Un Chien quitta son maître. Ayant erré deux jours,
Il trouva sire Loup, implora son secours,
Et fut admis à son service.
Il prit Lièvres, Chevreuils ; la chasse était propice.
Toujours nouveau butin, dévoré par le Loup ;
« Oh ! dit le chien, ceci ne me plait pas beaucoup :
Rien chez vous, Monseigneur, à profit ne me tourne ;
Mon ancien maître me rossait,
Mais au moins il me nourrissait :
Adieu donc ; sans tarder à l'homme je retourne ! »
« Le Chien et le chasseur » est une fable de l’homme d’Église et homme de lettres polonais Ignacy Krasicki (1735-1801), qui porte le numéro 15 dans le livre I de ses Fables et Paraboles, publié en 1779. Parfois surnommé le « prince des poètes » des Lumières polonaises, Krasicki est l’auteur de nombreux écrits mais a surtout marqué les esprits avec ses fables - ce qui d’ailleurs lui vaut également le surnom de « La Fontaine polonais ». Son style se démarque toutefois de celui du célèbre auteur français, notamment parce que ses fables s’inspirent beaucoup plus librement des histoires issues de l’Antiquité et parce qu’elles se distinguent par leur concision – ce qui pour le coup les rapproche de ces dernières.
C’est d’ailleurs le cas pour « Le Chien et le chasseur », qui compte seulement dix vers. Son titre est toutefois de nature à induire en erreur : contrairement à ce que celui-ci indique, le chien qui en est le personnage principal interagit non avec un chasseur, mais avec un loup.
Après avoir quitté son maître (on saura plus tard pourquoi), il implore ce dernier de lui prêter secours. Le loup l’embauche pour chasser, mais dévore toutes les proies qu’il attrape sans rien lui laisser. Déçu, le chien décide finalement de retourner à son maître, le chasseur évoqué dans le titre : certes, celui-ci le battait, mais au moins il le nourrissait. On peut d’ailleurs souligner qu’il ne lui vient à aucun moment l’idée d’aller contre sa nature servile et de travailler pour son propre compte : il ne sait que se mettre au service de quelqu’un.
Comme toutes les autres fables de Krasicki, « Le Chien et le chasseur » ne comporte pas de morale. Quel enseignement dès lors tirer de cette histoire ? Qu’il convient de se méfier de l’herbe qui semble plus verte ailleurs ? Qu’il faut parfois avoir l’audace d’aller contre sa nature pour éviter de subir le même sort que ce chien, et donc qu’en l’occurrence il aurait dû se mettre à son compte ? Ou, au-delà de cela, que la nature est parfois bien plus cruelle que l’Homme ? L’auteur laisse ses lecteurs tirer eux-mêmes leurs propres conclusions.
En tout cas, même si ce récit ne ressemble à aucune autre fable, on retrouve une histoire de chiens au service des loups dans « Les Chiens réconciliés avec les loups », du fabuliste grec Ésope (7ème et 6ème siècle avant J.-C.) – avec à la clef une fin encore moins heureuse. La vision du meilleur ami de l’Homme comme animal servile qui, tout bien considéré, est prêt à accepter de mauvais traitements en échange de nourriture, n’est pas non plus sans évoquer celle d’une autre fable d’Ésope, « Le Loup et le Chien », elle-même reprise sous le même titre en 1668 par le fabuliste français Jean de La Fontaine (1621-1695).