« Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May (1882)

Sommaire de cette page

Page de couverture du recueil « Fables canadiennes », de Léon-Pamphile Le May

Texte de la fable « Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May

Deux bassets, descendant de la même lignée

Et remontant jusqu’aux anciens,

Deux frères, je dirais, s’ils n’avaient été chiens,

Trottinaient le nez bas, la mine rechignée,

À travers bois et champs, pour chasser le blaireau

Et tous ces beaux rongeurs qui font basse-cour nette. 

 

Ils venaient d’en laisser plus d’un sur le carreau,

À plus d’un ils venaient de donner la venette

 Quand ils virent un loup

 Accourir tout à coup.

 

— Vils bassets, hurlait-il de loin, je me fais gloire

 De vous croquer tous deux

 En deux coups de mâchoire !

 

— Montrez donc, maître loup, votre museau hideux,

 Répondirent les chiens de chasse,

 En s’élançant avec audace

 Vers l’habitant des bois.

 

Quand le loup vit les chiens s’élancer à la fois

Il s’arrêta.

 

 — Songeons, se dit-il, à la force

 Qu’ils trouvent dans leur union,

Et changeons notre plan. Sous une rude écorce

Il vaut mieux sembler doux, c’est notre opinion.

 

— Je connais ta valeur, elle est incontestable,

 Et j’ai regret de mon emportement — 

 Affirme-t-il bientôt, avec serment,

À celui des deux chiens qui paraît plus traitable —

 Mais laisse-moi donner une leçon

 De ma façon

Au malappris qui m’a jeté l’injure ;

 Ce sera court, je te le jure.

 

Le chien vanté s’éloigne aussitôt quelque peu,

Et l’autre est dévoré malgré tout son courage.

 

— Maintenant, dit le loup, finissons notre ouvrage ;

 Ce que j’ai fait n’était qu’un jeu,

 Mon ami, ne vous en déplaise.

 

Et, tombant sur le traître, il l’égorge à son aise. 

________________________________________

 

Ô mes concitoyens qui luttez pour le droit,

 Je voudrais vous faire comprendre

Qu’en restant divisés vous vous ferez surprendre

 Par notre ennemi plus adroit ! 

Explication et signification de la fable « Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May

« Le Loup et les deux Bassets » est une fable écrite par l’homme de lettres québécois Léon-Pamphile Le May (1837-1918). Poète, romancier et conteur, ce dernier est surtout resté dans les mémoires pour ses Contes vrais, parus en 1899. Toutefois, il est également l’auteur d’un recueil de 105 Fables canadiennes, publié en 1882 et qui s’ouvre sur ce poème, le premier du livre I.

 

Cette histoire originale est rédigée dans un style proche de celui du fabuliste français Jean de La Fontaine (1621-1695), alternant récit et dialogues dans une métrique hétérogène qui contribue au dynamisme de la narration.

 

Le poète canadien commence par présenter les personnages principaux : deux bassets (un type de chiens de chasse) issus de la même lignée, décrits comme étant en quelque sorte « frères ».

 

Alors qu’ils sont occupés à chasser, ils se retrouvent soudain face à un de leurs cousins canidés : un loup, qui en l’occurrence les provoque en les qualifiant de « vils » et en menaçant de les dévorer. Loin de se laisser impressionner, les deux compères répondent à l’injure en disant au loup que son museau est « hideux » et en s’élançant ensemble vers lui.

 

Redoutant « la force » que leur procure le fait d’être unis, leur adversaire décide de ruser en changeant de stratégie, optant pour celle de la division. Choisissant celui des deux qui paraît le plus « traitable », c'est-à-dire le plus conciliant, il s’excuse auprès de lui de s’être emporté, et se met à le complimenter. Il affirme ensuite qu’il souhaite donner une leçon à l’autre basset pour l’avoir insulté.

 

Le chien flatté s’éloigne alors un peu de son congénère, qui malgré son courage se fait alors dévorer par le loup… avant que le « traître » ne connaisse le même sort.

 

Les deux compères représentent donc des traits de personnalité contradictoires : le courage pour l’un, la traîtrise pour l’autre. En ce sens, Pamphile Le May s’inscrit pleinement dans la tradition de l’image ambivalente du chien dans les fables depuis l’Antiquité.

 

Il fait par ailleurs suivre son histoire d’une morale aux accents très politiques, expliquant que la division est une faiblesse que les ennemis de ceux qui luttent « pour le droit » savent exploiter.

 

Contrairement à de nombreuses autres fables de l’époque, « Le Loup et les deux Bassets » n’est pas directement inspirée d’une histoire de l’Antiquité. On peut toutefois la rapprocher d’une fable du Grec Ésope (7ème et 6ème siècles avant J.-C.) intitulée « Les Chiens réconciliés avec les Loups », dans laquelle des représentants de la gent canine se retrouvent également victimes de la ruse d’un loup et où il est également question de traîtrise, bien qu’elle s’y fasse en l’occurrence au détriment de l’Homme.

Dernière modification : 06/04/2025.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chien dans les fables
  2. Page 2 : « Les Deux Chiens », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  3. Page 3 : « Les Chiens affamés », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  4. Page 4 : « Le Chien endormi et le Loup », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  5. Page 5 : « Le Chien qui porte de la viande », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  6. Page 6 : « Les Chiens réconciliés avec les Loups », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  7. Page 7 : « Le Loup et le Chien », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  8. Page 8 : « La Brebis, le Chien et le Loup », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  9. Page 9 : « Le Chien fidèle », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  10. Page 10 : « Le Chien et le Crocodile », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  11. Page 11 : « Le Loup et le Chien », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  12. Page 12 : « Les Ambassadeurs des chiens et Jupiter », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  13. Page 13 : « Le Chien et le Chasseur », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  14. Page 14 : « Le Chien et la Brebis », de Marie de France (vers 1175)
  15. Page 15 : « Le Chien et la Puce », de Léonard de Vinci (vers 1490)
  16. Page 16 : « Le vieux Chien et son Maître », de Gilles Corrozet (1542)
  17. Page 17 : « Le Loup et le Chien », de Jean de La Fontaine (1668)
  18. Page 18 : « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre », de Jean de La Fontaine (1668)
  19. Page 19 : « Le Chien et son Maître », d’Antoine Furetière (1671)
  20. Page 20 : « Les deux Chiens et l’Âne mort », de Jean de La Fontaine (1678)
  21. Page 21 : « Le Loup et le Chien maigre », de Jean de La Fontaine (1678)
  22. Page 22 : « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine (1678)
  23. Page 23 : « Le Chien trompé », de Charles Perrault (1699)
  24. Page 24 : « Le Chien de berger et le Loup », de John Gay (1727)
  25. Page 25 : « Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay (1727)
  26. Page 26 : « Le Roquet, le Cheval et le Chien de chasse », de John Gay (1727)
  27. Page 27 : « Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert (1746)
  28. Page 28 : « Le Chien et le Chasseur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  29. Page 29 : « Le Vieux Chien et le Vieux Serviteur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  30. Page 30 : « Le Maître et le Chien », d’Ignacy Krasicki (1779)
  31. Page 31 : « Le Chien et le Crocodile », de Félix María Samaniego (1781)
  32. Page 32 : « L’Aveugle et son Chien », de Jacques Cazotte (1788)
  33. Page 33 : « Le Chien et le Chat », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  34. Page 34 : « La Brebis et le Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  35. Page 35 : « Le Petit Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  36. Page 36 : « L’Éléphant et le Carlin », d’Ivan Krylov (1815)
  37. Page 37 : « Le Villageois et le Chien », d’Ivan Krylov (1843)
  38. Page 38 : « Le Chien et le Loup », de Léon Tolstoï (1875)
  39. Page 39 : « Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May (1882)
  40. Page 40 : « Le Chien pelé », de Jean Anouilh (1962)
  41. Page 41 : « Le Lévrier », de Jean Anouilh (1962)