« Souffrance LVI », de Ruben Darío (1887)

Un portrait de Ruben Darío

Texte du poème « Souffrance LVI »

Tengo de criar un perro,

ya que en este mundo estoy.

No me importa lo que sea,

alano, galgo o bull-dog;

lo quiero para tener

un tierno y fiel queredor

que sonría con el rabo

cuando le acaricie yo;

para que me ofrezca todo

su perruno corazón,

y gruña a quien me amanece

y se alegre con mi voz ;

y para, si me da el coléra

y huyen de mi alrededor,

juntos, parientes y amigos,

que nos quedamos los dos:

yo, cadáver, como huella

de una vida que pasó;

él, lanzado tristemente

sus aullidos de dolor.

Traduction en français du poème « Souffrance LVI »

Il me faut élever un chien,

car dans ce monde je suis.

Peu m’importe ce qu’il sera,

alano, galgo ou bulldog ;

je le veux pour avoir

un tendre et fidèle aimeur

qui sourit avec sa queue

quand je le caresse ;

pour qu’il m’offre tout

son cœur canin,

et grogne à qui me menace

et se réjouisse de ma voix ;

et pour, s’il me donne le choléra

et, de mon entourage,

fuient, ensemble, parents et amis,

que nous restions tous les deux :

moi, cadavre, comme une trace

d’une vie qui est passée ;

lui, lançant tristement

ses hurlements de douleur.

 

(Traduction : Muriel Levet)

Informations sur l'auteur et explications

 « Souffrance LVI » (« Abrojo LVI » en version originale) est un texte du poète nicaraguayen Ruben Darío (1867-1916), qui exerça une influence immense sur la poésie à partir de la publication en 1890 de son recueil Azul, considéré comme le fondement du mouvement littéraire moderniste hispano-américain. Figurant parmi ses œuvres de jeunesse, ce poème sans titre fut publié pour la première fois en 1887 dans le recueil Abrojos (Souffrance, en français), où il est numéroté LVI – d’où le fait qu’il soit généralement désigné sous le titre « Abrojo LVI » (« Souffrance LVI »).

 

On y trouve déjà des caractéristiques qui deviendront la marque de fabrique de l’auteur, notamment la grande importance accordée à la musicalité du texte, la liberté prise avec les règles classiques de la versification ainsi que le thème des animaux, qui sera par la suite très largement présent dans l’ensemble de son œuvre.

 

En l’occurrence, c’est un chien qui est le sujet principal de ce bref poème composé de vingt vers.

 

Dans les quatre premiers, Darío commence par exposer l’idée d’adopter un chien (peu importe sa race) comme une nécessité absolue (« car dans ce monde je suis »).

 

En guise d’explication, il formule dans les vers qui suivent un éloge des représentants de la gent canine, présentés comme des amis (ou « aimeurs ») tendres et fidèles, loyaux et protecteurs. Il dépeint en particulier la belle image du chien qui « sourit avec sa queue » quand son maître le caresse.

 

Le poème se conclut sur une scène étrange et lugubre : la possibilité que le poète contracte le choléra par le biais de son chien et que tous deux terminent leurs jours dans une solitude totale, partageant leurs douleurs respectives. Il convient cela dit de souligner qu’il s’agit là d’un scénario fantaisiste, puisque cette maladie est strictement humaine et ne peut être transmise à ou par un représentant de la gent canine.

 

Quoi qu’il en soit, le chien est donc pour Ruben Darío le compagnon absolu, celui qui partage toute sa vie durant et jusqu’à son dernier souffle les joies et les peines de son maître, y compris ses pires souffrances.

Dernière modification : 06/27/2025.