Un homme avait deux chiens. Il dressa l’un à chasser et fit de l’autre un gardien du foyer. Or quand le chien de chasse sortait pour chasser et prenait quelque gibier, le maître en jetait une partie à l’autre chien aussi. Le chien de chasse mécontent fit des reproches à son camarade : c’était lui qui sortait et avait le mal en toute occasion, tandis que son camarade, sans rien faire, jouissait du fruit de ses travaux ! Le chien de garde répondit : « Eh mais ! ce n’est pas moi qu’il faut blâmer, mais notre maître qui m’a appris, non à travailler, mais à vivre du travail d’autrui. »
C’est ainsi que les enfants paresseux ne sont pas à blâmer, quand leurs parents les élèvent dans la paresse.
« Les Deux Chiens » est un récit du Grec Ésope, qui vécut aux 7ème et 6ème siècles avant J.-C. et qu’on considère généralement comme le premier fabuliste occidental. Il porte le numéro 175 dans le recueil de référence Fables d’Ésope publié en 1927 par Émile Chambry, qui a traduit son œuvre en français.
Il est d’ailleurs loin d’être la seule fable avec un chien qu’on y trouve : sur les 358 de l’ouvrage, pas moins de 29 font mention dans leur titre d’un ou plusieurs représentant(s) de la gent canine.
Comme beaucoup d’autres fables de l’Antiquité, « Les Deux Chiens » met en avant des rôles qu’un chien est susceptible de remplir. En l’occurrence, il fait même s’opposer un chien de chasse et un chien de garde. Le premier se plaint de devoir partager sa nourriture, qui est en quelque sorte le « salaire » de son dur labeur, avec le second, qui lui ne fait pas grand-chose. Toutefois, ce dernier se justifie : ce n’est pas à lui qu’il faut le reprocher, mais à son maître, qui lui appris « non à travailler, mais à vivre du travail d’autrui ».
À la fin du texte, la morale aide à tirer les enseignements de ce petit récit : les chiens représentent en fait des enfants, le maître leurs parents. Ainsi, le caractère d’un enfant (ou d’un chien) dépend de l’éducation qui lui est prodiguée par ses parents (et ses maîtres dans le cas d’un chien). La responsabilité de ses défauts ne peut donc être attribuée qu’à ces derniers.
L’idée d’opposer deux types de chiens est reprise par de nombreux fabulistes au fil des siècles. On peut citer par exemple deux fables toutes deux intitulées également « Les Deux Chiens » : l’une publiée en 1779 par le Polonais Ignacy Krasicki (1735-1801), l’autre en 1808 par le Russe Ivan Krylov (1769-1844). Chez ces deux auteurs, l’histoire prend un aspect beaucoup plus social, puisque l’accent est davantage mis sur la différence de statut entre les deux protagonistes.