Tant qu'il courut les lièvres, les perdrix,
Friponneau fut un chien sans prix ;
Favori de son maître, il en faisait la joie.
Il vieillit : bon à rien, aux troupeaux on l'envoie.
Quelqu'un le plaignit cependant,
Qui ? le vieil économe..., autrefois intendant !
« Le Vieux Chien et le vieux serviteur » est une fable de l’homme d’Église et homme de lettres Ignacy Krasicki (1735-1801), considéré comme l’un des plus grands poètes polonais. Elle porte le numéro 17 dans le livre I de ses Fables et Paraboles, parues en 1779. Sa brièveté est caractéristique du style employé par son auteur dans ses fables, puisque ces dernières ne comptent jamais plus de 18 vers. En l’occurrence, celle-ci n’en fait même que six.
Elle met en scène un chien de chasse vif et efficace qui fait la joie de son maître. Mais alors qu’il vieillit et perd de son énergie, il est relégué à la tâche de gardien de troupeaux. Une seule personne le plaint : l’ancien intendant, dont le sort est très similaire puisque du fait de son âge il a été destitué de son poste et occupe à présent la fonction beaucoup moins prestigieuse d’économe.
On retrouve chez le fabuliste latin Phèdre (qui naquit vers 14 avant J.-C. et mourut vers 50 après J.-C.) une histoire assez semblable de chien de chasse réprimandé par son maître pour la seule raison qu’il est moins vigoureux qu’avant : « Le Chien et le chasseur ». Contrairement à la plupart de ses autres fables, Phèdre n’y fait pas figurer de morale – une caractéristique qu’on retrouve dans l’ensemble de celles de Krasicki. Elle est reprise à la Renaissance par l’homme de lettres français Gilles Corrozet (1510-1568), avec « Le Vieux Chien et son maître » (1542) : lui aussi se dispense de morale, mais il insiste longuement sur l’hypocrisie et la nature intéressée de l’amour que le second portait au premier.
En introduisant le personnage du vieil intendant, déclassé comme le chien âgé, Krasicki donne à l’histoire une dimension plus sociale. En outre, il met plutôt en avant la notion de compassion. Ainsi, alors que le chien représente les injustices que peuvent subir tant les humains que les animaux lorsqu’ils prennent de l’âge, cet intendant se montre compatissant envers lui. Il est toutefois la seule personne à le plaindre, montrant qu’il faut avoir subi le sort des autres pour les comprendre - ou au moins qu’il faut savoir se mettre à leur place.