L'histoire du Terrier du Tibet

La genèse du Terrier du Tibet

Connu dans son pays d’origine sous le nom ou Tsang Apso, le Terrier Tibétain est un chien de taille moyenne originaire de la province Tsang, située à l’ouest du Tibet (Chine) et centre religieux de cette région. Son ascendance reste floue, mais on suppose qu’il descend du Chien de Montagne du nord du Kunlun (une chaîne de hautes montagnes située près du plateau tibétain) et du Chien de Mongolie-Intérieure (une autre région chinoise, située à la frontière de la Mongolie). On pense aussi qu’il pourrait lui-même être un des ancêtres du Puli.

 

Il est établi en tout cas qu’il s’agit d’une race très ancienne, élevée depuis plus de 2000 ans par les moines bouddhistes vivant à plus de 5000 mètres d’altitude, dans un paysage montagneux inhospitalier et très difficile d’accès. On pense même qu’il serait originaire d’une vallée qui à partir du 14ème siècle fut très longtemps coupée du reste du pays, suite à un tremblement de terre. De fait, il resta longtemps inconnu, car cantonné dans une zone géographique restreinte et à l’écart. Ainsi, les premières traces écrites le mentionnant remontent seulement à 1895. 

 

En tout cas, ce n’était pas un chien comme les autres : il était considéré comme sacré dans sa région natale, et ce depuis la nuit des temps. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il était élevé par les moines, qui lui vouaient un profond respect, et pour laquelle le maltraiter était supposé porter malheur. 

 

Très intelligent, il semble souvent réfléchir avant d’agir : cela explique que les Tibétains le nommaient Dhoki Apso, qui signifie « petite personne poilue comme une chèvre ».

 

Il était aussi perçu comme un porte-bonheur, si bien qu’on ne pouvait pas le vendre, mais seulement l'offrir. À ce titre, il était donné en cadeau aux voyageurs, afin qu’il les guide en toute sécurité sur le chemin du retour.

 

Au quotidien, que ce soit pour les moines, les villageois ou encore les marchands qui se rendaient en Chine, il faisait un gardien très efficace ; il n’était certes pas très impressionnant, mais inspirait le respect et la crainte. 

 

Cela dit, c’est surtout comme chien de berger qu’il était utilisé, afin de rassembler et garder les troupeaux de moutons ou de chèvres – c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui au Tibet. L’été, les bergers avaient coutume de tondre son long pelage, qui était ensuite mélangé à la laine des moutons et utilisé pour confectionner des vêtements et des couvertures.

 

Très polyvalent, il avait aussi d’autres usages tant dans les villages que dans les monastères : son pied très sûr en faisait un très bon guide, il était capable de récupérer des objets tombés à flanc de montagne, et c’était aussi tout simplement un excellent compagnon domestique. 

 

Il convient toutefois de souligner que son nom occidental prête à confusion : le Terrier Tibétain n’est pas et n’a jamais été un terrier, c’est-à-dire un chien employé pour chasser des petits animaux jusqu’au fond de leur terrier. S’il a été inclus dans le groupe des terriers au moment de sa reconnaissance (d’abord par le Kennel Club of India puis par le Kennel Club britannique), c’est probablement à cause de sa taille.

La diffusion du Terrier du Tibet dans son pays d'origine

La diffusion du Terrier Tibétain resta longtemps très confidentielle au Tibet : d’une part parce qu’on ne le trouvait que dans une zone très difficile d’accès située à plus de 5000 mètres d’altitude, et d’autre part parce qu’il s’agissait d’un animal sacré, qu’on ne pouvait pas vendre mais seulement offrir comme porte-bonheur ou en remerciement.

 

Seuls quelques individus furent introduits ponctuellement dans d’autres parties du pays. Dans tous les cas, il n’y eut certainement pas d’introduction massive.

La diffusion internationale du Terrier du Tibet

Les premières importations et l’implantation du Terrier Tibétain en Grande-Bretagne

Il fallut attendre le début du 20ème siècle pour que le monde, et notamment l’Occident, ait vent de l’existence du Terrier Tibétain, grâce au docteur Agnes Greig (décédée en 1972).

 

En 1922, cette chirurgienne anglaise, missionnaire auprès du Women’s Medical Corp of India, sauva la vie d’une patiente et reçut en remerciement un chiot Terrier Tibétain, en l’occurrence une petite femelle qu’elle nomma Bunti. Ce fut le coup de foudre, et Agnes Greig se prit de passion pour cette race. Elle emmena Bunti à une exposition canine qui avait lieu à Delhi (le Delhi Dog Show), et ce chien qu’ils voyaient pour la première fois ne manqua pas de susciter l’intérêt des juges indiens. Ils lui conseillèrent de trouver un partenaire pour sa chienne et d’élever trois générations : si la lignée restait fidèle à l’animal qu’ils avaient sous les yeux, on pourrait considérer qu’il s’agit d’une race pure, et une reconnaissance par le Kennel Club of India (KCI) serait envisageable. En attendant, l’organisme assimila le Terrier Tibétain à ce qui allait devenir le Lhassa Apso : ils se ressemblent beaucoup, et furent donc alors considérés comme les deux variétés d’une même race nommée Lhassa Terrier.

 

Agnes Greig se lança dans l’aventure avec enthousiasme. Des amis tibétains lui trouvèrent Rajah, un mâle susceptible de se reproduire avec Bunti. Elle obtint ainsi une première portée en 1924, puis une seconde l’année suivante. 

 

En 1926, désireuse de faire connaître la race en Occident, elle profita d’un long séjour au Royaume-Uni pour emmener avec elle Bunti et deux de ses descendants : sa fille Chota Turka, issue de la première portée, et Ja-Haz, un mâle de la deuxième portée. Elle les exposa au prestigieux Crufts Dog Show de Birmingham, où ils suscitèrent un vif intérêt et attirèrent l’attention du Kennel Club britannique. À l’instar de son homologue indien, ce dernier les considéra comme une variété du Lhassa Terrier, aux côtés du Lhassa Apso : les deux étaient donc alors présentés ensemble dans les expositions canines. Issue de Bunti et de Ja-Haz, une troisième portée vit le jour sur place en 1927. Elle se composait de trois mâles, qui furent baptisés Mr Binks, Burrah Sahib et Bodmash.

 

En 1928, Agnes Greig laissa ses autres chiens à la garde de sa mère, elle-même éleveuse de Cocker Spaniels, et retourna en Inde accompagnée de Mr Binks, qui devint le premier champion du monde de la race lors d’une exposition organisée dans le pays. Forte de ce succès et de ces trois générations qui prouvaient par leur cohérence  en termes d’apparence et de tempérament qu’il s’agissait d’une race à part entière, la chirurgienne se tourna à nouveau vers le KCI. L’organisme reconnut la race en 1930 sous le nom de Tibetan Terrier, et en publia un premier standard. 

 

La même année, Mme Greig décida de retourner définitivement en Angleterre avec ses chiens et d’y poursuivre son programme d’élevage. Elle avait entretemps reçu du Dalaï Lama en personne un mâle qu’elle nomma Thoombay, et qui devait devenir le premier champion anglais de la race. 

 

D’abord nommée « Ladkok », l’affixe d’élevage de la mère d’Agnes Greig, cette nouvelle lignée créée par la chirurgienne anglaise fut rebaptisée par la suite « Lamleh ». Elle fut déterminante pour le développement de la race en Occident, et c’est sur elle que se basa le Kennel Club britannique pour définir un standard lorsqu’il reconnut la race en 1937 sous le nom de Tibetan Terrier, suivant en cela l’exemple du Kennel Club of India. Ce nom devait rester, bien que la race fût incluse dans le groupe des chiens d’utilité.

 

Devenu populaire, le Terrier Tibétain « Lamleh » parvint à traverser la Seconde Guerre mondiale sans trop de difficultés, contrairement à ce qui se passa pour nombre d’autres races. 

 

Sa destinée prit un nouveau tournant quelques années après la fin des hostilités. En 1953, un agent de la police portuaire de Liverpool nommé Downey trouva sur les quais un Terrier Tibétain aux origines inconnues, certainement amené par un des nombreux bateaux en provenance d’Asie qui accostaient dans le port. Monsieur Downey et son épouse possédaient alors un chenil de quarantaine ainsi qu’un élevage de Pointers sous l’affixe « Luneville ». Ils recueillirent ce chien perdu et le firent enregistrer auprès du Kennel Club sous le nom de Trojan Kynos. En le faisant se reproduire avec une femelle du nom de Princess Aureus of Lamleh, les Downey furent à l’origine de la seconde lignée européenne, connue sous le nom de Luneville. 

 

L’une comme l’autre avaient un lien avec la population de la race au Tibet, car elles étaient issues d’individus qui y étaient nés, mais se développèrent en parallèle de celle-ci – à l’exception de quelques importations ponctuelles destinées à apporter du sang neuf, afin d’éviter les problèmes qu’une trop forte consanguinité aurait pu entraîner. 

 

La diffusion du Terrier Tibétain dans le reste de l’Europe

Le travail d’Agnes Greig permit au Terrier du Tibet de se diffuser au Royaume-Uni dès les années 30. Il y devint rapidement un chien de compagnie populaire, et ne tarda pas à s’implanter également dans d’autres pays européens proches. 

 

C’est ainsi que de premières exportations eurent lieu en 1937 vers l’Italie, puis en 1939 vers le Danemark et l’Allemagne. Dans la seconde moitié des années 40, après la Seconde Guerre mondiale, il fut introduit également en Suisse et en Suède. Tous les chiens en question provenaient de la lignée Lamleh d’Agnes Greig, qui était la seule existante à l’époque sur le Vieux Continent.

 

En ce qui concerne la France, la revue L’Ami des Bêtes mentionne en 1956 ce qui fut probablement la première portée à voir le jour dans le pays. Leur propriétaire, une certaine madame Fouquet, y explique  que ces chiens sont inconnus dans le pays, et précise qu’elle a acquis ses reproducteurs en Indochine (aujourd’hui le Vietnam, le Laos et le Cambodge) et en Westphalie (une région de l’ouest de l’Allemagne). Elle les présente sous le nom de Griffon du Tibet, une appellation qu’en France la race garda jusqu’en 1983.  

 

La diffusion du Terrier Tibétain en Amérique du Nord

Le Terrier Tibétain conquit les États-Unis en 1956, lorsqu’un couple habitant dans l’État de Virginie, Harry et Alice Murphy, importa un spécimen nommé Gremlin Cortina of Lamleh. À l’origine, cette chienne était destinée à être un simple animal de compagnie ; toutefois, comme Agnes Greig des années plus tôt, Alice Murphy succomba au charme de la race et entreprit d’en faire l’élevage. Elle acquit donc également un mâle qu’elle croisa avec Gremlin Cortina et obtint en 1957 une première portée de cinq chiots, donnant ainsi naissance à la première lignée nord-américaine sous le nom d’affixe « Lamleh of Kalai ».  En 15 ans, jusqu’à la mort d’Agnes Greig en 1972, les Murphy reçurent de sa part 16 chiens Lamleh qui vinrent enrichir la branche américaine.

 

Jusqu’à ce qu’elle décède à son tour en 1976, Alice Murphy ne cessa de promouvoir le Terrier du Tibet dans son pays ainsi qu’au Canada. Elle fonda en 1957 un club de race, le Tibetan Terrier Club of America, et prit part à de nombreuses expositions canines pour le faire connaître. Grâce à ses efforts, sa diffusion dans le pays s’accéléra tout au long des années 60, en particulier sur la côte est (à New York, dans le Connecticut et en Virginie).

 

Lignées occidentales vs lignées tibétaines

Si aujourd’hui le Terrier du Tibet est présent et connu dans le monde entier, c’est donc essentiellement grâce à la passion et au travail acharné d’Agnes Greig, de monsieur et madame Downey ainsi que d’Alice Murphy : non seulement ils ne ménagèrent pas leurs efforts pour développer la race tout en veillant à ce que ceci se fasse dans les meilleures conditions, mais en plus ils surent communiquer et partager avec d’autres leur amour pour celle-ci.

 

Il convient toutefois de souligner une différence entre les représentants tibétains de la race, qui continuèrent – et continuent encore – d’être utilisés à la fois comme chiens de compagnie et de travail, et ceux originaires d’Occident, qui dès leurs débuts tinrent seulement le premier rôle. De fait, le Terrier Tibétain a naturellement toutes les qualités requises pour faire un parfait compagnon domestique.

La reconnaissance du Terrier du Tibet par les organismes officiels

L’aventure ayant commencé en Inde, le Kennel Club of India (KCI) fut logiquement le premier organisme cynologique officiel à reconnaître la race en 1930 en lui donnant son nom actuel de Terrier Tibétain (Tibetan Terrier en anglais). Plus précisément, c’est cette année-là qu’il le distingua du Lhassa Apso et considéra qu’il s’agissait de deux races distinctes, et non de deux variétés d’une seule et même race. 

 

Le Kennel Club britannique lui emboîta le pas en 1937, mais il fallut en revanche attendre 1957 pour que la Fédération Cynologique Internationale (FCI) reconnaisse à son tour le Terrier du Tibet, en le plaçant logiquement sous le patronage du Royaume-Uni. Cette reconnaissance marqua un tournant, car elle entraîna automatiquement celle des dizaines d’organismes cynologiques nationaux qui sont membres de la FCI – c’est le cas notamment de ceux de la France (la Société Centrale Canine, ou SCC), la Belgique (la Société Royale Saint-Hubert, ou SRSH) et la Suisse (la Société Cynologique Suisse, ou SCS).

 

En ce qui concerne les États-Unis, l’American Kennel Club (AKC) et le United Kennel Club (UKC) firent tous deux de même en 1973, soit un peu moins de vingt ans après l’arrivée de la race dans le pays. Le Club Canin Canadien (CCC) voisin suivit quelques années plus tard.