Un chien, la joie de son maître par son ardeur à la chasse des bêtes fauves, commençait à s'affaiblir sous le poids des années. Un jour, en faisant tête à un sanglier furieux, il le saisit par l'oreille ; mais, ses dents gâtées laissèrent échapper l'animal. Le chasseur mécontent gronda son chien. Son vieux serviteur lui répondit : « Ce n'est point le courage, mais la force qui m'abandonne. Vous vantiez ma vigueur et vous blâmez déjà ma faiblesse. »
Tu vois bien, Philetus, pourquoi j'ai écrit cette fable.
Composée en vers dans sa version originale, « Le Chien et le Chasseur » est une fable de l’auteur latin Phèdre, qui naquit vers 14 avant J.-C et mourut en 50 après J.-C. Elle porte le numéro 39 dans le livre IV des Fables ésopiques de Phèdre, affranchi d’Auguste, traduites en prose par Ernest Panckoucke.
C’est un chien de chasse émérite qui est au cœur de cette histoire. Très à l’aise dans son rôle, il était une source de satisfaction pour son propriétaire. Avec l’âge, il devient toutefois moins habile. Un jour, alors qu’il laisse échapper un sanglier car sa mâchoire n’est plus aussi puissante, il se fait réprimander par son maître. Il répond alors en pointant du doigt l’injustice dont il fait l’objet : c’est le poids des années qui fait qu’il n’a plus la même vigueur qu’autrefois, et ce n’est pas le courage qui lui manque, mais la force.
Comme c’est parfois le cas chez Phèdre, cette fable ne comporte pas vraiment de morale. Dans la dernière phrase du texte, il s’adresse simplement à l’un de ses amis lui-même âgé, Philetus, en indiquant que ce dernier comprend sûrement spontanément ce qu’il faut en conclure. En l’occurrence, il s’agit probablement du fait qu’il est injuste de reprocher aux anciens (humains ou chiens) de ne plus se montrer aussi vifs et énergiques qu’ils ne l’étaient dans leur jeunesse.
Cette histoire est reprise au Moyen Âge par le poète français Eustache Deschamps (1340-1406), qui remplace le chasseur par un paysan dans une fable qu’il intitule « Le Chien et le Paysan » et à laquelle il donne une morale ouvertement sociale : « on est amen tant c’om fait fruit », c’est-à-dire « on est aimé tant qu’on peut servir ». À la Renaissance, l’éditeur et homme de lettre français Gilles Corrozet (1510-1568) la reprend à son tour dans une forme plus proche de celle de Phèdre avec « Le Vieux Chien et son Maître », parue en 1542. Au 18ème siècle, on retrouve une histoire très similaire, quoique plus sociale, chez le fabuliste polonais Ignacy Krasicky (1735-1801) : dans « Le Vieux Chien et le Vieux Serviteur » (1779), celui-ci dresse un parallèle entre le sort d’un chien et celui d’un serviteur tous deux déclassés à cause de leur âge.