Un chien dormait sur la peau d’un chevreau. Une de ses puces, à l’odeur de la laine grasse, juge que ce doit être un meilleur lieu pour vivre et être à l’abri des dents et des ongles du chien, et sans autre pensée abandonne le chien.
Entrée sous la laine épaisse, elle commence avec grande fatigue à vouloir atteindre la racine des poils.
Après beaucoup de sueur elle la trouve sèche parce que ses poils avaient été tant pressés qu’ils se touchaient et il n’y avait pas une place où la puce pût entamer la peau. Après beaucoup de travail pénible elle veut retourner à son chien ; il était parti, elle fut contrainte, après une longue souffrance et d’amers regrets, à mourir de faim.
On connaît Léonard de Vinci (1452-1519) comme artiste, inventeur et ingénieur. On sait moins qu’il écrivit entre 1487 et 1494, c’est-à-dire à l’époque où il était au service du duc de Milan Ludovic Sforza (1452-1508), 73 petites fables en prose. Ces dernières figurent en marge de ses carnets, dont le contenu (notes, croquis, ébauches…) a globalement une dimension plus scientifique et technique que littéraire - même si on y trouve aussi par exemple toutes sortes de réflexions sur l’Homme, la nature, les animaux... C’est un peu comme si ce travail d’écriture avait servi à l’auteur à se distraire de travaux plus sérieux.
« Le Chien et la Puce » est l’une de ces histoires. Malgré ce que son titre laisse supposer, c’est la puce qui en est l’héroïne - ou plutôt l’antihéroïne.
Jusque là bien à l’abri dans le pelage d’un chien, elle décide de migrer vers une peau de chevreau sur laquelle celui-ci est installé et qui dégage une alléchante odeur de laine grasse. Elle se dit qu’elle bénéficiera d’autant plus de meilleures conditions de vie qu’elle sera à l’abri des dents et des ongles du chien.
Elle déploie alors des efforts conséquents pour atteindre son objectif. Toutefois, quand elle finit par arriver à la racine des poils, elle la trouve sèche et constate qu’elle ne peut se nourrir correctement. Elle décide donc de retourner à son hôte précédent, mais celui-ci est parti entretemps. Elle finit par mourir de faim, non sans avoir éprouvé « d’amers regrets » et souffert.
Comme les autres fables de Léonard de Vinci, « Le Chien et la Puce » est une histoire originale qui ne semble inspirée d’aucune fable connue et qui ne comporte pas de morale. Néanmoins, on y voit aisément un avertissement sur le danger des décisions hâtives qui conduisent à renoncer à un acquis au profit d’un gain encore plus séduisant. Cet enseignement n’est pas sans rappeler celui que l’on trouve deux siècles plus tard dans la fable « Le Chien qui lâche la proie pour l’ombre », écrite en 1668 par le Français Jean de La Fontaine (1621-1695) en s’inspirant d’une fable d’Ésope (qui vécut aux 7ème et 6ème siècle avant J.-C.) : « Le Chien qui porte de la viande ».