« La Mort du chien », de Victor Hugo (1855)

La page de couverture du recueil « Les Quatre Vents de l’esprit », écrit par Victor Hugo

Texte du poème « La Mort du chien »

Un groupe tout à l’heure était là sur la grève,

Regardant quelque chose à terre. ― Un chien qui crève !

M’ont crié des enfants ; voilà tout ce que c’est. ―

Et j’ai vu sous leurs pieds un vieux chien qui gisait.

L’océan lui jetait l’écume de ses lames.

— Voilà trois jours qu’il est ainsi, disaient des femmes,

On a beau lui parler, il n’ouvre pas les yeux.

— Son maître est un marin absent, disait un vieux.

Un pilote, passant la tête à sa fenêtre,

A repris : ― Ce chien meurt de ne plus voir son maître.

Justement le bateau vient d’entrer dans le port ;

Le maître va venir, mais le chien sera mort. ―

Je me suis arrêté près de la triste bête,

Qui, sourde, ne bougeant ni le corps ni la tête,

Les yeux fermés, semblait morte sur le pavé.

Comme le soir tombait, le maître est arrivé,

Vieux lui-même ; et, hâtant son pas que l’âge casse,

A murmuré le nom de son chien à voix basse.

Alors, rouvrant ses yeux pleins d’ombre, exténué,

Le chien a regardé son maître, a remué

Une dernière fois sa pauvre vieille queue,

Puis est mort. C’était l’heure où, sous la voûte bleue,

Comme un flambeau qui sort d’un gouffre, Vénus luit ;

Et j’ai dit : D’où vient l’astre ? où va le chien ? ô nuit !

 

Juillet 1855

Informations sur l'auteur et explications

Daté de juillet 1855, « La Mort du chien » est en fait un poème sans titre portant le numéro XVIII dans « Le Livre lyrique », troisième partie du recueil de poésie Les Quatre Vents de l’esprit, publié en 1881. Il fut donc composé à l’époque où son auteur, le célèbre romancier, dramaturge et poète français Victor Hugo (1802-1885), se trouvait en exil politique à Jersey.

 

On connaît Victor Hugo pour ses œuvres littéraires tout autant que pour ses engagements politiques, notamment son opposition au coup d’État de Napoléon III (1808-1873) ou à la peine de mort. En revanche, on sait moins qu’il fut un pionnier de la lutte en faveur des droits des animaux. Ainsi, il milita par exemple pour la loi Grammont, adoptée en 1850 et qui fut le premier texte législatif français sanctionnant les violences commises à l’encontre des animaux domestiques, et fut président d’honneur de la Ligue française contre la vivisection dès sa création en 1882.

 

On sait aussi par ses œuvres, sa correspondance et ses biographes qu’il posséda au moins quatre chiens dans les années 1850 et 1860 : un mâle baptisé ironiquement Sénat, en référence à la chambre haute aux ordres de Napoléon III, une femelle nommée Chougna, à qui il consacra le poème « Ma Chienne, la Chougna », ainsi que deux autres spécimens nommés respectivement Lux et Marquis, immortalisés sur plusieurs photos d’époque.

 

Dans « La Mort du chien », composé de 24 alexandrins aux rimes plates, Hugo décrit une scène ayant vraisemblablement pour cadre l’île de Jersey : un vieux chien mourant de chagrin sur la grève, dévasté de ne pas revoir son maître, un marin parti en mer. Cette histoire n’est pas sans rappeler celle d’Argos, le chien d’Ulysse, évoqué par Homère dans sa fameuse Odyssée (fin du 8ème siècle avant J.-C.). Cela dit, elle se déroule dans un contexte beaucoup plus banal.

 

Dans la première partie du poème, l’auteur introduit ce dernier : un chien se meurt au bord de la mer, dans l’indifférence cruelle des enfants (« Un chien qui crève ! / M’ont crié des enfants ; voilà tout ce que c’est »). Les autres témoins (des femmes et un pilote de navire) semblent manifester un peu plus de compassion, mais l’océan lui-même paraît également indifférent à ce spectacle.

 

La cause de la mort est clairement exposée par le pilote : « Ce chien meurt de ne plus voir son maître », un marin parti en mer. Toutefois, contrairement à ses prédictions, l’animal ne s’éteint pas avant d’avoir revu son propriétaire : il tient bon et rouvre les yeux au retour du marin. Le poète relate alors les bouleversantes retrouvailles de ces deux « vieux » ainsi que les marques d’affection du chien – en particulier son regard et sa queue qui remue.

 

Sa mort est donc « repoussée », tant dans l’histoire relatée que dans la construction du poème, qui la met en valeur en la rejetant en début de vers (« Puis est mort »). Il fait alors nuit : tandis que lui s’éteint, une étoile s’allume. L’auteur s’interroge alors sur le devenir de son âme.

 

C’est donc l’indéfectible attachement d’un chien à son maître que Victor Hugo a voulu célébrer dans ce texte à la gloire du meilleur ami de l’Homme, fidèle à son propriétaire jusqu’à son dernier souffle. 

Dernière modification : 06/27/2025.