Je dirai en peu de mots combien la liberté est douce.
Un loup d'une maigreur excessive rencontra un chien gros et replet. Après un salut, ils s'arrêtèrent : « D'où vient, dit le loup, que ton poil est si brillant ? où te nourris-tu, pour avoir un si bel embonpoint ? moi, qui suis bien plus fort, je meurs de faim.
— Ce bonheur sera le tien, répondit le Chien avec franchise, si tu peux rendre au maître les mêmes services que moi.
— Quels sont-ils ?
— Garder la porte, et la nuit, défendre la maison contre les voleurs.
— Me voilà tout prêt : car maintenant j'ai à souffrir la neige, la pluie, et je traîne au fond des bois une vie misérable. Qu'il me sera plus facile de vivre à l'abri sous un toit, et de trouver un bon dîner sans me donner de mal !
— Viens donc avec moi.
Chemin faisant, le loup voit le cou du Chien pelé par l'effet de la chaîne.
— Qu'est cela, ami ?
— Rien.
— Dis-le moi, je te prie.
— Comme on me trouve vif, on m'attache pendant le jour pour que je dorme quand luit le soleil, et que je puisse veiller dès que vient la nuit ; le soir, on m'ôte ma chaîne, et je cours où je veux. On m'apporte du pain, mon maître me donne des os de sa table, les valets me jettent quelques bons morceaux, et me laissent leur soupe dont ils ne se soucient guère. Ainsi, sans travailler, je me remplis le ventre.
— Mais, dis-moi, si tu veux sortir, le peux-tu ?
— Pas tout à fait.
— Jouis donc, mon ami, des douceurs que tu me vantes ; quant à moi, je ne changerais pas ma liberté contre une couronne.
Fable de l’auteur latin Phèdre (né vers 14 avant J.-C. et mort en 50 après J.-C.), « Le Loup et le Chien » est un texte en vers dans sa version originale et porte le numéro 7 dans le livre III des Fables ésopiques de Phèdre, affranchi d’Auguste, traduites en prose en français par Ernest Panckoucke.
À l’instar de nombreuses autres, cette fable imagine comme son nom l’indique un échange entre un chien et un loup. Malgré les similitudes entre les deux espèces, une première différence majeure est présentée dès le début du récit : le loup est « d’une maigreur excessive », tandis que le chien est « gros et replet ».
Impressionné par la corpulence du second, le premier décide de l’interroger plutôt que de le manger. Il apprend alors que son interlocuteur joue le rôle de gardien (contrairement à la version d’Ésope, où il est utilisé pour la chasse). Celui-ci lui explique qu’il pourrait jouir du même « bonheur » que lui s’il était prêt à rendre au maître le même service – à savoir garder et défendre la maison.
Disant souffrir de la faim et du froid de l’hiver, le loup est dans un premier temps convaincu et déterminé à travailler lui aussi pour bénéficier des mêmes avantages.
Il se met donc à suivre le chien, mais chemin faisant remarque que son cou est pelé. Cela marque un tournant dans le récit : de nouveau intrigué, il interroge son interlocuteur, qui lui explique qu’on l’attache toute la journée pour le forcer à dormir le jour et veiller la nuit. Comme s’il avait un peu honte, il développe de nouveaux arguments visant à valoriser sa situation : le soir venu, il est libre de ses allées et venues, et on lui donne quantité de choses à manger.
Le loup explique alors avoir changé d’avis : il ne saurait tolérer d’être enchaîné et ne changerait pas sa « liberté contre une couronne ».
Inspiré d’une fable éponyme bien plus concise du fabuliste grec Ésope (7ème et 6ème siècle avant J.-C.), ce récit en est en quelque sorte un développement : l’échange entre les deux personnages est ici beaucoup plus long et détaillé. En outre, Phèdre met encore plus en valeur la notion de liberté, soulignant combien cette dernière est « douce ».
Cette histoire est de nouveau reprise au 17ème siècle, cette fois par l’écrivain français Jean de la Fontaine (1621-1695) avec « Le Loup et le Chien » (1668) – qui est d’ailleurs un de ses textes les plus célèbres. À l’instar de Phèdre, il ne donne pas de morale à cette fable où le loup incarne clairement le goût de la liberté et le chien la servitude. Jugeant sans doute que la puissance symbolique du récit se suffit à elle-même, il va même jusqu’à se dispenser de tout commentaire théorique.