« Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine (1678)

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Texte de la fable « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine

Illustration de la fable « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine

Qu'ai-je fait, pour me voir ainsi 

Mutilé par mon propre maître ?

Le bel état où me voici !

Devant les autres chiens oserai-je paraître ? 

Ô rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,

Qui vous ferait choses pareilles ?  

Ainsi criait Mouflar, jeune Dogue ; et les gens,

Peu touchés de ses cris douloureux et perçants, 

Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.

Mouflar y croyait perdre : il vit avec le temps

Qu'il y gagnait beaucoup ; car étant de nature

À piller ses pareils, mainte mésaventure

L'aurait fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée ;

Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.

Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui 

C'est le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre, 

On le munit, de peur d'esclandre :

Témoin maître Mouflar armé d'un gorgerin, 

Du reste ayant d'oreille autant que sur ma main ;

Un Loup n'eût su par où le prendre.

Explication et signification de la fable « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine

« Le Chien à qui on a coupé les oreilles » est un poème du célèbre auteur français Jean de le Fontaine (1621-1695). Il porte le numéro 8 dans le livre X du deuxième tome de ses Fables, qui fut publié en 1678. Contrairement à nombre d’entre elles, il ne semble pas inspiré d’une histoire déjà existante. 

 

Comme son titre l’indique, son personnage principal est un représentant de la gent canine dont on a coupé les oreilles. L’histoire commence par ses lamentations : il en veut à son maître de l’avoir fait mutiler, et sa colère s’étend aux humains en général. Il est difficile de ne pas compatir à la douleur de ce dogue nommé Mouflar (le mot « moufle » désigne à cette époque un gros visage rond), d’autant que ceux qui l’ont fait souffrir semblent pour leur part totalement indifférents à son malheur.

 

Toutefois, ce chien comprend dans un deuxième temps les bénéfices qu’il peut tirer de cette mutilation. Se dégage alors de l’histoire une première morale implicite : parfois, il y a en réalité dans quelque chose qui semble à première vue négatif des avantages qui dépassent les inconvénients.

 

En effet, Mouflar est de nature belliqueuse, ayant tendance à « piller » (c'est-à-dire à mordre) ses congénères. Il comprend donc que, s’il avait toujours ses oreilles, elles seraient altérées « en cent lieux » par des morsures que ces derniers lui auraient assénés. En effet, comme le rappelle l’auteur dans un alexandrin devenu un proverbe, « chien hargneux a toujours l’oreille déchiré ».

 

Vient alors la morale : l’histoire de Mouflar, dont on a en réalité coupé les oreilles pour le protéger, enseigne qu’il faut parfois consentir à de douloureux sacrifices pour se protéger ou protéger ses biens.

 

Les derniers vers voient le personne principal réapparaître, pour illustrer la morale, « armé d’un gorgerin », mot qui désigne la partie d’une armure visant à protéger le cou d’un humain, et par extension un collier épais défendant la gorge d’un chien. Il dispose ainsi d’une double protection contre d’éventuels agresseurs. 

 

Dans cette histoire originale, La Fontaine met donc l’accent sur un trait de caractère du meilleur ami de l’Homme qui est rarement évoquée dans les fables : son éventuelle agressivité. Il justifie par ailleurs une pratique qui, trois siècles et demi plus tard, continue de faire débat : l’otectomie, c’est-à-dire le fait de tailler les oreilles d’un chien.

Sommaire de l'article

  1. Page 1 : Le chien dans les fables
  2. Page 2 : « Les Deux Chiens », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  3. Page 3 : « Les Chiens affamés », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  4. Page 4 : « Le Chien endormi et le Loup », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  5. Page 5 : « Le Chien qui porte de la viande », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  6. Page 6 : « Les Chiens réconciliés avec les Loups », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  7. Page 7 : « Le Loup et le Chien », d’Ésope (7ème-6ème siècle avant J.-C.)
  8. Page 8 : « La Brebis, le Chien et le Loup », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  9. Page 9 : « Le Chien fidèle », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  10. Page 10 : « Le Chien et le Crocodile », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  11. Page 11 : « Le Loup et le Chien », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  12. Page 12 : « Les Ambassadeurs des chiens et Jupiter », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  13. Page 13 : « Le Chien et le Chasseur », de Phèdre (1er siècle après J.-C.)
  14. Page 14 : « Le Chien et la Brebis », de Marie de France (vers 1175)
  15. Page 15 : « Le Chien et la Puce », de Léonard de Vinci (vers 1490)
  16. Page 16 : « Le vieux Chien et son Maître », de Gilles Corrozet (1542)
  17. Page 17 : « Le Loup et le Chien », de Jean de La Fontaine (1668)
  18. Page 18 : « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre », de Jean de La Fontaine (1668)
  19. Page 19 : « Le Chien et son Maître », d’Antoine Furetière (1671)
  20. Page 20 : « Les deux Chiens et l’Âne mort », de Jean de La Fontaine (1678)
  21. Page 21 : « Le Loup et le Chien maigre », de Jean de La Fontaine (1678)
  22. Page 22 : « Le Chien à qui on a coupé les oreilles », de Jean de La Fontaine (1678)
  23. Page 23 : « Le Chien trompé », de Charles Perrault (1699)
  24. Page 24 : « Le Chien de berger et le Loup », de John Gay (1727)
  25. Page 25 : « Le Chien couchant et la Perdrix », de John Gay (1727)
  26. Page 26 : « Le Roquet, le Cheval et le Chien de chasse », de John Gay (1727)
  27. Page 27 : « Les Deux Chiens », de Christian Fürchtegott Gellert (1746)
  28. Page 28 : « Le Chien et le Chasseur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  29. Page 29 : « Le Vieux Chien et le Vieux Serviteur », d’Ignacy Krasicki (1779)
  30. Page 30 : « Le Maître et le Chien », d’Ignacy Krasicki (1779)
  31. Page 31 : « Le Chien et le Crocodile », de Félix María Samaniego (1781)
  32. Page 32 : « L’Aveugle et son Chien », de Jacques Cazotte (1788)
  33. Page 33 : « Le Chien et le Chat », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  34. Page 34 : « La Brebis et le Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  35. Page 35 : « Le Petit Chien », de Jean-Pierre Claris de Florian (1792)
  36. Page 36 : « L’Éléphant et le Carlin », d’Ivan Krylov (1815)
  37. Page 37 : « Le Villageois et le Chien », d’Ivan Krylov (1843)
  38. Page 38 : « Le Chien et le Loup », de Léon Tolstoï (1875)
  39. Page 39 : « Le Loup et les deux Bassets », de Léon-Pamphile Le May (1882)
  40. Page 40 : « Le Chien pelé », de Jean Anouilh (1962)
  41. Page 41 : « Le Lévrier », de Jean Anouilh (1962)