Un Chien, toute la nuit, jappa contre un voleur.
Les valets battirent le traître
Pour avair dérangé le sommeil de son maître.
Le Chien, le lendemain, dormit de tout son cœur.
Le voleur, cette fois, entra par la fenêtre,
Il fit son coup ; et le Chien fut frappé
Pour n'avair point jappé.
Fable du grand poète polonais Ignacy Krasicki (1735-1801), « Le Maître et le chien » figure en 15ème position dans le livre III de ses Fables et Paraboles, publiées en 1779. De par sa brièveté (sept vers seulement) et son ton ironique, elle est très caractéristique du style de l’auteur, proche de celui des fabulistes de l’Antiquité.
Elle narre l’histoire d’un chien qui, une nuit, jappe contre un voleur : les valets le battent alors pour avoir perturbé le sommeil de son maître. La nuit suivante, il dort paisiblement alors que le voleur revient et parvient à pénétrer dans la maison. Cette fois, il est battu pour n’avoir pas aboyé.
Comme toutes les fables de Krasicki, « Le Maître et le chien » ne comporte pas de morale : libre au lecteur de déduire quel enseignement tirer de cette histoire pleine d’ironie. On peut en tout cas souligner que le maître figure « en tête d’affiche » dans le titre, même s’il n’apparaît pas du tout dans le récit : il est donc permis de penser que c’est sur le rapport hiérarchique que Krasicki souhaite attirer l’attention du lecteur. Le chien est battu s’il s’acquitte correctement de sa tâche, mais il l’est également dans le cas contraire : autrement dit, le travail fourni n’est pas forcément apprécié à sa juste valeur par sa hiérarchie.
Enfin, même si le récit de Krasicki ne semble s’appuyer sur aucune source connue, on retrouve dès l’Antiquité des fables mettant en scène des chiens confrontés à des voleurs. C’est le cas par exemple dans « Le Chien fidèle », de l’auteur latin Phèdre (qui naquit vers 14 avant J.-C. et mourut vers 50 après J.-C.) : son personnage principal refuse de se laisser soudoyer par un voleur. En 1671, dans une fable assez proche de celle de Krasicki intitulée « Le Chien et son maître », l’écrivain français Antoine Furetière (1619-1688) souligne déjà que les avertissements des chiens contre les voleurs ne sont pas toujours appréciés à leur juste valeur.