Un chien vendu par son maître
Brisa sa chaîne, et revint
Au logis qui le vit naître.
Jugez de ce qu’il devint
Lorsque, pour prix de son zèle,
Il fut de cette maison
Reconduit par le bâton
Vers sa demeure nouvelle.
Un vieux chat, son compagnon,
Voyant sa surprise extrême,
En passant lui dit ce mot :
Tu croyais donc, pauvre sot,
Que c’est pour nous qu’on nous aime !
« Le Chien et le Chat » est une fable de l’écrivain Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794), considéré par beaucoup comme le deuxième plus grand fabuliste français après son prédécesseur Jean de La Fontaine (1621-1695), auquel il souffrit sûrement d’être comparé. Elle porte le numéro 9 dans le livre I de son recueil Fables, qui en compte très exactement une centaine et qui fut publié en 1792.
Ce bref poème, remarquable par la régularité de ses heptasyllabes, débute sur une note positive : un chien qui a été vendu parvient à briser sa chaîne pour retrouver son ancien maître. Comme souvent dans les fables, le meilleur ami de l’Homme incarne donc la loyauté et la fidélité.
Toutefois, ces valeurs ne sont manifestement pas partagées par son ancien propriétaire, qui le reconduit à coups de bâton chez le nouveau.
Apparaît alors un personnage supplémentaire : un chat que l’auteur présente comme étant le « compagnon » du chien. Plus âgé et plus sage, il voit dans l’étonnement de son ami une preuve de la sottise de ce dernier. Sa sentence est nette et tranchée : ce n’est pas pour eux-mêmes qu’ils sont aimés.
Il convient au passage de souligner que Florian figure parmi les premiers fabulistes à faire se côtoyer un chien et un chat dans un même récit. En effet, bien que les deux espèces soient aujourd’hui fréquemment associées au sein des foyers, ce n’était pas le cas avant le 19ème siècle : plutôt que d’être des compagnons domestiques, les chiens servaient avant tout pour sécuriser des biens ou des personnes, chasser ou encore conduire et protéger des troupeaux, tandis que les chats étaient tolérés du fait de leur utilité pour éliminer les nuisibles.
C’est d’ailleurs à cette vision des animaux que cette fable fait la part belle. En effet, si les deux compères ne sont pas aimés pour eux-mêmes, c’est qu’ils le sont pour les fonctions qu’ils occupent.
On remarque en tout cas que ce récit ne comporte pas de morale. Néanmoins, ce qu’il convient d’en conclure est probablement que certains animaux sont exploités et appréciés uniquement pour les services qu’ils peuvent rendre. Et comme une fable est toujours allégorique, qu’il en va de même pour certaines personnes.