ORMONT-DESSOUS (VD) Un couple s'installe dans un hameau perdu avec une armée de huskies. Excédés, les voisins exigent la disparition de cette ménagerie polaire
C'est un coin à l'écart de tout, dans la région du col des Mosses (VD). Un hameau de cinq maisons si minuscule que vous n'en trouverez même pas le nom sur la carte: Les Larets. On ne parvient jusque-là qu'en suivant des chemins tortueux, pentus et condamnés dès les premières neiges. Ne reste plus alors que la marche pour s'y aventurer.
Jusqu'au 24 juin dernier, il n'y avait guère dans ce havre de silence que deux chiens, quelques chats, des poules, des chèvres et un âne - sans parler de quelques résidents. Et puis Carine Mettraux et son mari sont arrivés. Carine Mettraux, 30 ans, folle d'animaux a emménagé dans le chalet d'«en haut» avec 27 chiens polaires, bientôt abrités dans une série de cages arrimées au bord du chemin d'accès. Et la guerre a commencé. La guerre avec les voisins.
Rebaptisé «Alcatraz»
Trois mois après ce débarquement, on ne se parle plus que par SMS laconiques et fielleux. Les voisins ont rebaptisé le chenil «Alcatraz», maudissant cette alignée de cages d'où montent trop souvent des hurlements de meute à «vous donner la chair de poule». Carine Mettraux, elle, jure que «ceux d'en bas» ne rêvent que de transformer l'endroit en asile de vieillards. Entre-temps, on s'est aussi traités de «pétasse» et de «blondasse». On a alerté la commune. Le préfet d'Aigle est monté, accompagné de toute une délégation du canton. On a palabré. Et comme 24 heures l'a révélé l'autre jour, Carine Mettraux a été priée, dans un premier temps, de réduire sa meute de vingt-sept à dix-sept chiens.
En un mot: le paradis du silence s'est transformé en pâturage sous haute tension. Un peu plus, on entendrait résonner sur Les Larets la musique de «Règlement de comptes à OK Corral», sauf que le bruit des balles - Dieu soit loué - n'a pas encore remplacé le cliquetis des SMS.
Carine Mettraux est de ces bonnes âmes qui ne peuvent voir un animal traîner la patte sans lui venir en aide. Toute petite, raconte-t-elle, elle ramenait déjà les petits oiseaux blessés à sa maman. Mais là, avec 27 chiens, elle a passé dans la catégorie supérieure.
«On n'en peut plus de ces hurlements, se lamentent les voisins. Et on redoute le pire, cet hiver, si l'on vient à croiser la meute sur le seul sentier praticable à pied.» De là les démarches répétées qu'ils ont faites auprès des autorités afin que disparaisse ou soit drastiquement réduite cette ménagerie polaire.
Cours pour les enfants
Ces chiens, Carine Mettraux les a recueillis parce qu'ils étaient souffrants, battus ou abandonnés. Elle est même allée en chercher jusqu'en France, à Pontarlier. Pas pour en faire l'élevage, mais pour les utiliser dans son travail. Employée comme éducatrice, elle apprend aux enfants comment se comporter avec les chiens lors de sorties en plein air à l'Ecole à la montagne de Château-d'?x.
Mais faut-il vingt-sept bêtes pour accomplir cette belle mission Apparemment pas... La mort dans l'âme, Carine Mettraux a commencé ces derniers jours de réduire son cheptel comme le préfet d'Aigle le lui a demandé. Elle a déjà donné quatre ou cinq de ses chiens, «contre bons soins», à des amateurs qui lui inspirent confiance. «Mais c'est à chaque fois le drame», soupire-t-elle: les autres chiens voient partir leurs compagnons avec consternation. Ils pleurent. Ils se demandent: à qui le tour? Du coup, voilà Les Larets secoués par de nouveaux concerts de plaintes canines «à vous donner la chair de poule»...
Ce n'est pas une vie. Et ça pourrait bien ne pas durer. Ces tout derniers jours, Carine Mettraux a reçu des autorités communales une lettre lui rappelant les règles qu'elle va devoir respecter: en zone rurale, où elle vit maintenant, la jurisprudence limite à quatre le nombre de chiens qu'un particulier peut détenir. Si la jeune femme souhaite en garder davantage, elle doit demander au service cantonal de l'aménagement du territoire un reclassement de l'endroit en zone de chenil.
Une procédure qui s'annonce si longue, si coûteuse et si aléatoire que Carine Mettraux va probablement laisser tomber. Mais pas question de se séparer de ses chiens: «On possède une caravane. On tâchera de trouver un autre endroit où s'installer.»
Les campings de la région sont prévenus...