« Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert (1746)

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Portrait du fabuliste Christian Fürchtegott Gellert auteur de « Les Deux Chiens »

Texte de la fable « Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert

Que toujours le plus grand mérite,

Ait pourtant peu d'admirateurs ;

Qu'on préfère aux hommes d'élite,

Des misérables flagorneurs.

Comment conjurer cette peste,

Qui devrait peupler les enfers ?

Je doute que ce mal funeste,

Ne s'empare de l'univers.

Voici le frein pour cette rage,

Un remède pour cet abus ;

Le fou devrait devenir sage,

Mais non, il ne le devient plus.

Ignorant du beau la faconde,

Il prône toujours le petit ;

Pour savair la valeur du monde,

Son ail conclut, pas son esprit.

 

Deux Chiens servaient une maitresse,

Joli, — des deux s'appelait l'un ;

Il connaissait des tours d’adresse,

Et savait amuser chacun.

Il rapportait les moindres choses,

Faisait souvent beaucoup de bruit ;

Sans clefs ouvrait les portes closes,

Et dormait en repos la nuit.

Parfois il mordait sa maitresse,

Aussi méchant était son cour ;

Et l'on disait c'est la caresse,

Produit par son instinct flatteur.

Mal élevé et sans courage,

Il était vraiment impoli ;

Malgré ses cris et son tapage,

On l’appelait le bon Joli.

L'autre chien du nom de Fidèle,

Moins caressant et moins poltron ;

Était toujours rempli de zèle,

Et savait garder la maison.

Il était bon et plein d'audace,

N'aboyant sans nécessité ;

Il était le roi de sa race,

Il meurt. Vite il est oublié.

Joli meurt aussi, quelle alarme,

On lui prépare un beau cercueil ;

Pour le bon cœur par une larme,

Pour la ruse on porte le deuil.

Explication et signification de la fable « Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert

« Les Deux Chiens » est une fable de l’écrivain allemand Christian Fürchtegott Gellert (1717-1769), considéré comme l’un des précurseurs de l’âge d’or de la littérature allemande. Ses fables connurent d’ailleurs un immense succès en Allemagne de son vivant, bien qu’elles soient aujourd’hui quelque peu oubliées. Celle-ci est extraite du premier volume de son recueil Fables et Contes, publié en 1746. 

 

Contrairement à la fable éponyme d’Ésope (qui vécut aux 7ème et 6ème siècle avant J.-C.), dans laquelle c’est par leur rôle que les deux chiens sont opposés (l’un est un chien de chasse et l’autre un chien de garde), Gellert choisit de mettre plutôt l’accent sur le contraste entre leurs traits de personnalité très différents.

 

Son texte commence par un long passage théorique dénonçant les « flagorneurs », c'est-à-dire les personnes qui flattent bassement, servilement. L’auteur écrit qu’elles tirent les autres vers le bas en prônant « le petit » plutôt que le beau, et ne savent pas juger la valeur des choses. Il poursuit en dénonçant une injustice : selon lui, la société les préfère aux hommes de « grand mérite », à qui elles sont ici opposés.

 

Le premier chien à être présenté dans la seconde partie du poème est nommé Joli. Il connaît des tours, amuse, rapporte des objets : autrement dit, il sait plaire et flatter. Il lui arrive de mordre sa maîtresse, mais cela ne semble pas gêner outre mesure son entourage, puisqu’on lui trouve des excuses. D’ailleurs, même s’il est mal élevé et lâche, on l’appelle « le bon Joli ».

 

Le deuxième chien répond quant à lui au nom de Fidèle. Il est moins flatteur, mais d’une grande bonté et d’un grand courage, effectuant avec beaucoup de zèle son travail de gardien de la maison.

 

Fürchtegott Gellert décrit ensuite ce qui se passe à leur mort. Fidèle est vite oublié, tandis qu’on prépare à Joli un beau cercueil. « Pour le bon cœur pas une larme, / Pour la ruse on porte le deuil », conclut ainsi le poète, dans une formule qui vient compléter la longue morale théorique énoncée dans les premiers vers.

 

Cette œuvre exprime parfaitement l’ambivalence du regard porté sur le chien dans les fables, en particulier depuis le 17ème siècle. En effet, certains écrits le présentent comme un courageux et loyal serviteur des humains : c’est le cas par exemple dans « Le Chien et son maître », publié en 1671 par le Français Antoine Furetière (1619-1688). D’autres en revanche le dépeignent en flatteur servile qui n’hésite pas à se faire l’instrument de leurs plus bas instincts s’il peut en tirer quelque avantage : c’est cette vision qu’on retrouve notamment en 1668 dans « Le Loup et le Chien », du Français Jean de La Fontaine (1621-1695), ou encore en 1727 dans « Le Chien couchant et la perdrix », du Britannique John Gay (1685-1732).

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chien dans les fables
  2. Page 2 : « Les Deux Chiens », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  3. Page 3 : « Les Chiens affamés », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  4. Page 4 : « Le Chien endormi et le Loup », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  5. Page 5 : « Le Chien qui porte de la viande », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  6. Page 6 : « Les Chiens réconciliés avec les Loups », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  7. Page 7 : « Le Loup et le Chien », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  8. Page 8 : « La Brebis, le Chien et le Loup », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  9. Page 9 : « Le Chien fidèle », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  10. Page 10 : « Le Chien et le Crocodile », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  11. Page 11 : « Le Loup et le Chien », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  12. Page 12 : « Les Ambassadeurs des chiens et Jupiter », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  13. Page 13 : « Le Chien et le Chasseur », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  14. Page 14 : « Le Chien et la Brebis », de Marie de France (vers 1175)
  15. Page 15 : « Le Chien et la Puce », de Léonard de Vinci (vers 1490)
  16. Page 16 : « Le vieux Chien et son Maître », de Gilles Corrozet (1542)
  17. Page 17 : « Le Loup et le Chien », de Jean de La Fontaine (1668)
  18. Page 18 : « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre », de Jean de La Fontaine (1668)
  19. Page 19 : « Le Chien et son Maître », d’Antoine Furetière (1671)
  20. Page 20 : « Les deux Chiens et l’Âne mort », de Jean de La Fontaine (1678)
  21. Page 21 : « Le Loup et le Chien maigre », de Jean de La Fontaine (1678)
  22. Page 22 : « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine (1678)
  23. Page 23 : « Le Chien trompé », de Charles Perrault (1699)
  24. Page 24 : « Le Chien de berger et le Loup », de John Gay (1727)
  25. Page 25 : « Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay (1727)
  26. Page 26 : « Le Roquet, le Cheval et le Chien de chasse », de John Gay (1727)
  27. Page 27 : « Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert (1746)
  28. Page 28 : « Le Chien et le Chasseur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  29. Page 29 : « Le Vieux Chien et le Vieux Serviteur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  30. Page 30 : « Le Maître et le Chien », d’Ignacy Krasicki (1779)
  31. Page 31 : « Le Chien et le Crocodile », de Félix María Samaniego (1781)
  32. Page 32 : « L’Aveugle et son Chien », de Jacques Cazotte (1788)
  33. Page 33 : « Le Chien et le Chat », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  34. Page 34 : « La Brebis et le Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  35. Page 35 : « Le Petit Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  36. Page 36 : « L’Éléphant et le Carlin », d’Ivan Krylov (1815)
  37. Page 37 : « Le Villageois et le Chien », d’Ivan Krylov (1843)
  38. Page 38 : « Le Chien et le Loup », de Léon Tolstoï (1875)
  39. Page 39 : « Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May (1882)
  40. Page 40 : « Le Chien pelé », de Jean Anouilh (1962)
  41. Page 41 : « Le Lévrier », de Jean Anouilh (1962)