Depuis son ouverture forcée au milieu du 19ème siècle, le Japon ne cesse de fasciner l’Occident et d’exporter différents aspects de sa culture : sa gastronomie, sa musique, son cinéma… Depuis quelques années, on observe également un intérêt croissant pour les races de chiens japonaises, à commencer par le Shiba Inu et l’Akita Inu.
Pour autant, celles-ci sont-elles prophètes en leur pays ? Connus pour cultiver souvent une certaine préférence nationale, les Japonais agissent-ils de même au moment de choisir quelle race de chien adopter ?
Voici quelques informations sur les chiens dans l’archipel, suivies d’un passage en revue des 10 races qui y sont les plus populaires, sur la base du nombre d'enregistrements cumulés auprès du Japan Kennel Club (JKC) entre 2019 et 2023.
D’après une étude de marché publiée en 2021 par le GAIN (Global Agriculture Information Network) et le USDA (United States Department of Agriculture) consacrée au marché japonais des aliments pour animaux de compagnie, on comptait 8,5 millions de chiens domestiques au Japon en 2020. L’archipel était alors le dixième pays en comptant le plus au monde, avec une moyenne d’un pour 14 habitants.
Ce ratio est toutefois inférieur à celui qu’on observe dans la plupart des pays ayant un niveau de développement comparable. Par exemple, il est cinq fois moins élevé que celui du Canada et quatre fois moins que celui des États-Unis, qui sont d’ailleurs le pays avec dans l’absolu le plus grand nombre de chiens de compagnie (environ 90 millions). Il est aussi presque deux fois plus faible que ceux de l’Allemagne et de la France.
Le nombre de chiens enregistrés au Japon est par ailleurs en décroissance constante depuis 2008 : d’après les statistiques d’Euromonitor International, l’archipel comptait alors 13 millions de canidés.
Plusieurs raisons structurelles peuvent expliquer cette désaffection. D’abord, le taux d’urbanisation du pays est très élevé, et continue d’augmenter. Ainsi, selon les chiffres de la Banque Mondiale, 92% des Japonais vivaient en ville en 2022, dont une fraction non négligeable dans des immenses métropoles comme Tokyo, Osaka ou Nagoya : les logements étant souvent assez étroits, il n’y est pas forcément possible de cohabiter aisément avec un chien. En outre, nombre de propriétaires choisissent d’interdire à leurs locataires de posséder un chien – a fortiori en ville. Il faut dire que les chiens sont perçus comme plus sales et moins discrets que les chats, qui eux en revanche jouissent d’une popularité nettement plus stable ; le Japon en compte un peu plus de 9 millions, selon les chiffres du GAIN et de l’USDA. Enfin, le vieillissement de la population japonaise contribue sans doute à la diminution du nombre de chiens dans le pays. En effet, en 2021, près de 29% des habitants avaient 65 ans ou plus, d’après des données du National Institute of Population and Social Security Research : cela représente une augmentation de presque 50% en une quinzaine d’années à peine, puisque cette part était de 20% en 2005. Or, les statistiques de la Japan Pet Food Association (JPFA) montrent que les personnes âgées sont moins susceptibles que les autres de posséder un chien : seules 9,2% des 70 à 79 ans en avaient un en 2021, contre 11,3% au niveau de la population dans son ensemble (tous âges confondus).
Les chiffres d’enregistrements de chiens de race auprès du Japan Kennel Club (JKC) permettent quant à eux de connaître plus en détails les préférences des Japonais en la matière. Fondé en 1949, celui-ci est l’organisme cynologique de référence du pays : il s’occupe ainsi notamment de répertorier les chiens de race et délivrer leurs pedigrees, d’organiser des expositions canines, etc. Il est membre de la Fédération Cynologique Internationale (FCI), qui regroupe les organismes similaires d’une centaine de pays.
Il ressort de ses statistiques annuelles que les Japonais qui adoptent un chien privilégient très largement des races de petite taille, ce qui n’est pas vraiment surprenant au vu de certains facteurs évoqués précédemment. Ainsi, même le Golden Retriever et le Labrador, pourtant sur le podium des races les plus populaires dans beaucoup de pays, ne font pas partie des dix plus présentes au Japon : dans les chiffres cumulés de la période 2019-2023, elles figurent respectivement au 11ème et 13ème rang. La seule race de taille moyenne qui figure dans le top 10 n’est autre que le Shiba Inu, et même lui ne cesse de perdre des places malgré ses origines nippones.
Le Caniche est depuis 2008 la race de chien la populaire au Japon. De 2019 à 2023, le Japan Kennel Club (JKC) en a enregistré en moyenne un peu plus de 80.000 par an, dont une écrasante majorité appartenant à la variété Toy, la plus petite parmi les quatre que compte cette race.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que les Japonais soient amoureux du Caniche. Ce dernier peut en effet vivre dans un espace restreint et perd peu de poils, ce qui est idéal quand on ne possède pas de jardin.
Il faut aussi avoir en tête que beaucoup de Japonais aiment habiller ou coiffer leur compagnon. Le tempérament calme et docile de ce chien ainsi que son pelage malléable à souhait par son maître ou un toiletteur sont donc des atouts susceptibles d’expliquer eux aussi son succès dans l’archipel. Cela donne d’ailleurs parfois des résultats particulièrement « kawaii » (« mignons », en français)…
Bien qu’il soit nettement distancé par le Caniche, le Chihuahua se classe en deuxième position parmi les races préférées des Japonais, avec en moyenne un peu plus de 50.000 spécimens enregistrés auprès du JKC chaque année entre 2019 et 2023.
Il était encore plus populaire à l’aube du 21ème siècle, avec un peu plus de 85.000 enregistrements annuels au milieu des années 2000, mais ce chiffre est en constante décroissance depuis.
En tout cas, ce chien au tempérament affectueux a besoin de peu d’exercice et de peu d’espace : il correspond donc parfaitement au style de vie des Japonais, qui vivent en majorité dans des grandes villes et des logements étroits.
Son très petit format (il pèse normalement moins de 3 kg et mesure de 16 à 20 cm) est aussi un atout considérable pour les nombreux maîtres qui préfèrent promener leur chien dans leurs bras ou dans une poussette plutôt que de le laisser marcher en laisse.
Enfin, comme le Caniche, le Chihuahua perd peu ses poils et bave peu, ce qui facilite l’entretien du logement.
Avant que le Caniche ne le détrône, le Teckel était le chien préféré des Japonais. Au pic de sa popularité, en 2003, un peu plus de 171.000 spécimens furent enregistrés au JKC en une seule année. Entre 2019 et 2023, ils n’étaient plus que 28.000 par an en moyenne, ce qui laisse tout de même le Teckel sur la troisième marche du podium.
Comme le Caniche, il se décline en plusieurs variétés, et ce sont les deux plus petites qui sont les plus appréciées au Japon – c’est-à-dire le Teckel Nain et le Kaninchen. Toujours sur la période 2019-2023, le premier a représenté près de 21.000 enregistrements annuels, et le second environ 7.000 Teckel. Le Teckel Standard n’a pas dépassé en moyenne la centaine de spécimens par an.
Même si le Teckel n’est plus aussi populaire que par le passé au Japon, une des raisons qui y expliquent son succès est sa discrétion. En effet, il aboie peu : un aspect loin d’être négligeable dans une culture où déranger son voisin à cause du bruit est considéré comme particulièrement inconvenant.
De 2019 à 2023, un peu moins de 20.000 Loulous de Poméranie (ou Poméraniens, ou Spitz Nains) ont été enregistrés chaque année auprès du JKC, ce qui situe la race à la quatrième place du classement au cours de cette période.
Le nombre d’enregistrements est d’ailleurs à peu près le même depuis au moins le tournant du 21ème siècle, faisant preuve d’une grande stabilité. Cela a d’ailleurs permis à la race de gagner quelques places au top 10 par rapport à cette époque, profitant du désamour touchant d’autres races et surtout de la diminution du nombre global d’adoptions.
Particulièrement mignon, ce petit chien correspond aux désirs des Japonais : de la même façon que pour d’autres races de cette liste, le Loulou de Poméranie peut facilement être porté dans les bras ou promené en poussette.
Le Schnauzer Nain est entré en 2004 dans le top 10 des races avec chaque année le plus grand nombre de nouveaux enregistrements auprès du JKC, et ne l’a plus quitté depuis. Il a continué à gravir quelques échelons au cours des deux décennies suivantes, au point de se situer à la cinquième place sur la période 2019-2023, avec en moyenne 12.000 inscriptions par an.
Comme son nom l’indique, le Schnauzer Nain prend peu de place : il s’adapte donc très bien à la vie en appartement. En outre, il ne nécessite pas de passer constamment l’aspirateur derrière lui, puisqu’il perd peu ses poils. Néanmoins, il a besoin d’un peu plus d’exercice (environ une heure par jour) que les chiens présents aux quatre premières places de ce classement, ce qui peut s’avérer contraignant notamment pour un propriétaire résidant dans un logement sans jardin ou bien pour une personne âgée.
La cote de popularité du Bouledogue Français a grimpé en flèche un peu partout dans le monde depuis le tournant des années 2010. Au vu des statistiques d’enregistrements annuels auprès des organismes cynologiques concernés (respectivement l’American Kennel Club, la Kennel Union of South Africa et le Kennel Club), il était même par exemple en 2022 la race la plus adoptée aux États-Unis ainsi qu’en Afrique du Sud, et deuxième au Royaume-Uni.
Au Japon, il n’est « que » la 6ème race la plus populaire, avec 11.500 spécimens enregistrés chaque année en moyenne par le JKC entre 2019 et 2023.
En tout cas, il a de quoi plaire aux Japonais, notamment du fait qu’il est très joueur, plutôt propre et qu’il n’a qu’un besoin d’exercice modéré. Même s’il est habituellement catégorisé parmi les petits chiens, il s’agit d’un des canidés les plus lourds du top 10 : cela montre à quel point celui-ci fait la part belle aux petits formats.
On peut mentionner aussi que le Bouledogue Anglais bénéficie également d'une certaine popularité dans l'archipel, puisqu'il se situe aux alentours de la 30ème place au classement. Avec autour de 1.000 enregistrements annuels, il est toutefois largement distancé par son cousin le Bouledogue Français.
Passé de presque 10.000 spécimens enregistrés par le JKC en 2019 à juste un peu plus de 8000 en 2023 (pour une moyenne de 9000 par an sur ces cinq années), le Yorkshire Terrier est un symbole du désamour progressif des Japonais vis-à-vis des chiens. En effet, si on remonte un peu dans le temps, le recul est frappant : au début des années 2000, environ 25.000 Yorkshires Terriers étaient inscrits chaque année auprès du JKC.
Même s’il n’est plus autant apprécié que par le passé, ce chien originaire du Royaume-Uni n’en possède pas moins des caractéristiques qui sont importantes pour la plupart des adoptants japonais. En particulier, il n’a pas besoin de grands espaces pour se défouler et s’adapte très bien à la vie en appartement. En outre, il est très facile de lui donner une apparence « kawaii » en lui attachant des jolis nœuds, ce qui est au demeurant nécessaire si on ne coupe pas les longues mèches sur sa tête : à défaut, elles risquent d’irriter ses yeux.
Seul chien japonais parmi les 10 races les plus appréciés au pays du Soleil levant, le Shiba Inu se situe à la huitième place du classement, avec en moyenne 8800 enregistrements par an auprès du JKC au cours de la période 2019-2023. Il y est cependant de moins en moins populaire, puisque ce nombre se situait plutôt légèrement au-dessus de 12.000 au début des années 2010.
Cette tendance va d’ailleurs à l’encontre de celle qu’on constate dans d’autres parties du monde : sa popularité a plutôt tendance à croire, notamment en Europe occidentale. C’est le cas notamment en France, au point que le nombre d’enregistrements annuels au Livre des Origines Français (LOF) a franchi les 3000 en 2022, alors qu’il était deux fois inférieur cinq ans plus tôt – et même six fois inférieur dix ans plus tôt.
Cela dit, cette race primitive, génétiquement très proche des loups, aurait même bien pu ne pas figurer du tout dans le classement. En effet, les bombardements et les pénuries de nourriture pendant la Seconde Guerre mondiale, combinés à une épidémie de maladie de Carré dans les années qui ont suivies, ont presque causé son extinction. Quelques spécimens ont néanmoins survécu, et permis à la race de perdurer jusqu’à nos jours.
Le Shiba Inu a besoin d’un peu plus d’exercice que la plupart des autres chiens de ce top 10. Il se montre en outre assez têtu, indépendant d’esprit et possède un tempérament fugueur. Ces caractéristiques sont probablement autant de freins pour certains adoptants potentiels.
Le Bichon Maltais se situe à la neuvième position au classement des races établi en fonction du nombre de nouveaux spécimens enregistrés chaque année auprès du JKC, avec une moyenne de 8600 par an entre 2019 et 2023. Ce nombre était nettement plus élevé au début du millénaire, puisqu’il se situait alors plutôt entre 12.000 et 14.000. Ce petit chien semble toutefois connaître un regain de popularité : en 2022, il a franchi la barre des 9000 enregistrements auprès du JKC pour la première fois en 13 ans.
Sa santé robuste et sa longue espérance de vie (de l’ordre de 15 ans) sont des atouts pour qui cherche un compagnon avec qui partager de nombreuses années d’existence. Le Bichon Maltais se montre en outre très sociable et affectueux, ce qui contribue sans doute aussi à expliquer pourquoi il figure dans le top 10 des chiens préférés des Japonais.
Entre 2019 et 2023, près de 8000 Shih Tzu ont été enregistrés chaque année en moyenne auprès du JKC. Cela traduit un effondrement de sa popularité par rapport au tournant du siècle, puisque ce nombre se situait alors plutôt autour des 30.000.
Il faut dire que certains aspects peuvent jouer contre ce petit chien originaire de Chine, un pays historiquement rival et avec qui le Japon continue d’entretenir des relations difficiles. En particulier, il se montre assez têtu, et n’est donc pas très facile à éduquer – voire peut donner pas mal de fil à retordre à un primo-adoptant. En outre, ses longs poils ont tôt fait de former des nœuds et de traîner au sol, ramenant alors des saletés à l’intérieur du foyer.
Le Shih Tzu possède toutefois aussi à l’inverse des caractéristiques désirables aux yeux des Japonais, à commencer par son faible besoin d’activité (une trentaine de minutes de promenade par jour lui suffisent) et sa propension à suivre son maître comme son ombre.
Les petits chiens trustent les premières places du classement des races préférées des Japonais, reléguant hors du top 10 des races pourtant très populaires ailleurs dans le monde comme le Labrador, le Golden Retriever, le Berger Allemand et le Boxer. Ces chiens sont sans doute perçus comme trop encombrants par les habitants de l’archipel, surtout ceux qui vivent dans des logements étroits au sein des grandes métropoles.
Il est également à noter que les Japonais ne se montrent pas particulièrement patriotes dans leurs choix : alors qu’il existe un peu plus d’une dizaine de races de chiens japonaises, le Shiba Inu est la seule à figurer dans le top 10. Au demeurant, il fait l’objet d’une désaffection croissante, au point qu’il risque d’en être rapidement éjecté si la tendance se confirme. Pour trouver la deuxième race locale, il faut s’aventurer bien plus loin dans le classement : il s’agit du Spitz Japonais, qui se situe depuis le début des années 2000 autour de la 30ème place.