« Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay (1727)

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Illustration de la fable « Le Chien couchant et la perdrix », de John Gay

Texte de la fable « Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay

Le Chien de chasse épie, et flaire et cherche

Et la brise qui court, et l'herbe qui frémit ;

Le flair s'échauffe, avec plus de soin il recherche,

Il se traîne en rampant, et petit à petit,

Puis il indique la volée

Au chasseur à la piste - elle est prise et d'emblée.

 

Une Perdrix habile à déjouer les tours

De l'homme et du Chien tous les jours,

Vit l'appât et donna l'alarme à sa couvée,

Qui vola dans le bois bien vite, et fut sauvée.

Mais avant de partir à l'Épagneul rampant

Elle tint ce discours : « Petit affreux serpent,

De l'homme né méchant esclave parasite,

De son luxe éhonté complaisant illicite,

Rebut de ton espèce, ignoble délateur,

Les Chiens qui passent pour des cœurs bons et honnêtes

Devraient tous, et pour leur honneur,

Te mettre hors la loi des bêtes ;

Car bien avant que l'homme eut enrôlé les Chiens

Pour servir à ses fins, à ses mauvais desseins,

Ils étaient généreux amis dans la fortune,

Ennemis généreux même dans l'infortune. »

 

Alors le Chien de s'écrier

Avec un dédaigneux sourire :

« Tu peux bien jaboter sans exciter mon ire,

Et forte de ton aile, à l'abri décrier.

Manant fut-il jamais juge ès belles manières ?

L'esprit rustique est encore aux brassières :

Les courtisans futés estiment ma valeur,

Pour aller au succès, je suis leur précepteur ;

Celui qui vend sa plume, ou bien sa conscience

Fait souvent à l'état payer son éloquence :

L'ami vend son ami, le mouchard le mouchard,

La beauté sa beauté, le tout sans nul égard.

C'est ainsi que dressé par l'homme

J'appris tout le pliant d'un parfait gentilhomme. »

 

« J'aurais dû deviner, s'écria la Perdrix,

L'école d'où sortait si surprenant Phénix,

En un clin d'œil valet a le vice du maître,

Rampant s'il est rampant, et traître s'il est traître :

Vous venez de la cour, dites-vous, c'est très bien,

Dit-elle en s'envolant.

Adieu, comédien ! »

 

(Traduction : Jean-Baptiste François Ernest de Chatelain, dit Chevalier de Chatelain)

Explication et signification de la fable « Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay

Œuvre écrite par le poète et dramaturge britannique John Gay (1685-1732), « Le Chien couchant et la perdrix » porte le numéro 30 dans le premier volume de ses Fables, publié en 1727.  

 

Elle commence de façon atypique : au lieu d’entrer directement dans le vif du sujet, l’auteur décrit le travail d’un chien de chasse - plus précisément d’un chien couchant, c'est-à-dire qui se couche sur le ventre pour signaler le petit gibier.

 

Fait également inhabituel dans les fables, c’est à un tel animal que le personnage est ici confronté : une perdrix. John Gay se démarque également en précisant le type de chien dont il s’agit (un épagneul), une précision que l’on ne retrouve jamais dans les époques précédentes.

 

Sa proie parvient toutefois à lui échapper. Mais avant de s’enfuir, elle prend le temps de lui dire tout le mal qu’elle pense de lui en le traitant de « méchant esclave » au service des « mauvais desseins » des humains. En plus de critiquer son rôle d’instrument de chasse de ces derniers, elle lui reproche de ne leur obéir que dans le but de vivre à leurs crochets, un peu comme un courtisan prêt à accepter n’importe quoi pour bénéficier d’avantages matériels.

 

Il convient toutefois de souligner que c’est à ce chien en particulier qu’elle fait ce procès, et non à la gent canine dans son ensemble : elle le qualifie d’ailleurs de « rebut » de son espèce, soulignant que les chiens « bons et honnêtes » devraient jeter l’opprobre sur lui. Elle évoque ensuite l’époque antérieure à la domestication des chiens par l’Homme, au cours de laquelle ces derniers se montraient selon elle « généreux ».

 

La troisième strophe correspond à la réponse de l’accusé. Il commence par souligner injustement le peu de courage du volatile, qui le critique ainsi alors qu’il est hors de sa portée. Puis il le présente comme un « manant » et un rustre, avant de se poser lui-même comme un modèle pour les courtisans, disposé qu’il est à vendre sans scrupules sa conscience, ses amis ou même la beauté (c'est-à-dire à faire à peu près tout ce qu’on peut imaginer) pour plaire aux personnes d’influence. Il affirme d’ailleurs fièrement que ce sont les humains eux-mêmes qui lui ont appris à agir ainsi. D’aucuns pourraient qualifier cet état d’esprit d’odieux, mais lui l’assimile plutôt à celui du « parfait gentilhomme ».

 

C’est néanmoins la perdrix qui a le dernier mot. Elle affirme non sans ironie qu’elle aurait dû se douter que le chien venait de la cour, et formule la morale qu’il faut tirer de cette histoire (« En un clin d'œil valet a le vice du maître, / Rampant s'il est rampant, et traître s'il est traître »). Celle-ci s’appuie sur le fait que le chien se couche au cours de la chasse. Mais la perdrix va plus loin, l’imaginant même en train de ramper, une position souvent associée à la soumission ou la flatterie. Elle le traite alors de comédien (sous-entendu d’hypocrite), puis s’en va.

 

Un peu comme son prédécesseur français Jean de La Fontaine (1621-1695) dans la fable « Le Loup et le Chien » (1668) ou lui-même dans « Le Chien de berger et le loup » (1727), John Gay présente donc ici le chien comme un serviteur soumis de l’Homme dont ce dernier se sert pour commettre toutes sortes de méfaits. Cependant, avec les références à la cour et aux courtisans, on est ici davantage dans la critique sociale : il se moque clairement du monde de la cour, plein de flatteurs et de profiteurs.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chien dans les fables
  2. Page 2 : « Les Deux Chiens », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  3. Page 3 : « Les Chiens affamés », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  4. Page 4 : « Le Chien endormi et le Loup », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  5. Page 5 : « Le Chien qui porte de la viande », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  6. Page 6 : « Les Chiens réconciliés avec les Loups », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  7. Page 7 : « Le Loup et le Chien », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  8. Page 8 : « La Brebis, le Chien et le Loup », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  9. Page 9 : « Le Chien fidèle », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  10. Page 10 : « Le Chien et le Crocodile », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  11. Page 11 : « Le Loup et le Chien », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  12. Page 12 : « Les Ambassadeurs des chiens et Jupiter », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  13. Page 13 : « Le Chien et le Chasseur », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  14. Page 14 : « Le Chien et la Brebis », de Marie de France (vers 1175)
  15. Page 15 : « Le Chien et la Puce », de Léonard de Vinci (vers 1490)
  16. Page 16 : « Le vieux Chien et son Maître », de Gilles Corrozet (1542)
  17. Page 17 : « Le Loup et le Chien », de Jean de La Fontaine (1668)
  18. Page 18 : « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre », de Jean de La Fontaine (1668)
  19. Page 19 : « Le Chien et son Maître », d’Antoine Furetière (1671)
  20. Page 20 : « Les deux Chiens et l’Âne mort », de Jean de La Fontaine (1678)
  21. Page 21 : « Le Loup et le Chien maigre », de Jean de La Fontaine (1678)
  22. Page 22 : « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine (1678)
  23. Page 23 : « Le Chien trompé », de Charles Perrault (1699)
  24. Page 24 : « Le Chien de berger et le Loup », de John Gay (1727)
  25. Page 25 : « Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay (1727)
  26. Page 26 : « Le Roquet, le Cheval et le Chien de chasse », de John Gay (1727)
  27. Page 27 : « Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert (1746)
  28. Page 28 : « Le Chien et le Chasseur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  29. Page 29 : « Le Vieux Chien et le Vieux Serviteur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  30. Page 30 : « Le Maître et le Chien », d’Ignacy Krasicki (1779)
  31. Page 31 : « Le Chien et le Crocodile », de Félix María Samaniego (1781)
  32. Page 32 : « L’Aveugle et son Chien », de Jacques Cazotte (1788)
  33. Page 33 : « Le Chien et le Chat », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  34. Page 34 : « La Brebis et le Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  35. Page 35 : « Le Petit Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  36. Page 36 : « L’Éléphant et le Carlin », d’Ivan Krylov (1815)
  37. Page 37 : « Le Villageois et le Chien », d’Ivan Krylov (1843)
  38. Page 38 : « Le Chien et le Loup », de Léon Tolstoï (1875)
  39. Page 39 : « Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May (1882)
  40. Page 40 : « Le Chien pelé », de Jean Anouilh (1962)
  41. Page 41 : « Le Lévrier », de Jean Anouilh (1962)