Un enfant seul,
Tout seul avec en main
Une belle tranche de pain,
Un enfant seul
Avec un chien
Qui le regarde comme un dieu
Qui tiendrait dans sa main
La clé du paradis des chiens.
Un enfant seul
Qui mord dans sa tranche de pain,
Et que le monde entier
Observe pour le voir donner
Avec simplicité,
Alors qu'il a très faim,
La moitié de son pain
Bien beurré à son chien.
« La Tranche de pain » est une œuvre du poète et écrivain belge Maurice Carême (1899-1978). Elle comporte cinq strophes inégales et figure dans le recueil de poésie Au clair de la lune, publié en 1977.
Ce poème a pour héros un enfant, figure très chère à Maurice Carême, et décrit la relation de celui-ci avec un chien.
La première strophe introduit donc le personnage principal de la scène, en précisant qu’il tient un morceau de pain. Elle débute par une expression qui se répète à trois reprises dans le texte : « un enfant seul ». « Tout seul », insiste même le poète dans le deuxième vers.
Cette affirmation est toutefois nuancée dans la strophe qui suit et qui, par sa brièveté, se distingue du reste du poème : « Un enfant seul / Avec un chien ». Elle donne l’impression que cet enfant « tout seul » et ce chien forment une paire, voire une même entité.
La troisième strophe présente le point de vue de l’animal, manifestement affamé ou juste gourmand : à ses yeux, ce petit avec un bout de pain dans la main est comme un dieu tenant la clef du paradis.
Dans la quatrième strophe, cet enfant seul est mis en contraste avec « le monde entier ». Il commence par exécuter une action des plus banales : mordre dans sa tranche de pain. Tous les regards sont ensuite tournés vers lui, et ce que le public ou le lecteur attend est l’action qui suit : le partage.
L’enfant formant avec le chien une paire, il lui semble naturel (il le fait ainsi en toute « simplicité ») de partager son pain en deux parts égales pour en donner une à l’animal, bien qu’il ait lui-même très faim.
Cette scène et ce poème sont d’ailleurs l’occasion de se remémorer les origines du mot « compagnon », qui descend des mots latins cum (« avec ») et panis (« pain ») : un compagnon, celui avec qui on partage le pain, et par conséquent, celui qui nous « accompagne » (même origine latine), partageant avec nous diverses occupations et aventures, voire notre sort.
Ici comme dans « Le Petit Chien », autre poème de Maurice Carême avec un chien, le meilleur ami de l’Homme est donc très étroitement associé à l’enfant. L’auteur le présente même dans ce poème comme le compagnon de l’enfant, au sens le plus fort du terme.