur, et c’est ce qui les motiva à interdire catégoriquement sa consommation.

 

De fait, la pratique ne disparut jamais totalement en Europe de l’Ouest, mais se limita progressivement aux périodes de pénuries alimentaires causées par des conflits armés et des crises économiques. Cela perdura aux 19ème et 20ème siècles, puisqu’on sait par exemple que le siège de Paris par les Allemands (1870-1871) força les habitants de la ville à consommer de la viande de chien pour lutter contre la faim. D’autres cas furent également documentés pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918), notamment en Belgique et dans ce qui était alors le royaume de Saxe.

 

Toujours en France, une carte postale datant de 1910 prouve également l’existence d’une boucherie canine dans la capitale. Il en exista d’ailleurs plusieurs dans la ville entre 1910 et 1925. On sait également que jusque dans les années 20, l’envolée du prix de la viande causa en Allemagne une augmentation de la consommation de viande de chien, en lieu et place du bœuf et du porc. Il est fort probable que c’est la même raison qui explique l’existence de boucheries canines en France à la même époque.

L’histoire de la cynophagie en Amérique

« Sioux Dog Feast », tableau de George Catlin (1832-1837)
« Sioux Dog Feast », tableau de George Catlin (1832-1837)

Selon une étude intitulée « Brief Communication: DNA From Early Holocene American Dog », réalisée par des chercheurs américains et publiée en 2011 dans l’American Journal of Physical Anthropology, la consommation de viande de chien est en Amérique une pratique culinaire qui remonte à au moins 9000 ans. Leurs travaux partirent notamment de la découverte d’un fragment d’os appartenant à un chien dans des restes d’excréments humains fossilisés datant de 9400 ans. Il est cependant impossible de savoir s’il s’agit là d’un cas exceptionnel ou si les chiens de cette lointaine époque étaient fréquemment consommés.

 

Il est avéré en tout cas que, plus récemment, des tribus d’Amérique du Nord comme les Cayennes, les Sioux ou encore les Kickapous consommaient de la viande de chien, et que certaines d’entre elles considéraient même cette dernière comme un met gastronomique. Quelques tribus autochtones continuent d’ailleurs d’en consommer de nos jours, dans le cadre de pratiques rituelles.

 

Toutefois, comme en Europe, la cynophagie était loin de faire consensus et divisait les différentes civilisations de l’Amérique précolombienne. Ainsi, certaines tribus comme les Comanches l’interdisaient formellement, et étaient horrifiées de voir des alliés en manger.

 

Plus au sud, les Aztèques, dont l’empire bâti à partir du 13ème siècle s’étendait sur une large partie du bassin mexicain central, consommaient eux aussi du chien. Selon certains historiens, ils appréciaient en particulier le Xoloitzcuintle (Chien Nu Mexicain), une race qui se distingue par son absence de poils. C’est le conquistador espagnol Hernan Cortes (1485-1547) qui constata la pratique en 1519 à son arrivée à Tenochtitlan, l’ancienne capitale de l’empire aztèque. Loin de l’interdire, il l’adopta pleinement, écrivant ainsi dans des lettres destinées à son donneur d’ordre le roi d’Espagne Charles Quint (1500-1558) que lui et les autres Espagnols trouvaient cette viande délicieuse.

L’histoire de la cynophagie en Polynésie

Illustration dans l'ouvrage « Dog and man in the ancient pacific, with special attention to Hawaii » (Margaret Ticomb, 1969)
Illustration dans l'ouvrage « Dog and man in the ancient pacific, with special attention to Hawaii » (Margaret Ticomb, 1969)

Les îles de Polynésie étaient au 18ème siècle un terrain de jeu très prisé des explorateurs de différents pays, et plusieurs d’entre eux découvrirent que la pratique de la cynophagie y était très courante. Le Britannique James Cook (1728-1779) en attesta notamment lors d’un voyage à Hawaï en 1769.

 

Les Polynésiens consommaient de façon indiscriminée du cochon et du chien, principalement des Kuris et des Chiens Pois Hawaïens. Ils ne comprenaient pas pourquoi les Européens faisaient une telle différence entre la viande de porc et celle de chien.

 

La pratique cessa avec la colonisation des îles et l’introduction de nouvelles races de chien avec lesquelles les colons ne parvinrent pas à croiser le Chien Poi et le Kuri, ce qui conduisit à la disparition de ces derniers.

L’histoire de la cynophagie en Afrique

Illustration de membres de la tribu Banu Asad
La tribu des Banu Asad consommait du chien en période de famine

L’histoire de la consommation de viande de chien sur le continent africain est mal documentée, mais elle fut attestée notamment dans le sud de la Tunisie par le géographe Al-Maqdisi (945-990).

 

Dans un article intitulé « Manger du chien ? C’est bon pour les sauvages ! » paru en 1995 au sein de la revue d’anthropologie L’Homme, l’ethnologue Jacqueline Milliet, chercheuse française associée en écoanthropologie et éthnobiologie au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ainsi qu'au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, écrit que « la cynophagie faisait partie de l’alimentation des habitants de la zone saharienne allant du Maghreb (de Derna en Tripolitaine à Ifax en Tunisie, autour de Gabès, dans le Fezzan, le Djerid, le Souf, le Touat et au Mzab) jusqu’à Bahreïn pour le Mashrec. » Elle ajoute que « avant l’islam, en Arabie aussi, certaines tribus comme les Banu Asad furent, en périodes de famine, contraintes de manger du chien, voire même y prirent goût si l’on en croit quelques vers satiriques les concernant. »

 

Cette pratique fut également constatée (et reste pratiquée de nos jours à des fins rituelles) chez certaines tribus dans les monts Mandara (à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria), au Burkina Faso et au Togo.

L’histoire de la cynophagie en Asie

En Chine

Une statue de Confucius
Au temps de Confucius, les hommes consommaient du chien au restaurant

La consommation de viande de chien est une pratique millénaire en Chine : on en trouve dans certaines régions des traces datant d’environ 500 ans avant J.-C., mais les historiens pensent que la pratique remonte à bien plus longtemps.

 

Le célèbre philosophe chinois Confucius (551 avant J.-C - 479 avant J.-C) était d’ailleurs lui-même un consommateur régulier de viande de chien. En outre, dans les rôles respectifs qu’il attribue aux hommes et aux femmes au sein de sa pensée philosophique, il est de coutume que les secondes demeurent dans l’espace domestique pendant que les premiers se rendent dans les restaurants servant de la viande de chien pour socialiser. L’impact du confucianisme sur les cultures asiatiques explique ainsi pourquoi la viande de chien fut et reste encore aujourd’hui plus fréquemment consommée par les hommes que par les femmes dans cette partie du monde, et pourquoi elle est si souvent associée à l’idée de virilité.

 

Il convient toutefois de relativiser la popularité de la viande de chien en Chine, y compris par le passé. En effet, elle fut bannie des repas officiels dès le 10ème siècle, en partie sous l’influence du bouddhisme. Ce dernier affirme en effet que la mise à mort d’un animal aussi loyal a des conséquences néfastes sur le karma. L’adoption du chien comme animal de compagnie par les femmes sous la dynastie des Song (969-1279) contribua également à rendre cette pratique de plus en plus marginale.

 

Toutefois, comme en Europe, la cynophagie fut à certains moments de l’histoire une question de nécessité. L’ouvrage The Nanking Atrocity, 1937-38, publié par l’historien Bob Tadashi Wakabayashi, raconte par exemple comment, au cours du massacre de Nankin pendant la guerre sino-japonaise (1937-1945), les habitants de la ville durent se résoudre à manger de la viande de chien pour survivre.

En Corée

Un bositang, une soupe de viande de chien
Le bositang, un très ancien plat de viande de chien

On trouve dans la péninsule coréenne des traces très anciennes de cynophagie. Par exemple, dans les tombes de Koguryo (en Corée du Nord), une peinture murale datant du 4ème siècle avant J.-C. représente la mise à mort d’un chien dans un abattoir. On sait aussi que les habitants de l’ancien royaume de Balhae (698-934), qui s’étendait du sud de la Manchourie jusqu’au nord de l’actuelle Corée du Nord, étaient des consommateurs réguliers de viande de chien.

Au Vietnam

Un plat vietnamien à base de viande de chien
Un plat vietnamien à base de viande de chien

La cynophagie faisait - et fait encore aujourd’hui - partie de la culture vietnamienne.

 

Elle fut interdite en 1888 par les Français dans l’ensemble de l’Indochine française (qui englobait notamment l’actuel Vietnam), mais persista tout de même à titre plus ou moins confidentiel – en particulier durant la Seconde Guerre mondiale, car la viande se raréfia.

 

Elle fut de nouveau rendue légale dès le départ des colons en 1954 et connut ensuite un nouvel élan du fait de la guerre du Vietnam (1955-1975), qui occasionna de nouveau des pénuries de nourriture et des famines.

 

Quelle que soit l'époque, la cynophagie s’imposa d’autant plus comme une solution que les croyances locales affirmaient que consommer de la viande de chien porte bonheur et accroissait les performances sexuelles des hommes. Cette superstition est d’ailleurs tenace, puisqu'aujourd’hui encore le Vietnam est le deuxième plus grand consommateur de viande de chien après la Chine.

Pourquoi manger de la viande de chien ?

Les cynophages (personnes qui mangent du chien) affirment en général apprécier la saveur de cette viande. Toutefois, au-delà du goût, d’autres raisons peuvent entrer en ligne de compte.

Le poids des croyances et des traditions

Un membre d'une tribu africaine tenant un chien mort entre ses dents

Dans certains pays comme la Corée du Sud et la Chine, la viande de chien correspond à une tradition culinaire vieille de plusieurs siècles. Elle est considérée comme un ingrédient à part entière que l’on utilise dans des recettes gastronomiques qui ont depuis longtemps leurs adeptes.

 

Cela dit, il serait en théorie possible de remplacer cette viande par une autre. Si cela ne se produit pas forcément et qu’elle continue effectivement d’être consommée, c’est aussi parce qu’on lui prête souvent des vertus particulières. Par exemple, en Corée du Sud, c’est principalement un plat d’été, car on dit qu’elle aide à supporter les fortes chaleurs. À l’inverse, en Chine, c’est davantage un mets d’hiver, car elle est supposée aider le corps à se réchauffer.

 

Ces croyances sont portées à leur paroxysme lorsque la viande de chien se voit attribuer des vertus médicinales, et même parfois mystiques. C’est particulièrement le cas en Afrique. Par exemple, au Nigéria, nombreux sont ceux qui pensent qu’elle peut protéger contre le paludisme ou même les mauvais esprits. Pour d’autres, la viande de chien est associée à la virilité : c’est le cas notamment au Togo, où elle est réservée aux hommes et supposée aider à soigner l’impuissance sexuelle ou encore renforcer la musculature.

Une question de coût…

Une pile de pièces de monnaie

Dans les pays sous-développés ou en voie de développement, l’accès à la viande est souvent l’apanage des populations aisées. Dans ce contexte, la viande de chien, généralement bon marché, peut constituer une alternative au porc, au bœuf ou au mouton lorsque leur coût est trop élevé.

 

On remarque d’ailleurs que sa consommation tend à diminuer lorsque le niveau de vie moyen des habitants augmente, car ils peuvent alors se tourner vers d’autres types de viande. C’est flagrant par exemple en Chine ou au Vietnam, même si d’autres aspects entrent en ligne de compte. En particulier, l’accroissement du niveau de vie des populations implique qu’un nombre croissant de chiens sont adoptés comme animal de compagnie : cela a pour effet de faire évoluer la perception de cet animal, et donc de faire diminuer la cynophagie. 

 

À l’inverse, on voit la pratique se développer dans des endroits où manger de la viande de chien ne fait pas partie des traditions locales, mais où la pauvreté reste importante et où le prix de la viande d’autres animaux augmente ou demeure élevé. C’est le cas en particulier dans certains pays d’Afrique.

…et parfois même de survie

Une boucherie canine à Paris en 1910
Une boucherie canine à Paris en 1910

Si on mange de la viande de chien, c’est aussi parfois parce qu’on n’a guère le choix. En temps de crise ou lors de conflits armés, la famine et les pénuries alimentaires peuvent pousser les populations à se tourner vers cette source de nourriture, faute de mieux. Ce fut le cas par exemple lors du siège de Paris, entre septembre 1870 et janvier 1871 :  encerclée par l’armée allemande, la capitale française se trouva coupée du reste du pays. La pénurie de nourriture força les Parisiens à se tourner vers de la viande de cheval dans un premier temps, puis vers la viande de chien, de chat et même de rat. De même, au début du 20ème siècle en Alaska (États-Unis), alors qu’il était parfois difficile d’approvisionner certains endroits reculés, leurs habitants durent se résoudre à manger de la viande de chien pour éviter de mourir de faim.

 

Cela pouvait aussi être le cas par le passé dans des zones géographiques où la biodiversité était limitée, c’est-à-dire lorsque les populations locales se trouvaient contraintes d’exploiter au maximum ce que chacune des rares espèces animales présentes pouvait leur fournir. En effet, le chien pouvait alors servir à la fois d’animal de travail et de nourriture, à l’instar par exemple du dromadaire chez les Bédouins du désert ou du porc en Papouasie-Nouvelle-Guinée (qu’on trouvait - et trouve encore aujourd’hui - comme compagnon domestique chez certaines tribus, avant qu’il finisse dans l’assiette). Ce fut par exemple le cas chez les Gilyak, dans l’est de la Russie, chez les Inuits en Amérique du Nord, ou encore chez les Maoris qui consommaient du Kuri et du Chien Poi Hawaïen.

Manger « un certain chien »

Dans son article « Manger du chien ? C’est bon pour les sauvages ! » paru en 1995 dans la revue scientifique L’Homme et consacré à l’histoire de la cynophagie, l’historienne Jacqueline Milliet met en avant un processus discriminatoire de sélection des chiens destinés à l’alimentation dans l’ensemble des cultures qui pratiquent la cynophagie. « On ne mange pas son chien, on ne mange pas du chien, mais on mange un certain chien », résume-t-elle ainsi en conclusion de son propos.

Les chiens « à viande »

Un Chow Chow allongé
Dans la Chine antique, le Chow Chow était un chien à viande

Un peu partout et à toutes les époques, hormis quand la cynophagie relevait d’une question de survie et revêtait alors un caractère ponctuel et exceptionnel, les chiens destinés à être mangés étaient choisis selon des critères bien établis tels que l’âge ou la race.

 

Par exemple, dans la Chine antique, c‘est le Chow Chow qui avait souvent ce « privilège », au point d’être engraissé afin de servir de plat de résistance lors de banquets. Chez les Aztèques, c’était le Xoloitzcuintle, une race de chien nu qu’on semblait élever principalement pour sa viande, même si cette théorie est aujourd’hui remise en question par certains historiens.

 

La distinction entre les individus destinés à la consommation et les autres est encore flagrante de nos jours en Corée du Sud, où la viande de chien est majoritairement issue de fermes. Comme l’explique le chercheur britannique Anthony L. Podberscek dans un article intitulé « Good to Pet and Eat: The Keeping and Consuming of Dogs and Cats in South Korea » paru en 2009 dans la revue scientifique Journal of Social Issues, on y fait clairement une différence entre d’un côté les chiens de type « nureongi », c’est-à-dire « à viande », et de l’autre ceux destinés à la compagnie. La première catégorie est constituée à environ 90% de Tosa Inus et 10% de Jindos Coréens.

 

En Corée comme ailleurs, le fait d’opérer une distinction entre les chiens susceptibles d’être mangés et les autres aiderait à déresponsabiliser mentalement les consommateurs. 

Manger son chien de compagnie

Des Garos exécutant une danse traditionnelle
Les Garos mangeaient autrefois leur chien domestique

Pour les cultures pratiquant la cynophagie, la frontière entre animal domestique et animal de compagnie était parfois floue. Ainsi, un chien apprivoisé ne conservait pas forcément toute sa vie son statut de compagnon domestique.

 

Lorsqu’il n’était qu’un chiot, il pouvait par exemple faire l’objet d’une volonté d’humanisation et d’une socialisation très poussée qui se traduisaient notamment par le fait de se voir octroyer un nom, de jouir d’un accès libre à l’intérieur du foyer de ses propriétaires et de bénéficier d’un régime alimentaire différent de celui des autres espèces. Pour autant, une fois adulte, il pouvait avoir un nouveau statut, et par exemple devenir un animal de travail, être relâché à l’état sauvage ou encore servir de nourriture ou d’offrande dans un rituel.

 

C’était notamment le cas chez les Garos, un groupe ethnique de l’Inde qui ne voyait aucun problème à consommer des chiens qui plus jeunes avaient joui du statut de compagnon domestique et partagé leur quotidien.

 

De manière générale, les animaux étaient éloignés dès qu’ils prenaient leur apparence adulte, note Jacqueline Milliet.

La pratique consistant à manger un chien qui petit avait sa place au sein du foyer, presque comme un membre à part entière, n’a toutefois plus vraiment cours de nos jours.  

Manger des chiens errants et des chiens volés

Un grand nombre de chiens dans un refuge en Thaïlande
Chiens thaïlandais en partance pour le Vietnam en vue d'être consommés

Dans de nombreuses cultures, ce sont davantage des chiens errants qu’on destinait à la consommation. C’était le cas par exemple chez les paysans vietnamiens, chez les Bataks de l’île de Sumatra (Indonésie), ou encore en Chine jusqu’à la révolution culturelle (1966-1976). Durant cette dernière, les autorités visèrent à nettoyer les grandes villes (notamment Pékin) de la présence de chiens errants et encouragèrent alors la consommation de leur viande.  

 

Aujourd'hui encore, la majorité de la viande de chien consommée dans les pays cynophages provient de tels animaux. En effet, hormis en Corée du Sud, les fermes d’élevage de chiens à viande sont rares : les animaux destinés à la consommation sont principalement des individus capturés dans les villes et les campagnes.

 

Toutefois, il est souvent difficile de faire la distinction parmi ces derniers entre ceux qui étaient bel et bien sans maître, et ceux qui ont en fait été dérobés à leur propriétaire. Que ce soit par exemple en Chine, au Vietnam, au Nigéria ou dans d’autres pays, il est de notoriété publique que les vols de chiens sont monnaie courante et alimentent le trafic illégal de viande de chien.

L’importance du détachement

Un chien regardant un marchand mettre un autre chien en cage
Un marchand achetant des chiens à viande en Corée du Sud

Il est difficile de manger un animal pour lequel on éprouve un attachement. Par conséquent, pour faciliter la consommation de chien, on a recours comme dans le cas d’autres animaux domestiques à des techniques de distanciation.

 

Ainsi, il est courant que les bêtes destinées à être mangées soient parquées dans des enclos et fassent l’objet d’actes de cruauté destinés à leur donner un statut de bête primitive.

 

Surtout, avec l’industrialisation progressive de l’élevage d’animaux à des fins de consommation à partir du 18ème siècle, une séparation des tâches de plus en plus marquée s’est mise en place. Ainsi, il est nettement moins fréquent qu'autrefois que le consommateur abatte lui-même un animal qu’il s’est procuré, et en règle générale il y a une distinction entre d’une part la personne chargée de la collecte ou de l’élevage des animaux, et d’autre part celle chargée de l’abattage (par exemple un boucher). Le but est de minimiser l’attachement et le sentiment d’empathie ressenti pour ces animaux destinés à la consommation. Cela vaut par exemple pour les porcs et les poulets, mais aussi pour les chiens.

Dans quels pays mange-t-on de la viande de chien ?

En matière d’alimentation, les habitudes ont souvent la vie dure. Ceci explique qu'alors que le chien est aujourd’hui adopté comme animal de compagnie partout dans le monde, sa viande continue malgré tout à être consommée dans différents endroits, même si cette pratique a fortement reculé dans la seconde moitié du 20e siècle.

 

Des clichés parfois teintés de xénophobie en associent la consommation à de seuls pays d’Asie, à commencer par la Chine et la Corée. Toutefois, s’il est vrai que la viande de chien est encore présente dans la gastronomie de certaines régions de ces pays, il convient de relativiser les choses.

 

D'une part, parce que le chien est loin d’être un mets qu’on y consomme fréquemment.  D'autre part, parce que les Asiatiques ne sont pas les seuls à pratiquer la cynophagie.

La consommation de viande de chien en Occident : une pratique confidentielle, mais persistante

Une rue dans le centre historique d'Appenzell, en Suisse
Appenzell, un des trois cantons suisses où perdure la cynophagie

On ne trouve plus de boucheries spécialisées dans la viande de chien en Europe, et la commercialisation de cette dernière est interdite dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Toutefois, sa consommation reste en théorie légale, à condition de respecter les règles d’abattage et d’hygiène.  

 

En France, le Code rural permet par exemple l’abattage d’un chien à condition qu’il soit effectué dans un abattoir et dans le respect de la procédure de mise à mort du gibier d’élevage. Une exception à cette règle demeure pour le cas des mises à mort lors de manifestations culturelles traditionnelles. L’exemple le plus connu est celui de la tauromachie, mais cela signifie qu’une communauté procédant par tradition à l’abattage de chiens pour consommer leur viande pourrait en théorie le faire en toute légalité. Tous les chiens ne peuvent cependant pas être consommés, puisque l’article L-214-3 du Code rural interdit de tuer un animal qui est utilisé pour la compagnie.

 

La cynophagie persiste également à titre occasionnel dans la vallée du Rhin en Allemagne, ou encore en Suisse dans les cantons ruraux d’Appenzell, de Thurgovie et de Saint-Gall.

 

De l’autre côté de l’Atlantique, au Canada, la loi est ambiguë. L’importation de viande de chien est strictement interdite, mais en théorie il est tout à fait légal d’en vendre à condition qu’elle provienne du pays et que les règles d’abattage soient respectées.

 

Aux États-Unis, les choses sont plus strictes. Le Dog and Cat Meat Trade Prohibition Act signé fin 2018 dans le cadre de la révision de la Farm Bill (la loi qui régit les pratiques autorisées ou non en matière d’exploitation agroalimentaire sur le sol national) interdit par exemple l’abattage de chats et de chiens à des fins gastronomiques sur l’ensemble du territoire du pays. Une exception est toutefois prévue pour les tribus autochtones : elles conservent le droit d’en abattre dans le cadre de pratiques rituelles.

La consommation de viande de chien en Asie : une pratique de plus en plus contestée

Quels sont les pays d’Asie qui mangent le plus de chiens ?

Une bouchère au Vietnam préparant de la viande de chien

D’après l’ONG de défense de la cause animale Human Society International, 30 millions de chiens sont tués chaque année en Asie pour être consommés. Parmi eux, entre 10 et 20 millions sont abattus en Chine, 5 millions au Vietnam, et environ 1 million en Corée du Sud et en Indonésie.

 

Comme l’association prend soin de le souligner, ces chiffres ne sont que des estimations. Le manque de contrôles et le caractère parfois illégal de ce commerce rendent impossible l’établissement de données plus précises.

 

Cela dit, si la Chine est incontestablement le plus gros consommateur de viande de chien au monde dans l’absolu, il est judicieux de ramener à la population, c’est-à-dire de raisonner en relatif. Si on prend en compte le fait que le pays compte environ 1,4 milliard d’habitants contre « seulement » une centaine de millions au Vietnam et 50 millions en Corée du Sud (270 millions en Indonésie), on constate que cette viande est beaucoup moins populaire en Chine qu’au Vietnam ou même en Corée du Sud.

 

Ces ordres de grandeur permettent également d’établir des comparaisons avec d’autres espèces. Par exemple, d’après des données mondiales compilées et publiées par le département de l’Agriculture américain, la Chine a produit en 2021 pas moins de 406 millions de porcs et 52 millions de bœufs. Cela montre à quel point la consommation de viande de chien reste, quoiqu'on en dise, une pratique assez marginale.

Le lien entre situation économique et consommation de viande de chien

Un homme mettant des chiens en cage au Cambodge
Un vendeur de chiens à viande au Cambodge

L'évolution de la consommation de viande de chien dans les pays asiatiques dépend en partie du prix des autres viandes, qui est susceptible de fluctuer en fonction d’événements pouvant impacter la production.

 

Par exemple, en 2019, l’épidémie de grippe porcine africaine conduisit plusieurs pays asiatiques (dont la Chine, le Cambodge et le Vietnam) à abattre un total de 5 millions de cochons : ceci eut pour conséquence la hausse du prix de la viande de porc et put inciter les consommateurs, notamment au Vietnam, à s’orienter davantage vers la viande de chien, qui était alors moins chère.

 

De fait, en Asie, celle-ci est souvent l’apanage des populations les moins fortunées, et sa consommation tant à diminuer à mesure que leurs moyens économiques augmentent. Le lien entre cynophagie et pauvreté explique d’ailleurs pourquoi au 20ème siècle, la pratique put apparaître ou se développer dans des territoires où elle ne faisait pas partie à la base des traditions culinaires locales, comme ce fut le cas par exemple chez les Khmers du Cambodge.

L’influence de la religion

Des livres religieux côte à côte

La religion peut également expliquer pourquoi manger du chien est plus courant dans certains pays d’Asie que dans d’autres.

 

On peut souligner ainsi l’influence de la religion musulmane. Le chien dans l’Islam est considéré en effet comme impur, au même titre que le porc : elle interdit donc sa consommation. Cela contribue à expliquer que dans les pays d’Asie où cette croyance est très présente, comme le Pakistan ou le Bangladesh, la cynophagie est peu développée. Cette interdiction n’est cependant pas toujours respectée, comme l’illustre le cas de l’Indonésie : la consommation y est loin d’être négligeable et a même augmenté, en dépit du fait que la population est très majoritairement musulmane. La question de la cynophagie dans la culture musulmane ne se limite d’ailleurs pas qu’à l’Asie du Sud et du Sud-Est, puisqu’on mange aussi du chien dans certains pays d’Afrique musulmans comme le Nigéria.

 

Dans l’hindouisme, ceux qui mangent de la viande de chien sont également très mal vus. Un individu dangereux (par exemple un bandit) est d’ailleurs qualifié en sanskrit de « chândâla », ce qui signifie littéralement « mangeur de chien ». Ceci explique que la cynophagie soit peu développée dans les pays à majorité hindouiste, à savoir l’Inde et le Népal.

 

Le bouddhisme condamne également le fait de consommer de la viande de chien. Là aussi, on constate que lorsqu’il est ou devient bien implanté dans une région donnée, la pratique est moins courante. Ce fut flagrant par exemple en Corée pendant la période Goryeo (918-1392), durant laquelle le bouddhisme devint la religion principale de la péninsule : en parallèle, la cynophagie diminua. Lorsque par la suite cette spiritualité fut supplantée par l’idéologie confucianiste, la pratique de la cynophagie se développa de nouveau. De nos jours, c’est au Vietnam que l’on constate le mieux l’impact du bouddhisme sur la consommation de viande de chien. En effet, cette dernière est bien plus courante dans le nord du pays, où l’influence du communisme a remis en cause les traditions bouddhistes et supprimé les interdits qui y sont liés.

Article détaillé : Le chien dans les religions

La consommation de viande de chien en Chine

Des chiens en cage dans un marché en Chine
Un marché de viande de chien à Seishan, en Chine

En Chine, la consommation de viande de chien trouve son paroxysme dans la tenue d’un festival qui lui est dédié. Chaque année à Yulin, une ville de 5 millions d’habitants faisant partie de la région autonome du Guangxi, dans le sud-est du pays, se tient le 21 et 22 juin la fête du litchi et de la viande de chien de Yulin (« yùlín lìzhī gǒuròu jié » en mandarin romanisé), qui propose comme son nom l’indique de consommer du chien et des litchis.

 

Le festival existe depuis 2009, mais est très controversé tant au sein du pays qu’à l’extérieur, en particulier depuis 2014. Les associations qui s’impliquent pour y mettre un terme estiment d’ailleurs que le nombre de chiens tués pour cette fête est passé d’une moyenne de 10.000 à environ un millier à partir de 2015.

 

Il faut dire que Yulin subit depuis cette époque une double pression. D’une part, les activistes locaux et internationaux multiplient les campagnes, notamment sur internet, pour dénoncer ce festival. Ils soulignent en outre que les chiens consommés ne seraient pas des animaux d’élevage, mais des animaux dérobés à leurs propriétaires ou errants. D’autre part, le ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales a changé en 2020 le statut juridique du meilleur ami de l’Homme, qui est désormais considéré comme un animal domestique et non plus comme du bétail.  

 

En dépit de ces pressions, le festival étant organisé à titre privé et non par la municipalité de Yulin, il continue d’avoir lieu chaque année, même si la participation est en nette baisse depuis 2014. En tout état de cause, le changement du statut du chien introduit en 2020 ne signifie pas qu’il est interdit de consommer sa viande.

 

 

Des vétérinaires secourant un chien au festival de Yulin
Des vétérinaires secourant un chien au festival de Yulin

En dehors du festival, la viande de chien est principalement consommée dans les provinces du Guangdong et du Yunnan ainsi que dans la région du Guangxi (dans le sud du pays), mais également dans les provinces de Heilongjiang, de Jilin et de Liaoning (dans le nord). Toutefois, la consommation est en baisse dans l’ensemble du territoire et certains restaurants ont cessé de proposer des spécialités à base de chien. Par ailleurs, s’il existe des fermes spécialisées dans la production de viande de chien, celles-ci restent très rares, et il s’agit d’exploitations de taille très modeste.

 

De fait, la cynophagie est de plus en plus contestée par les Chinois eux-mêmes. Ainsi, lorsqu’en 2016 le député du congrès Zheng Xiaohe proposa une loi pour faire interdire la consommation de viande de chien et de chat, pas moins de 8,6 millions de citoyens apportèrent leur soutien à la proposition sur un site destiné à jauger l’opinion publique sur des projets de loi. Ce soutien populaire ne permit toutefois pas au texte d’être adopté, mais certaines villes décidèrent de mettre en place une telle interdiction à l’échelle locale. Ce fut notamment le cas en 2020 de Shenzhen et Zhuhai, toutes deux situées au sud du pays.

 

Ce faisant, ils suivirent l’exemple de Taiwan, qui fit interdire dès 2001 à la fois le commerce et la consommation de la viande de chien. La loi du pays fut même révisée en 2017 pour accroître les sanctions infligées aux contrevenants : ainsi, toute personne qui mange de la viande de chien risque désormais une amende de 250.000 dollars taiwanais (environ 7500 euros, ou 11.000 dollars canadiens), tandis qu’en faire le commerce expose à une peine de prison pouvant aller jusqu’à 2 ans ainsi qu’à une amende de 2 millions de dollars taïwanais (environ 60.000 euros, ou 85.000 dollars canadiens).

 

À Hong Kong, le commerce de la viande de chat ou de chien est également interdit et passible d’une peine de prison depuis 1950, année durant laquelle le gouvernement britannique qui administrait alors la zone présenta la Dogs and Cats Ordinance, destinée notamment à légiférer sur la question. En revanche, comme dans de nombreux pays, la consommation de viande de chien n’est pas interdite.

La consommation de viande de chien en Corée du Sud

Des chiens en cage dans un marché en Corée du sud
Un marché à viande de chien à Geomdan, en Corée du sud

En Corée du Sud, on désigne par « gaegogi » le fait de consommer de la viande de chien. L’ONG Korea Animal Rights Advocates estime que jusqu’à un million de chiens sont consommés chaque année, mais comme en Chine cette consommation est en baisse.

 

Elle existe en tout cas un peu partout sur le territoire, mais d’après un sondage mené entre juin 2020 et septembre 2020 par l’institut Nielsen et commandé par l’association Humane Society International, elle est surtout présente à Incheon (province de Gyeonggi, au nord-ouest du pays) et dans les villes de Busan, Daegu et Ulsan (dans ce qui était autrefois la province de Gyeongsang, au sud-est du pays).

 

Quel que soit l’endroit, la majorité des restaurants qui servent de la viande de chien le font toute l’année. En revanche, en dehors des restaurants, les plats à base de chien se consomment surtout l’été, et plus particulièrement lors des jours les plus chauds de l’année. La croyance veut en effet que la viande de chien permette de regagner l’énergie perdue à cause de la chaleur. Il semble cependant que cette viande séduise de moins en moins les Coréens.

 

Différentes enquêtes effectuées par l’ONG Humane Society International permettent ainsi d’établir que non seulement la consommation de viande de chien est minoritaire dans le pays, mais surtout qu’elle recule. En 2020, 84% de la population déclarait ainsi ne pas manger de viande de chien. Cette pratique reste cependant bien ancrée dans les mœurs, puisque « seuls » 59% des personnes interrogées se disaient favorable à une interdiction totale de la cynophagie. Ce chiffre est toutefois en nette progression, puisqu'il ne dépassait pas 35% lors d’un sondage équivalent effectué en 2017. En outre, 48% des sondés déclarèrent que pour eux la viande de chien n’était pas associée à la culture coréenne moderne, alors qu’ils n’étaient que 29% à avoir cet avis en 2017.

 

Le marché de Moran, réputé pour la viande de chien
Le marché de Moran, réputé pour la viande de chien

L’analyse des chiffres de vente du marché de Moran, situé à Seongnam (dans le nord-ouest du pays) et spécialisé dans son commerce, confirme ce recul. En effet, d’après deux ONG coréennes, l’Association nationale des militants pour la protection des animaux et l’Association coréenne pour la protection des animaux, le nombre de chiens abattus sur le marché est passé d’environ 80.000 par an avant 2016 à autour de 20.000 en 2017.

 

Il faut dire que comme le festival de Yulin en Chine, ce marché fait l’objet d’une forte pression de la part d’activistes locaux et internationaux. La vente de viande de chien y devint même en théorie interdite à partir de 2016, mais l’activiste britannique Sian Davies y filma en 2018 des chiens bel et bien présentés à la vente et destinés à la consommation. Dans une interview accordée en août 2018 à un journal britannique, elle déclara qu’elle ne vit aucun chien abattu au cours de son reportage, mais était certaine que cela se faisait, puisqu'on trouvait des chiens vivants sur les étalages.  

 

Signe de l’évolution des mentalités à ce sujet, le parlement coréen a fini par adopter en 2024 une loi interdisant la vente de cette viande. L’abattage d’un chien devient passible d’une peine de trois ans de prison ferme, tandis qu’une personne élevant des chiens destinés à cet usage encourt jusqu’à deux ans d’incarcération. Elle n’entrera toutefois en vigueur qu’à partir de 2027, c’est-à-dire qu’une période de grâce de trois ans est prévue afin de permettre aux acteurs concernés de mettre fin à leur activité et se reconvertir.

 

Cela dit, il convient de souligner que même avant cela, la viande de chien ne figurait déjà pas jusqu'alors dans la liste des produits comestibles autres que les médicaments, établie par le ministère de la Sécurité sanitaire des aliments et des médicaments. En outre, il existait déjà des interdictions au niveau local. C’était le cas par exemple à Séoul, la capitale, où la viande de chien était classifiée depuis 1984 comme « nourriture répugnante » (« hyeom-o sigpum »). En 2018, une cour de justice du pays statua même que la consommation de sa viande n’était pas une raison juridiquement valable de tuer un chien. Le jugement portait sur une affaire opposant une association luttant pour les droits des animaux à une ferme spécialisée dans l’élevage canin à des fins de consommation.

 

Autrement dit, la loi votée en 2024 s’inscrit dans la continuité de nombreuses initiatives prises tout au long des décennies précédentes. Au moment de son adoption, il existait 3000 fermes destinées à la production de viande à chien, qu’elle voue donc à la fermeture. Cela dit, il ne s’agissait là que des établissements officiellement enregistrés : d’autres ne l’étaient pas et continuent d’alimenter un marché parallèle et illégal.

La consommation de viande de chien au Vietnam

Une vendeuse de chiens rôtis au Vietnam
Une vendeuse de chiens rôtis au Vietnam

Avec d’après les associations pas moins de 5 millions de chiens tués chaque année pour être consommés, le Vietnam est dans l’absolu le deuxième plus gros consommateur de viande de chien au monde après la Chine, et de loin le premier quand on ramène à la population.

 

La viande de chien y est principalement populaire dans le nord du pays. C’est un mets qu’on réserve davantage aux moments festifs, aux réunions de famille ou entre amis, et aux grandes occasions. Elle se consomme toute l’année, mais est surtout appréciée l’hiver, car on dit qu’elle réchauffe le sang. Elle y est également vantée pour ses prétendues propriétés médicinales et pour sa capacité à augmenter la virilité des hommes. Quoi qu’il en soit, le commerce de cette viande ne fait l’objet d’aucune réglementation, notamment en matière d’abattage ou de respect de règles d’hygiène.

 

Toutefois, la cynophagie y est aussi sujette à controverse, d’autant que les chiens vendus pour leur viande sont souvent des animaux errants ou qui ont été volés à leur propriétaire, et non des animaux d’élevage. De fait, même si manger du chien demeure une habitude bien ancrée dans l’esprit des Vietnamiens, les choses évoluent très rapidement.

 

Ainsi, en 2018, les autorités locales d’Hanoi demandèrent aux habitants de ne plus manger de chien afin de ne pas ternir l’image de la ville auprès des touristes étrangers, alors qu’elles s’efforcent de présenter une capitale « moderne et civilisée ». Cette demande était aussi motivée par des raisons sanitaires, avec l’objectif de prévenir d’éventuelles épidémies de rage ou de leptospirose, qui sont des maladies transmissibles du chien à l’Homme.

 

En 2019, à Hô Chi Minh, le Bureau chargé de la régulation des normes sanitaires liées à la nourriture demanda également aux habitants de la ville d’arrêter de consommer de la viande de chien pour des raisons de santé similaires à celles évoquées à Hanoi, là aussi sans pour autant imposer de mesure concrète visant à limiter voire interdire cette pratique.

 

Il faut dire qu’en 2009, les autorités vietnamiennes découvrirent que l’épidémie de choléra qui toucha le nord du pays cette année-là était due à la présence de la bactérie vibrio cholerae (ou bacille virgule) dans de la viande de chien. En orientant la population vers d’autres types de viandes, elles espèrent prévenir de futurs épisodes épidémiques similaires.

 

Enfin, si les Vietnamiens commencent à diminuer leur consommation de viande de chien, c’est aussi parce que leur niveau de vie augmente : de ce fait, ils sont de plus en plus nombreux à adopter un chien comme animal de compagnie. Par conséquent, c’est la perception même de cet animal qui évolue.

La consommation de viande de chien au Cambodge

Un plat de viande de chien dans un restaurant en Asie

Au Cambodge, la consommation de viande de chien est en forte croissance depuis plusieurs décennies. D’après une étude menée entre décembre 2018 et mai 2019 par les ONG Animal Rescue Cambodia et Four Paws, ce sont chaque année pas moins de 3 millions de chiens qui y seraient tués pour leur viande. Si ces chiffres sont avérés, et compte tenu du fait que le pays ne compte que 17 millions d’habitants, le Cambodge serait en fait le plus gros consommateur de viande de chien au monde quand on ramène à la population. Aucune donnée officielle ne permet toutefois de confirmer les estimations de ces associations.

 

Quoi qu’il en soit, cette viande y est principalement consommée par les hommes jeunes et issus de milieux populaires, mais aussi par les femmes enceintes et celles qui viennent d’accoucher, sur recommandation de leur médecin traitant.

 

Pourtant, contrairement à d’autres pays comme la Chine ou la Corée, la cynophagie ne fait pas partie historiquement de la culture cambodgienne. Elle s’est implantée dans le pays à partir de la seconde moitié du 20ème siècle, sous l’effet combiné de l’influence d’autres cultures asiatiques et de la hausse du prix d’autres types de viande.

 

Les choses pourraient toutefois évoluer rapidement dans le sens inverse. Ainsi, en juillet 2020, la province de Siem Reap (où se trouve notamment le célèbre complexe archéologique d’Angkor, et qui attire de ce fait beaucoup de touristes étrangers) a fait interdire le trafic et la consommation de viande de chien pour limiter la propagation de certaines maladies comme la rage.

La consommation de viande de chien dans les autres pays d’Asie

Sans y être aussi répandue qu’en Chine, en Corée du Sud, au Vietnam ou au Cambodge, la consommation de viande de chien existe également dans d’autres pays asiatiques, à commencer par  l’Indonésie, les Philippines et la Thaïlande.

La consommation de viande de chien en Indonésie
Un chien muselé et placé dans un sac pour limiter ses mouvements
Une affiche de l'association Dog Meat Free Indonesia

La consommation de viande de chien est en hausse en Indonésie, y compris chez les musulmans, qui représentent pourtant 87,5% de la population et dont la religion stipule qu’elle est haram, c’est-à-dire interdite.

 

Un collectif d’ONG locales ayant formé la coalition Dog Meat Free Indonesia estimait en 2019 à un million le nombre de chiens tués pour leur viande chaque année. Pourtant, celle-ci ne figure pas sur la liste des aliments autorisés par le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, si bien que son commerce est donc illégal dans le pays.

 

En dehors de la population musulmane, elle est aussi consommée de façon traditionnelle par les Torajas qui peuplent les régions montagneuses du nord de la province de Sulawesi du Sud (sur l’île de Célèbes), par les habitants de Sulawesi du Nord (plus précisément à l’extrémité orientale de la péninsule de Minahasa), ceux des îles Maluku ainsi que de la Sonde orientale, et enfin par les Bataks qui peuplent le Sumatra du Nord.

La consommation de viande de chien aux Philippines
Un chien muselé

Aux Philippines, une loi interdit depuis 1998 l’abattage de chiens. Toutefois, les efforts pour la faire appliquer sont limités, si bien que la consommation de viande de chien perdure dans le pays.

 

Les données manquent pour chiffrer cette pratique, mais le trafic illégal de viande de chien est principalement concentré dans la ville de Baguio (dans l’ouest de Luzon, l’île principale du pays).

La consommation de viande de chien en Thaïlande
Des dizaines de chiens dans un marché

La Thaïlande n’a jamais été une grande consommatrice de viande de chien. Les rares amateurs se situent pour la plupart dans le nord-est du pays ou sont issus de communautés d’immigrants vietnamiens.

 

En revanche, avec jusqu’en 2013 autour de 200.000 chiens transportés chaque année vers le Vietnam pour y être mangés, elle figurait parmi les plus gros exportateurs de chiens à des fins de consommation au monde. Une loi passée en 2014 contre la cruauté animale a rendu le commerce de la viande de chien et son exportation illégaux, mais l’absence de données après 2013 ne permet pas de dire à quel point elle a effectivement eu un impact.

La consommation de viande de chien en Afrique : une pratique en plein essor

Un marché de chiens à viande au Nigéria
Un marché de chiens à viande au Nigéria

Si la cynophagie ne date pas d’hier sur le continent africain, elle relève aujourd’hui moins d’une tradition culinaire (comme c’est le cas en Asie) que de motivations économiques, car il s’agit d’une viande bon marché.

 

Elle est facilitée par le fait que les animaux domestiques, à commencer par le chien et le chat, ne bénéficient pas de la même considération qu’en Occident.

 

Pour autant, contrairement par exemple à la Corée du Sud, il n’existe pas vraiment en Afrique d’élevage industriel de chiens destinés à la consommation. Ceux qui sont abattus à cette fin sont en majorité errants, vendus par leur propriétaire pour des raisons financières, ou même volés par des trafiquants. 

 

Ceci contribue d’ailleurs à expliquer pourquoi il est difficile de disposer de statistiques sur la consommation de viande de chien en Afrique. En tout état de cause, il ne faut pas perdre de vue que cette pratique se cantonne à quelques pays - et même plus précisément à quelques régions au sein desdits pays.

 

Comme ailleurs, elle est souvent corrélée au niveau de vie, même si ce n’est pas systématiquement le cas, car des facteurs culturels peuvent aussi entrer en compte.

La consommation de viande de chien au Cameroun

Un cuisinier africain prépare du chien dans une marmite
Un cuisinier africain prépare du chien dans une marmite

On trouve au Cameroun des restaurants spécialisés dans la viande de chien. De fait, elle est très appréciée des habitants, qui en consomment régulièrement tout au long de l’année. Au centre du pays, elle est même considérée comme une spécialité locale.

 

Il faut dire en effet qu’elle est parée de vertus protectrices et supposée immuniser contre le mauvais sort ceux qui en consomment.

La consommation de viande de chien au Ghana

Des chiens attachés en laisse dans un marché en Afrique

Si le Ghana est un des pays d’Afrique ayant connu la plus forte croissance économique depuis le début du 21ème siècle, son économie reste fragile. Ainsi, un quart de la population demeure sous le seuil de pauvreté.

 

La viande de chien y est donc très populaire, car elle est peu coûteuse en comparaison de celle de porc, de bœuf, de poulet ou de mouton. En conséquence, les consommateurs s’orientent davantage vers cette viande : son commerce est en pleine croissance, au point d’ailleurs de faire diminuer la population canine du pays - notamment dans les villes de l’Est.

 

Toutefois, il est très mal encadré. Ainsi, les animaux ne sont pas nécessairement abattus dans de bonnes conditions, et la viande est souvent préparée sans respecter certaines normes élémentaires d’hygiène.  

La consommation de viande de chien au Nigéria

Des chiens attachés en laisse dans un marché au Nigéria
Le plus grand marché de viande de chien du Nigéria, à Dawaki

La viande de chien se trouve parfois au menu des restaurants du Nigéria.

 

C’est au demeurant un des rares pays d’Afrique pour lequel on dispose de données chiffrées sur la cynophagie. Ce sont ainsi environ 70.000 chiens qui sont consommés chaque année, pour une population d’environ 220 millions d’habitants.

 

La pratique reste donc marginale, mais perdure notamment grâce à certaines croyances. En effet, une partie des consommateurs sont convaincus que cette viande peut les protéger contre des maladies comme la malaria et le paludisme, ou encore contre le mauvais sort.

 

La réalité est nettement moins idyllique, puisque le virus de la rage a été détecté dans la salive et le tissu cérébral de 5% des chiens abattus pour être mangés. Il est tué lorsque la viande est cuite (sous réserve qu’elle le soit correctement !), mais il n’en reste pas moins un risque de transmission lors de la manipulation des animaux avant l’abattage. 

 

Les parties génitales des mâles sont également consommées, car elles sont supposées avoir des vertus aphrodisiaques et soigner l’impuissance sexuelle. Leur prix est nettement plus élevé que le reste du corps de l’animal.

La consommation de viande de chien en République Démocratique du Congo (RDC)

Des chiens attachés à des branches d'arbres en Afrique

La viande de chien a la côte en RDC, pour les mêmes raisons économiques qu’au Ghana ou ailleurs.

 

Toutefois, dans certaines zones du pays, la cynophagie relève également d’une tradition ancestrale. Par exemple, dans la province du Kasaï, la viande de chien est consommée à titre exceptionnel par des initiés lors de certains rituels du peuple des Lubas, l’une des ethnies les plus importantes du pays.

La consommation de viande de chien au Togo

Une femme préparant de la viande de chat et de chien

Au Togo, la viande de chien se consomme surtout dans la région de Kara, au nord du pays. La tradition veut que lorsqu’ils atteignent 18 ans, les garçons du peuple kabyè en mangent pour la première fois au cours d’un rite de passage. Ils sont ensuite libres de continuer à en consommer toute leur vie durant, mais cette viande est interdite aux femmes. En effet, elle est supposée donner de la force aux hommes et améliorer leurs performances sexuelles ; impossible donc pour les femmes d’accéder à cette nourriture dite virile.

 

Le chien n’est cependant pas une viande qui s’achète sur les marchés ou qui se consomme au restaurant : le groupe qui s’apprête à en consommer s’occupe lui-même d’abattre les chiens et de la préparer.

 

Elle est particulièrement consommée au cours du troisième trimestre, au moment de la fête traditionnelle Evala. Celle-ci constitue un autre rite de passage durant lequel les jeunes Kabyès qui ont fêté leurs 18 ans s’affrontent dans des matchs de lutte. Elle est alors supposée renforcer les muscles des lutteurs.

La viande de chien, une viande comme les autres ?

Le chien et le cochon, deux espèces très proches ?

Un chien et un cochon dans un jardin

Tout au long des siècles, les explorateurs européens partis à la conquête de l’Amérique, de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Océanie furent nombreux à décrire leur surprise en constatant que dans les cultures qu’ils découvraient, on pouvait tout aussi bien servir un plat à base de chien que de porc ou de poulet. Pourtant, l’étonnement était parfois réciproque.

 

Les Polynésiens par exemple avaient bien du mal à comprendre pourquoi les Européens opéraient une telle distinction entre les cochons et les chiens, alors que les deux espèces présentaient un degré d’intelligence et de domestication similaire. Dans un article intitulé « Domestication: an examination of the changing social relationships between man and animals », publié dans le numéro 22 de la revue scientifique Kroeber Anthropological Society Papers, l’anthropologiste James F. Downs, en se basant sur une hypothèse de son homologue W.Eberhardt, insiste ainsi sur la similarité du rôle que les deux espèces jouèrent pendant longtemps dans certaines cultures :

 

« W. Eberhardt a suggéré au cours d’une conversation et en basant son opinion sur ce qu’il a vu en Asie et au Proche-Orient, que le cochon et le chien ont très bien pu être perçus comme des espèces culturellement équivalentes dans de nombreuses parties du globe. Cette hypothèse semble plausible, en particulier en Asie et au Proche-Orient, où les conditions d’existences des deux animaux sont semblables et peuvent, comme il l’a supposé, découler d’un processus de domestication similaire. Cela permet aussi de procéder à une analyse fonctionnelle du rôle du chien dans des endroits comme le Mexique précolombien, où certaines races de chiens étaient élevées et mangées tandis que d’autres servaient à la chasse ou étaient utilisés comme animaux de compagnie. »

Les qualités nutritionnelles de la viande de chien

L’interchangeabilité entre le chien et le cochon s’appuie également sur le fait que la valeur nutritionnelle des deux espèces est similaire. Il existe toutefois des différences : la viande de chien est moins riche en protéines que celle de porc (19 grammes pour 100 grammes de viande, soit environ un tiers de moins), mais comporte en revanche davantage de fer et de vitamine C. Elle est pauvre néanmoins en vitamine B et en calcium.

 

Plus précisément, leurs valeurs nutritionnelles respectives sont les suivantes :

 

100 g de viande de chien 100 g de viande de porc

Énergie

262 kcal


Glucides

0,1 g


Fibres

0 g


Lipides

20,2 g


Protéines

19 g


Vitamines

A : 3,6 μg
B1 : 0,12 mg
B2 : 0,18 mg
B3 : 1,9 mg
C : 3 mg


Minéraux

Calcium : 8 mg
Fer : 2,8 mg
Potassium : 270 mg
Sodium : 72 mg

Énergie

242 kcal


Glucides

0 g


Fibres

0 g


Lipides

14 g


Protéines

27 g


Vitamines

A : 3,6 μg
B1 : 0,7 mg
B2 : 0,2 mg
B3 : 4,7 mg
C : 0,6 mg


Minéraux

Calcium : 19 mg
Fer : 0,9 mg
Potassium : 423 mg
Sodium : 62 mg

 

 

En théorie, la viande de chien est donc parfaitement adaptée aux besoins nutritionnels d’une personne suivant un régime omnivore.

Les risques sanitaires de la viande de chien

Un stand de viande de chien grillée à la sauvette à Hanoï, au Vietnam
Un stand de viande de chien grillée à la sauvette à Hanoï, au Vietnam

Parfaitement apte à être consommée en théorie, la viande de chien présente toutefois dans la pratique bien plus de risques pour la santé des humains que celle de porc :

 

  • elle peut être infectée par la rage, qui touche un nombre important de chiens dans de multiples endroits du monde. Or, elle fait partie des maladies qu’ils sont susceptibles de transmettre à l’Homme, même morts. Certes, d’autres animaux d’élevage comme les vaches et les cochons peuvent eux aussi être contaminés par ce virus, mais ils font l’objet d’un contrôle sanitaire généralement plus rigoureux, si bien que les risques sont moindres ;

  • elle peut aussi être infectée par le parasite à l’origine de la trichinellose, une maladie transmissible à l’Homme lorsque la viande n’est pas assez cuite. Elle est susceptible d’occasionner de nombreux symptômes, parfois graves : fièvre, douleurs abdominales, diarrhées, nausées, vomissements, altération de l’état général, atteintes musculaires, œdème au visage… Les cochons ne sont pas épargnés par ce parasite, mais la probabilité de transmission est plus faible, car dans la plupart des pays leur élevage est encadré afin notamment de limiter ce risque - ce qui est moins le cas pour les chiens ;

  • des cas de choléra ont également été signalés chez des consommateurs de viande de chien, notamment au Vietnam. Ils sont dus aux mauvaises conditions sanitaires lors du transport des animaux ainsi que dans les abattoirs ;

  • les chiens sont souvent résistants aux antibiotiques et donc susceptibles de contracter divers autres types de maladies, en particulier lorsqu'ils sont entassés dans des fermes regroupant des individus destinés à être consommés. Pour contrer le manque d’efficacité des antibiotiques, les éleveurs tentent d’augmenter le dosage en cas de maladie, mais cette stratégie peut mener à l’apparition de superbactéries capables de causer des zoonoses, c'est-à-dire des maladies transmissibles à l'être humain.

Comment cuisine-t-on la viande de chien ?

Deux soupes coréennes traditionnelles à base de chien
Deux soupes coréennes traditionnelles à base de chien

Au même titre que celle du porc, du bœuf ou du poulet, la préparation de la viande de chien dépend des traditions culinaires locales. Par ailleurs, lorsqu’il y a réellement plusieurs choix possibles, il arrive que certaines races soient privilégiées.

 

C’est le cas en Corée du Sud, où les chiens de prédilection des cuisiniers sont le Tosa Inu et le Jindo Coréen. Ils sont ainsi considérés comme « nureongi », c’est-à-dire des chiens à viande, et font fréquemment l’objet d’un élevage intensif dans les fermes canines produisant des chiens destinés à la consommation. Cela dit, ces races ne sont pas les seules à avoir ce « privilège » : le Labrador Retriever, le Golden Retriever, le Cocker Spaniel, le Border Collie, le Saint-Bernard, le Lévrier Greyhound, le Beagle, le Shih Tzu, le Shar-Peï et le Lhassa Apso sont également utilisés en cuisine. Quelle que soit sa race, le chien y est notamment servi en soupe (Boshintang).

 

Au Vietnam, il existe pas moins de 7 plats typiques à base de chien. On le consomme aussi bien cuit à la vapeur dans une sauce à la crevette (Ruan Man), qu’en grillade (Cha Cho) ou encore frit (Cho Xao Sa Ot). Contrairement à la Corée du Sud, on ne privilégie pas telle ou telle race.

 

En Chine, c’est généralement en soupe ou en ragout que la viande de chien se consomme, mais elle peut également être servie rôtie, ou même froide en guise d’amuse-gueule. Aucune race n’est spécifiquement destinée à la consommation ou privilégiée pour cet usage, mais comme dans la plupart des pays les cuisiniers préfèrent les chiots aux chiens adultes, car leur chair est plus tendre.

 

En Afrique, la viande peut-être blanchie et fumée, comme c’est souvent le cas au Nigéria, ou servie en soupe, comme au Cameroun.

 

Enfin, en Suisse et en Allemagne, c’est principalement sous forme de viande séchée et de saucisses que le chien se consomme. Là non plus, les traditions cynophages locales ne privilégient aucune race en particulier.  

Et le hot-dog dans tout ça ?

Un chien portant un costume de hot-dog

Si le chien peut être considéré par certains comme un plat comme un autre, il n’est pas interdit de s’interroger sur l’origine du hot-dog, ce célèbre sandwich new-yorkais vendu à plus de 20 milliards d’unités chaque année rien qu’aux États-Unis, d’après les chiffres du National Hot Dog and Sausage Council. À l’origine, le « chien chaud » était-il donc un sandwich à base de chien ?

 

Son nom pourrait en fait n’être qu’une simple boutade, et inspiré de la forme « en saucisse » des Teckels qui au 19ème siècle accompagnaient bien souvent les immigrants allemands aux États-Unis.

 

Toutefois, depuis le début du 19ème siècle, les Américains appelaient aussi « dogs » les saucisses de Francfort des bouchers. En effet, la rumeur disait que leur viande pourrait provenir de chiens. Quand le sandwich contenant une de ces saucisses fut inventé au cours de la seconde moitié du 19ème siècle, le nom « dog » était déjà bien ancré dans l’inconscient collectif, et y resta.

 

Deux siècles plus tard, et jusqu’à preuve du contraire, on a la certitude que la saucisse de Francfort utilisée a toujours été faite à base de viande de porc et non de chien.

Conclusion

« Tous ceux qui en avaient mangé déclarèrent qu’ils n’avaient jamais mangé viande plus savoureuse et que désormais ils ne mépriseraient plus la viande de chien », déclara l’explorateur britannique James Cook (1728-1779) après son périple en Polynésie en 1769.

 

Qu’on le croie ou non, il n’y a rien d’un point de vue culinaire et diététique qui justifie de consommer de la viande de porc ou de bœuf, mais de ne pas en faire autant pour celle de chien. D’ailleurs, les organismes de santé et autorités qui s’en prennent à cette pratique insistent d’abord et avant tout sur les questions sanitaires, qui sont souvent liées au caractère confidentiel - voire illégal – du commerce de la viande de chien destinée à être consommée. Elles ne remettent généralement pas en question les qualités nutritives de cette dernière.

 

Au niveau éthique, la question est évidemment tout autre. Les amateurs de viande de chien ont beau jeu de répondre aux associations de défense des animaux que la relation privilégiée qui existe entre le chien et l’être humain dans les pays occidentaux est affaire de pratique culturelle, et qu’il est parfaitement arbitraire de réserver un traitement si particulier à cet animal plutôt qu’à tel ou tel autre – par exemple le cochon. L’argument a du sens, mais ne doit pas faire oublier que la consommation de viande de chien est aussi souvent synonyme de maltraitance, de vols et d’abus, tant il s’agit là d’une pratique généralement peu ou mal encadrée par la loi.

 

En tout état de cause, s’il est indéniable que dans certains endroits la consommation de viande de chien est ancrée depuis longtemps dans les pratiques culturelles et culinaires locales, il l’est tout autant que cela n’est pas toujours le cas : elle est parfois davantage motivée par des raisons économiques que par le respect d’une tradition. C’est la pauvreté qui pousse en effet certaines populations à se tourner vers cette viande bon marché qu’on retire de plus en plus souvent des menus des pays en voie de développement comme la Chine, mais qui intègre au contraire celui des pays où la misère continue de faire des ravages.  

Par Nicolas C. - Dernière modification : 04/05/2024.

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