Sordo per il gran vento
che nel castello vola e grida
è divenuto il cane.
Sopra gli spalti – in lago
protesi – corre,
senza sussulti:
né il muschio sulle pietre
a grande altezza lo insidia,
né un tegolo rimosso.
Tanto chiusa e intera
è in lui la forza
da che non ha nome
più per nessuno
e va per una sua
segreta linea
libero.
25 settembre 1933
Le chien est devenu sourd
à cause du vent
qui souffle et hurle dans le château
Sur les gradins – qui s’avancent
dans le lac – il court,
sans sursauter :
ni la mousse épaisse
sur les pierres,
ni une tuile tombée ne le piège.
La force en lui est
si entière et enclose
depuis qu’il n’a plus de nom
pour personne
et qu’il suit
son chemin secret
librement.
25 septembre 1933
(traduction Thierry Gilliboeuf)
Daté de septembre 1933, « Le Chien sourd » (« Il Cane sordo », en version originale) est l’œuvre de la poétesse italienne Antonia Pozzi (1912-1938), considérée comme l’une des voix les plus originales de la littérature italienne du 20ème siècle. Il fut diffusé comme l’intégralité de son œuvre après la mort de la jeune femme, qui se suicida à l’âge de 26 ans. Plus précisément, il figure dans le recueil Parole : Diario di poesia 1930-1938 (non disponible en français), publié pour la première fois en 1943.
On retrouve dans ce poème plusieurs thèmes caractéristiques de l’œuvre d’Antonia Pozzi : la nature, le silence et les animaux. Malgré son apparente simplicité, ce texte est d’une grande profondeur et peut d’ailleurs faire l’objet de plusieurs niveaux de lecture.
Ses trois strophes de longueur inégales ont pour unique protagoniste un chien, qui semble vivre dans un monde mythique et atemporel.
Les trois premiers vers donnent le ton du poème. En effet, l’Homme est évoqué indirectement par le château, symbole de pouvoir et d’autorité, mais il brille par son absence : au son de sa voix s’est substitué celui d’un élément naturel, le vent, qui a rendu le chien sourd.
Dans la deuxième strophe, ce dernier évolue sans crainte et en toute liberté dans un univers où la nature (en particulier « le lac » ainsi que « la mousse épaisse / sur les pierres ») semble avoir repris ses droits sur l’Homme et ses constructions : les « gradins » que le chien gravit (c’est-à-dire que lui est en pleine ascension) ainsi que la « tuile tombée », marque du déclin du château - et donc du châtelain, qui représente en fait le genre humain en général.
Dans la dernière strophe, c’est la force brute et animale du chien affranchi de l’Homme qui est célébrée. Assourdi par la voix de la nature (« Sordo », premier mot du poème), il n’entend plus la voix de son maître et n’a donc plus de nom. Il est pleinement libre, comme le souligne le tout dernier mot du texte (« libero »).
Ce poème chante donc le retour à la nature d’un chien délivré de ses liens avec les humains, et présenté comme un symbole de liberté.