« Un chien est mort », de Pablo Neruda

La couverture du recueil « Jardin de invierno », écrit par Pablo Neruda

Texte du poème « Un chien est mort »

Mi perro ha muerto.

 

Lo enterré en el jardín

junto a una vieja máquina oxidada.

 

Allí, no más abajo,

ni más arriba,

se juntará conmigo alguna vez.

Ahora él ya se fue con su pelaje,

su mala educación, su nariz iría.

Y yo, materialista que no cree

en el celeste cielo prometido

para ningún humano,

para este perro o para todo perro

creo en el cielo, sí, creo en un cielo

donde yo no entraré, pero él me espera

ondulando su cola de abanico

para que yo al llegar tenga amistades.

 

Ay no diré la tristeza en la tierra

de no tenerlo más por compañero,

que para mí jamás fue un servidor.

 

Tuvo hacia mí la amistad de un erizo

que conservaba su soberanía,

la amistad de una estrella independiente

sin más intimidad que la precisa,

sin exageraciones:

no se trepaba sobre mi vestuario

llenándome de pelos o de sarna,

no se frotaba contra mi rodilla

como otros perros obsesos sexuales.

No, mi perro me miraba

dándome la atención que necesito,

la atención necesaria

para hacer comprender a un vanidoso

que siendo perro él,

con esos ojos, más puros que los míos,

perdía el tiempo, pero me miraba

con la mirada que me reservó

toda su dulce, su peluda vida,

su silenciosa vida,

cerca de mí, sin molestarme nunca,

y sin pedirme nada.

 

Ay cuántas veces quise tener cola

andando junto a él por las orillas

del mar, en el invierno de Isla Negra,

en la gran soledad: arriba el aire

traspasado de pájaros glaciales,

y mi perro brincando, hirsuto, lleno

de voltaje marino en movimiento:

mi perro vagabundo y olfatorio

enarbolando su cola dorada

frente a frente al Océano y su espuma.

 

Alegre, alegre, alegre

como los perros saben ser felices,

sin nada más, con el absolutismo

de la naturaleza descarada.

 

No hay adiós a mi perro que se ha muerco.

Y no hay ni hubo mentira entre nosotros.

 

Ya se fue y lo enterré, y eso era todo.

Traduction en français du poème « Un chien est mort »

Mon chien est mort.

 

Je l'ai enterré au jardin

près d'un vieil engin sous la rouille.

 

Là, ni plus bas, ni plus haut, 

un jour il me retrouvera.

Pour le moment 

il est parti avec son poil, 

avec ses airs mal élevés et son nez froid. 

Et moi qui ne crois pas, matérialiste, 

au ciel promis, au ciel céleste pour aucun homme quel qu'il soit 

pour ce chien ou tout autre chien je crois au ciel, 

oui, je crois en un ciel 

où je n'entrerai pas, 

mais où il m'attend lui en agitant la queue 

ainsi qu'un éventail 

pour qu'à mon arrivée 

l'affection m'y accueille.

 

Ah je ne dirai pas ma tristesse ici-bas 

celle d'avoir perdu un brave compagnon,

car il ne fut jamais pour moi un serviteur. 

 

Il eut à mon égard une amitié de hérisson 

gardant sa suzeraineté, 

une amitié d'étoile indépendante 

sans autre intimité que celle nécessaire, 

sans exagérations:

il ne grimpait pas sur mon linge 

me couvrant de poils ou de gale, 

il ne se frottait pas à mes genoux 

comme les obsédés sexuels à quatre pattes.

Non, mon chien, lui, me regardait 

m'accordant l'attention dont j'ai besoin,

l'attention nécessaire 

pour faire comprendre à un vaniteux 

que dans sa condition de chien, 

avec ces yeux-là, 

plus purs que les miens, 

il perdait son temps,

pourtant il me regardait de ce regard 

que m'avait réservé toute sa douce vie poilue, 

sa vie de silencieux, près de moi,

sans jamais m'importuner ni rien me demander.

 

Ah ! que j'ai regretté souvent de n'avoir pas de queue 

pour vagabonder avec lui sur les rivages, 

l'Hiver, à l'Ile-Noire, dans la solitude infinie :

là-haut, l'espace est traversé d'oiseaux glacials 

et mon chien bondit, hirsute, 

chargé d'un voltage marin plein de mobilité : mon chien errant et renifleur qui arbore sa queue dorée 

face à face avec l'Océan et son écume.

 

Joyeux, joyeux, 

joyeux comme les chiens savent être heureux, 

sans plus d'histoire, avec le naturel tout-puissant de l'effronterie. 

 

Il n'y a pas d'adieu pour mon chien disparu. 

Il n'y a, il n'y eut de mensonges entre nous.

 

Il est mort, je l'ai enterré.

Voilà, c'est tout.

 

(Traduction : Claude Couffon)

Informations sur l'auteur et explications

 « Un chien est mort » (« Un perro ha muerto », en version originale) fut écrit par le célèbre poète chilien Pablo Neruda (1904-1973) vers la fin de sa vie. Comme le reste de ses derniers écrits, il fut publié à titre posthume – en l’occurrence, dans le recueil de poésie Jardin d’hiver (Jardin de invierno), paru en 1974.

 

Tout comme dans « Ode au chien », écrit pour sa part en 1959, c’est bien du compagnon de l’auteur dont il est question ici – avec l’objectif de lui rendre un dernier hommage. Toutefois, on ne sait pas précisément duquel, sachant que Neruda posséda tout au long de sa vie plusieurs représentants de la gent canine.

 

Composé de neuf strophes de longueurs inégales, cette élégie en vers libres débute en situant immédiatement le contexte : alors que le titre parle simplement d’« un chien », la première strophe précise qu’il s’agit de celui du poète. Dans la strophe qui suit, Neruda décrit succinctement la simplicité avec laquelle il l’a enterré.

 

La troisième strophe est bâtie sur une contradiction. D’un côté, c’est dans la terre que se trouve désormais l’animal, et c’est là que l’auteur le retrouvera à sa propre mort : se présentant comme « matérialiste », Neruda ne croit au ciel pour aucun homme. De l’autre, en opposition avec ses propres opinions, il se plaît à croire, dans son chagrin, en l’existence d’un paradis spécialement conçu pour les représentants de la gent canine, où son compagnon l’attendrait « agitant sa queue / ainsi qu’un éventail ». Le dernier mot de la strophe semble décrire la nature de la relation entre le poète et son animal : l’affection.

 

Neruda développe d’ailleurs ce thème dans les deux strophes qui suivent. Bien que les chiens soient souvent exploités et asservis, le sien n’était pas son « serviteur » mais son « compagnon » ; les liens qu’ils entretenaient étaient des liens d’« amitié », dans lesquels l’animal gardait son « indépendance ».

 

Pour autant, leur relation n’était pas basée sur une parfaite égalité. En effet, il explique ensuite qu’il trouvait dans les yeux de son chien « l’attention dont il avait besoin », mais reconnaît la vanité dudit besoin. Son animal avait des yeux « plus purs » que les siens, car lui ne demandait rien – ou du moins, c’est l’impression qu’il donnait. 

 

Après avoir ainsi présenté son animal comme supérieur à lui en ce qui concerne la pureté de ses sentiments, le poète va jusqu’à regretter dans les cinquième et sixième strophes de ne pas avoir été lui-même un chien pour pouvoir l'accompagner dans ses promenades sur l’Île-Noire, l’un des lieux où il résidait au Chili. Cette fois, ce n’est plus la pureté morale du chien qui est célébrée, mais sa grâce et sa « mobilité », ainsi que sa joie - à laquelle une strophe entière est consacrée.

 

À l’image des deux premières, les deux dernières strophes se distinguent par leur brièveté, comme pour refléter l’aspect abrupt et définitif de la mort. Malgré son chagrin, le poète semble vouloir conserver une certaine pudeur et renvoyer l’image d’une posture stoïque : « Voilà, c’est tout ». Néanmoins, à la lecture de ce texte, on imagine aisément que sa souffrance est réelle.

 

Ce dernier hommage d’un poète à son compagnon renverse les codes en présentant le chien comme supérieur à l’Homme, et plus méritant que lui par bien des aspects. À ce titre, il n’est pas sans rappeler l’« Épitaphe pour un chien » écrit en 1808 par le Britannique Lord Byron (1788-1824).

Dernière modification : 06/27/2025.