Les loups dirent aux chiens : « Pourquoi, étant de tout point pareils à nous, ne vous entendez-vous pas avec nous, comme des frères ? Car nous ne différons en rien, sauf de pensée. Nous, nous vivons dans la liberté ; vous, soumis et asservis aux hommes, vous endurez d’eux les coups, vous portez des colliers et vous gardez les troupeaux ; et quand vos maîtres mangent, ils ne vous jettent que les os. Mais croyez-nous ; livrez-nous tous les troupeaux et nous les mettrons en commun pour nous en rassasier. » Les chiens prêtèrent l’oreille à ces propositions ; et les loups, pénétrant à l’intérieur de l’étable, égorgèrent d’abord les chiens.
Tel est le salaire que reçoivent ceux qui trahissent leur patrie.
« Les Chiens réconciliés avec les Loups » porte le numéro 216 dans Fables d’Ésope d’Émile Chambry, qui a traduit en français l’œuvre du fabuliste grec (7ème et 6ème siècle avant J.-C.) dans ce recueil de référence paru en 1927.
Bien que cette histoire puisse se suffire à elle-même, l’idée de réconciliation soulevée par le titre autorise aussi à la voir comme une suite de la fable « Les Loups et les Chiens en guerre », qui la précède d’ailleurs dans le recueil de Chambry. Celle-ci narre une guerre entre les chiens et les loups : compte tenu de la diversité des races représentées, l’armée des premiers est désavantagée par rapport à celle des seconds, qui est nettement plus uniformisée.
L’histoire ne donne pas l’issue du conflit, mais « Les Chiens réconciliés avec les Loups » met donc en scène une réconciliation entre les protagonistes, grâce à la capacité de conviction des loups. En effet, après avoir insisté sur la similitude entre les deux espèces, ils valorisent leur liberté, qu’ils opposent à l’asservissement des chiens. En outre, ils mettent le doigt sur ce qu’ils présentent comme une injustice : en plus de les asservir et même parfois les maltraiter, les humains obligent les chiens à garder leurs brebis, mais quand vient l’heure de manger, ils ne leur donnent que les restes. Les loups suggèrent donc aux chiens de leur livrer les troupeaux et de partager avec eux cette source de nourriture. Crédules, les chiens acceptent de trahir leurs maîtres… et sont les premiers animaux que les loups tuent.
Dans la morale qui suit, ils sont assimilés par l’auteur aux traîtres à la patrie, que les ennemis n’hésitent pas à trahir à leur tour.
On remarque au passage que les rôles sont inversés par rapport à « Le Chien endormi et le Loup », une autre fable du même auteur mettant en scène les deux espèces et dans laquelle un loup se fait berner par un représentant de la gent canine.
Par ailleurs, l’idée d’opposition entre la liberté du loup et l’asservissement du chien est également présente dans une autre fable d’Ésope intitulée pour sa part « Le Loup et le Chien ».