Depuis que l’art pictural existe, l’Homme a l’habitude d’y représenter son meilleur ami, seul ou à ses côtés. Le dessin animé n’échappe pas à la règle : celui-ci y fait son apparition rapidement après la création de ce nouveau format.
Pluto et Dingo, deux chiens créés par Walt Disney, sont sans doute les deux héros canins de dessins animés les plus connus au monde, mais beaucoup d’autres ont marqué l’histoire de ce médium et continuent d’enchanter ou de faire rire petits et grands.
Avant de passer en revue 15 d’entre eux, il est intéressant d’en savoir plus sur les premières apparitions du meilleur ami de l’Homme dans le dessin animé, ainsi que sur la manière dont sa représentation y a évolué au fil du temps.
L’invention du dessin animé est généralement attribuée au photographe et inventeur français Charles-Emile Reynaud (1844-1918), qui en 1892 projette un film animé de 5 minutes intitulé Pauvre Pierrot. Celui-ci raconte comment Arlequin, personnage type du théâtre italien, tente de séduire son amour de toujours, Colombine, en jouant de la mandoline et en lui offrant des fleurs.
À cette époque, le cinématographe, la caméra inventée par Louis Lumière (1864-1948) et qui donnera naissance au septième art, n’existe pas encore. Reynaud réalise donc son œuvre en dessinant et en peignant à la main une bande de 70 mm de large. L’œuvre est rudimentaire, mais elle marque un tournant : le dessin animé vient de naître.
Il ne faut pas attendre longtemps pour que le meilleur ami de l’Homme trouve sa place dans cette nouvelle aventure artistique. En 1919, l’animateur et inventeur américain d’origine polonaise Max Fleischer (1883-1972), en collaboration avec son frère Dave (1894-1979) dans le cadre de leur propre studio, Fleischer Studios, signe un court-métrage d’animation baptisé The Clown’s Pup (« Le chiot du clown », en français) : c’est la première fois qu’un chien apparaît dans un dessin animé.
Cette œuvre est en fait un épisode d’une série baptisée Out of the Inkwell (« Sorti de l’encrier », en français) et diffusée de 1918 à 1929, qui mélange prises de vue réelle et animations. Elle met en scène Max Fleischer lui-même, en train de dessiner et d’animer le héros du dessin animé : Koko le clown. Dans cet épisode, ce dernier entreprend de dessiner lui-même un Bouledogue Anglais blanc : très rond et peu détaillé, le chien obtenu ne plait guère à Fleischer, qui décide d’en croquer un deuxième beaucoup plus réaliste. S’ensuit alors un combat entre les deux représentants de la gent canine, auquel le clown se trouve mêlé malgré lui.
En 1923, les frères Fleischer embauchent le réalisateur et scénariste américain Dick Huemer (1898-1979) pour venir les épauler dans l’élaboration des épisodes de Out of the Inkwell. Celui-ci donne à Koko un compagnon d’infortune : Fitz, un petit chien blanc avec une tache noire, dont la race n’est pas identifiée.
Ce petit animal espiègle n’a pas grand-chose à voir avec le chien anonyme présent en 1919 dans The Clown’s Pup. En effet, c’est un personnage anthropomorphique, c’est-à-dire un animal possédant de nombreux attributs humains. Il a notamment la capacité de se mouvoir sur ses pattes arrière, porte parfois des vêtements et possède une intelligence bien supérieure à ce qu’on peut attendre d’un représentant de la gent canine.
À partir de son apparition, la série délaisse quelque peu les interactions entre Max Fleischer et Koko pour se concentrer sur celles entre Fitz et le clown. Quant aux aspects techniques, le principe reste le même : Out of the Inkwell continue de mélanger des séquences d’animation et des scènes en prise de vue réelle. En 1926, l’épisode Koko the Convict (« Koko le détenu », en français) met d’ailleurs en scène Fitz en train d’interagir avec un véritable chien.
Dans les années 30, les majors américaines du dessin animé rivalisent d’ingéniosité pour proposer au public des personnages originaux, mais deux styles très différents se font alors concurrence.
À l’instar de Fleischer Studios ou Warner Bros, les acteurs de la côte Est s’inscrivent dans la tradition du surréalisme : les auteurs sont encouragés à faire toutes sortes d’expériences, tant en ce qui concerne le matériel employé que le reste. Par conséquent, ils n’ont pas nécessairement besoin de se soucier de la logique narrative du récit ainsi que du réalisme des situations, et sont libres d’expérimenter des techniques différentes - par exemple le collage ou le mélange entre dessins et prises de vue réelles. Concrètement, les œuvres qui s’inscrivent dans cette mouvance ne s’encombrent pas vraiment de considérations morales et n’hésitent pas à briser le quatrième mur, c’est-à-dire à faire interagir directement leurs personnages avec des êtres humains en chair et en os.
Cette approche contraste avec le classicisme de Disney, basé sur la côte Ouest et qui s’inspire davantage des processus narratifs plus traditionnels des films hollywoodiens.
Les années 30 s’avèrent en tout cas très prolifiques pour le dessin animé, et voient notamment émerger quantité de personnages canins, dont certains marquent fortement les spectateurs. Plusieurs d’entre eux font d’ailleurs aujourd’hui encore partie du patrimoine culturel américain.
En 1929, constatant la popularité du dessin animé parlant, les Fleischer lancent une nouvelle série d’animation baptisée Talkartoons (contraction de « talk » et de « cartoons »). Celle-ci est essentiellement composée - du moins au début - d’histoires indépendantes mettant en scène des personnages tous plus loufoques les uns que les autres.
Un an plus tard, Lou Fleischer (1891-1985) rejoint ses deux frères et met ses connaissances en musique au service de la série. C’est à ce moment-là qu’apparait pour la première fois Bimbo, un petit chien qui progressivement devient la vedette du programme.
Décrit par le fils de Max Fleischer comme « un cabot dur à cuir qui mâche le cigare, est un rien pervers et joue du jazz au piano », ce nouveau personnage anthropomorphique fait ses débuts dans l’épisode Hot Dog (1930), au cours duquel on le voit conduire une voiture et tenter de séduire - sans succès - les filles qu’il croise sur sa route. Sa personnalité est donc radicalement différente de celle de Fitz, le précédent héros canin du studio.
La présence d’un tel personnage dans un dessin animé peut d’ailleurs paraître surprenante aujourd’hui. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que dans les années 20 et 30, les cartoons s’adressent exclusivement aux adultes. On n’imagine alors même pas encore la possibilité de créer des dessins animés destinés aux enfants.
Si Bimbo est très différent de Fitz, son design en revanche est au départ très similaire. En effet, lui aussi est de couleur blanche, se déplace généralement sur ses pattes arrière et ne présente que peu de caractéristiques physiques propres à la gent canine. L’animateur Shamus Culhane (1908-1996), qui travaille à l’époque sur le personnage, dit même à son sujet qu’il « a dû être un chien un jour », mais qu’il « ne ressemble que vaguement à un chien ».
Il faut cependant attendre un an avant que l’apparence de Bimbo ne se fixe définitivement : au début, son poil change fréquemment de couleur et son visage est plus ou moins rond d’un épisode à l’autre. Dans The Herring Murder Case, paru en 1931, Bimbo est un chien noir avec un ventre et un visage blanc, deux grosses joues et un nez noir : c’est là son look définitif, qu’il conserve tout au long des épisodes suivants.
Au total, il apparaît dans une quarantaine de courts-métrages produits entre 1930 et 1933.
En 1930, alors que Bimbo vient à peine de faire ses débuts sur les écrans, les producteurs de Talkartoons décident de lui donner une petite amie. Introduite dans l’épisode Dizzy Dishes, cette dernière est une chanteuse de cabaret humaine, mais avec des oreilles de chien. Elle n’a alors pas encore de nom, mais sa popularité est telle que les spectateurs finissent par se désintéresser de Bimbo, qui se retrouve à jouer les seconds rôles dans la série dont il était jusqu'alors la vedette.
La chanteuse de cabaret finit par perdre ses oreilles canines pour devenir entièrement humaine, et par la même occasion obtient un nom : Betty Boop. En 1932, elle devient officiellement l’héroïne de la série, qui est alors renommée simplement en son nom.
Betty Boop est l’un des personnages les plus célèbres de l’histoire du dessin animé américain, mais son petit ami Bimbo est quant à lui tombé dans l’oubli.
Le contexte sociopolitique très permissif de l'Amérique des années 20 et du début des années 30 permet aux animateurs de Fleischer Studios de mettre en scène la plupart de leurs idées sans s’inquiéter d’une quelconque censure.
Les choses changent en 1934 avec la parution du Code Hays, un ensemble de règles établi par le sénateur conservateur William Hays (1879-1954), alors président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association (MPPDA), le plus puissant syndicat du cinéma. Il s’applique à l’ensemble des acteurs du secteur, et régule tant le contenu des productions cinématographiques tournées en prise de vue réelle que celui des dessins animés.
Pour se conformer à ces nouvelles règles, le design de Betty Boop évolue encore une fois : ses tenues deviennent moins provocantes. Sa personnalité est également modifiée, puisqu’elle s’assagit. En outre, plutôt que de sortir avec un chien, on décide qu’il serait plus convenable qu’elle en ait simplement un comme animal de compagnie. Elle adopte donc alors un chiot blanc dénommé Pudgy.
Celui-ci fait ses débuts en 1934 dans l’épisode Betty Boop’s Little Pal (« Le copain de Betty Boop », en français), où il accompagne sa maîtresse à un pique-nique et multiplie les bêtises. Il continue ensuite d’apparaitre à ses côtés jusqu’à ce qu’en 1939 elle finisse par disparaître des écrans.
Contrairement à Bimbo ou même à Fitze, Pudgy est nettement plus conforme à l’image habituelle qu’on se fait d’un chien. Bien plus innocent que ses prédécesseurs, il vise à séduire les personnes qui affectionnent les animaux. Le pari est réussi, puisque Pudgy jouit d’une certaine popularité auprès des spectateurs de la série. Il fait sa dernière apparition en 1939, dans l’épisode The Scared Crows.
Il n’y a pas qu’au sein des Fleischer Studios qu’on s’intéresse aux chiens : il en va de même notamment chez Disney. C’est ainsi qu’en 1930 un certain Pluto fait sa première apparition dans un court-métrage d’animation intitulé Symphonie enchaînée (The Chain Gang, en version originale). Celui-ci met en vedette la célèbre souris imaginée par Walt Disney (1901-1966), Mickey Mouse, qui est envoyé en prison pour un crime qu’il n’a pas commis et tente de s’évader. Mickey est alors pris en chasse par plusieurs chiens, dont un limier sans nom, mais qui possède déjà les attributs physiques caractéristiques de Pluto : un museau allongé, des babines tombantes, de grands yeux ovales et des oreilles en L.
Quelques mois plus tard, ce chien apparaît de nouveau dans le dessin animé Le Pique-nique (The Picnic), et y porte le nom de Rover. Il y occupe toutefois un rôle très différent, puisqu’il est alors l’animal de compagnie de Minnie, la petite amie de Mickey.
Il faut attendre 1931 et le court-métrage La Chasse à l’élan (The Moose Hunt) pour que lui soit attribué le nom qui restera le sien par la suite, Pluto. À cette occasion, il change aussi de propriétaire : il devient le chien de chasse de Mickey, qu’en l’occurrence il accompagne en forêt alors que ce dernier tente de débusquer un élan.
Pluto fait partie de ce que le studio Disney appelle les « Sensational Six », aux côtés de Mickey, Donald, Dingo, Minnie et Daisy. Toutefois, il est le seul des six à marcher à quatre pattes et à ne pas être doué de parole. Ce dernier aspect oblige ses dessinateurs à travailler en profondeur la gestuelle du personnage afin d’introduire de l’humour à travers ses mouvements, faute de pouvoir le faire à travers ses propos.
Il apparaît au total dans 89 courts-métrages d’animation entre 1930 et 1953, avant de se retirer temporairement des écrans lorsque Disney décide de revoir sa stratégie commerciale et de se concentrer sur les longs-métrages.
Nombreux sont les personnages marquants de l’univers Disney à avoir fait leurs débuts dans un court-métrage d’animation mettent en scène Mickey Mouse, et Dingo n’échappe pas à la règle. Il apparaît pour la première fois en 1932 dans Mickey au théâtre (Mickey’s Revue, en version originale), où la souris de Disney se produit sur scène dans un spectacle mettant en scène divers animaux.
Parmi les spectateurs, un certain Dippy Dawg se fait remarquer à plusieurs reprises par son rire singulier. Il s’agit d’un vieux chien aux vêtements usés, portant une paire de lunettes au bout de son museau et un chapeau troué sur la tête. Le personnage n’affiche encore qu’une lointaine ressemblance avec Dingo, mais c’est bien cette première mouture qui sert de base au célèbre personnage du studio.
Remarqué par Walt Disney en personne, qui demande à le voir à nouveau mais dans une version modifiée, il apparaît quelques mois plus tard dans le court-métrage The Whoopee Party. Il y est nettement plus jeune, mais possède toujours son rire caractéristique. Sa personnalité n’en demeure pas moins bien éloignée de celle qu’on lui connait aujourd’hui.
Rien qu’en 1932 et 1933, on le retrouve dans pas moins de six autres dessins animés Disney, mais toujours comme personnage secondaire.
Il faut attendre 1934 et la sortie du court-métrage Le gala des orphelins (Orphan’s Benefit) pour que Dippy Dawg intègre enfin le groupe d’amis de Mickey. Il commence alors à être surnommé en interne Goofy (« maladroit », en français) : ce nom finit par progressivement remplacer celui de Dippy Dawg, et est traduit en français par Dingo.
Arrivé chez Disney en 1932 en proposant aux studios de travailler gratuitement pendant trois mois puis d'être payé en fonction du résultat, l’animateur Art Babbitt (1907-1992) décide alors de s’impliquer dans le développement du personnage et publie un manifeste évoquant sa vision du futur Dingo, notamment en termes de personnalité et d’apparence. Ses nombreuses suggestions sont prises en compte par ses collègues, et Dingo devient alors le personnage que l’on connaît aujourd’hui : un chien anthropomorphique simple d’esprit et maladroit, mais au grand cœur et toujours prêt à venir en aide à son prochain.
Entre 1935 et 1937, il est associé à Mickey et Donald dans des aventures suivant toujours plus ou moins le même schéma : les « trois mousquetaires » (comme ils sont surnommés alors par les équipes de Disney) sont confrontés à un problème qu’ils tentent d’abord de résoudre chacun de leur côté, avant d’être réunis par la force des choses. Dingo a toutefois la singularité de se retrouver en général aux prises avec des objets inanimés qui prennent vie - par exemple une horloge, une armoire ou encore un fusil harpon.
En 1939, à la suite d’une réorganisation interne du studio, on décide de séparer les trois mousquetaires en les faisant évoluer chacun dans des dessins animés qui leur sont dédiés. Dippy Dawg prend alors officiellement le nom de Goofy (Dingo dans la version française) à l’occasion de la sortie du premier dessin animé où il ne partage pas la vedette avec Mickey et Donald : Dingo et Wilbur (Goofy and Wilbur, en version originale). Il y part à la pêche en compagnie de son ami le criquet Wilbur.
À partir de l’année suivante, le studio confie le personnage à l’animateur Jack Kinney (1909-1992), qui le met en scène dans une nouvelle série baptisée Comment… (How to…, en version originale). Il y illustre la pratique de certains sports, mais toujours de façon catastrophique. Par exemple, dans le premier épisode, paru en 1941 et intitulé Comment faire de l’équitation (How to Ride a Horse, en version originale), Dingo monte à cheval… à l’envers. La série est un tel succès qu’elle donne fréquemment lieu à de nouvelles itérations. Aujourd’hui encore, Dingo continue d’illustrer sports et activités du quotidien pour une nouvelle génération de spectateurs, mais en commettant toujours autant de gaffes.
Dans les années 40, l’animation américaine est dominée par Disney, mais les studios Warner Bros. et Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) tentent de lui faire concurrence. Pour y parvenir, ils choisissent notamment de recruter et faire confiance à une nouvelle génération de dessinateurs.
Parmi eux figure l’Américain Tex Avery (1908-1980), qui crée plusieurs vedettes des Looney Tunes pour la Warner entre 1935 et 1941, puis est recruté par la MGM et y développe de nombreux personnages - dont Droopy, le chien le plus amorphe de l’histoire du dessin animé. L’humour absurde de ses créations et leur impertinence marquent durablement le secteur : aujourd’hui encore, de nombreux dessinateurs le citent comme source d’inspiration.
En 1929, les studios Disney signent une série d’animation innovante baptisée Silly Symphonies, dans laquelle la musique a une importance capitale. Le succès de ce dessin animé n’échappe pas à son concurrent Warner Bros., qui décide d’exploiter son propre catalogue musical en lançant dès 1930 non pas un, mais deux cartoons du même genre : Looney Tunes et Merrie Melodies. Très similaires dès le départ tant au niveau de leurs gags que des thématiques abordées, les deux séries se ressemblent de plus en plus au fil des ans : même si techniquement chacune conserve son appellation, elles finissent par devenir indistinguables l’une de l’autre.
En tout état de cause, elles n’ont pas de mal à trouver leur place dans le paysage audiovisuel des années 30. Néanmoins, elles acquièrent une autre dimension à partir de la deuxième moitié de la décennie, avec l’arrivée à la barre du cartooniste américain Tex Avery (1908-1980), mais aussi de Friz Freleng (1905-1995), Chuck Jones (1912-2002) et Robert McKimson (1910-1977), trois des dessinateurs les plus prolifiques de l’époque. Grâce notamment aux personnages introduits par cette nouvelle équipe, elles connaissent entre 1944 et 1964 un véritable âge d’or.
Plusieurs chiens y font alors leur apparition au gré des différents épisodes, mais peu parviennent à réellement marquer les esprits.
Hector le Bouledogue Anglais, créé en 1945 par Friz Freleng et Michael Maltese (1908-1981), est l’un d’entre eux - et existe d’ailleurs encore aujourd’hui. Arborant une musculature imposante et une mine patibulaire, il apparait dans les dessins animés Titi et Grosminet (Tweety & Sylvester), où il protège le petit canari jaune des attaques du célèbre chat blanc et noir.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul chien de cette race à figurer au casting des Looney Tunes : créé par Chuck Jones et apparaissant en 1952 dans ces dessins animés, Marc Anthony est lui aussi un Bouledogue Anglais. Toutefois, il ne perce pas vraiment, et finit d’ailleurs par être mis de côté à partir de 1958 puis sombrer dans l’oubli.
Son sort est assez comparable à celui de Charlie Dog, un chien errant marron créé par Bob Clampett (1913-1984) et Chuck Jones. Il apparaît pour la première fois en 1941 dans le court-métrage d’animation Porky’s Pooch, et son objectif récurrent est de trouver quelqu'un qui veuille bien l’adopter. Il n’occupe toutefois qu’un rôle mineur à chaque fois qu’il fait partie des personnages, et dans les années 50 le studio décide de le laisser de côté.
Parmi les autres chiens Looney Tunes et Merrie Melodies qui n’ont pas vraiment marqué l’histoire, on peut citer également :
Pour voir un chien susciter un véritable intérêt auprès des spectateurs de ces programmes, il faut attendre 1953 et la création par Chuck Jones de Sam, un des deux héros de Ralph le loup et Sam le chien (Ralph Wolf and Sam Sheepdog). Ce cartoon met en scène Ralph, un loup ressemblant trait pour trait au coyote de Bip Bip et Coyote (Road Runner and Wile E. Coyote), et un Berger de Brie blanc nommé Sam, dont le visage est entièrement caché par des poils roux, qui se distingue par son caractère très taciturne et le fait qu’il est quasiment immobile.
Si Ralph ressemble tant à Coyote, ce n’est pas par hasard : avec cette nouvelle œuvre, Chuck Jones veut voir s’il peut remplacer l’oiseau vif comme l’éclair créé pour son précédent dessin animé par un animal statique, qui ne compte que sur sa force et son flair pour se défaire de son adversaire. C’est une réussite : le succès est au rendez-vous et Sam résiste à l’épreuve du temps, puisqu'on le retrouve même par exemple au casting de Looney Tunes Cartoons, une version moderne de la série produite en 2019 et 2020.
L’idée de jouer sur la lenteur et le physique d’un chien pour susciter le rire n’est pas propre à Ralph le loup et Sam le chien. Dans les années 40, Tex Avery - qui s’est fait un nom grâce au succès de son travail sur Looney Tunes – quitte Warner Bros et est débauché par les studios Metro-Goldwyn-Mayer (MGM). Il crée pour eux l’un des chiens les plus emblématiques de l’animation américaine : Droopy, un Basset anthropomorphique court sur pattes et amorphe. Il se distingue par sa voix traînante et sa lenteur caractéristique, mais cède par moment à d’effroyables accès de colère.
Ce personnage apparaît pour la première fois en 1943 dans un court-métrage d’animation intitulé Droopy fin limier (Dumb-Hounded, en version originale). Il y incarne un détective qui se lance sur les traces d’un loup évadé de prison et conserve toujours une longueur d’avance sur ce dernier, alors même qu’il semble se déplacer à la vitesse d’un escargot. Ainsi, que le fugitif décide d’emprunter un taxi, un train ou même un avion, il retombe toujours où qu’il aille sur cet étrange détective.
Il convient toutefois de souligner qu’il faut attendre six années pour qu’un nom lui soit enfin attribué. En effet, ce n’est qu’à partir du cinquième dessin animé le mettant en scène, paru en 1949 et intitulé Droopy toréador (Señor Droopy, en version originale), qu’il est baptisé Droopy. Cela dit, c’est déjà ainsi qu’on avait pris l’habitude de l’appeler en interne au sein de la MGM, dès ses débuts.
Il est la vedette de 24 cartoons différents produits par l’entreprise, jusqu’à ce qu’en 1958 elle décide de fermer son département animation. On le retrouve toutefois après cette date dans d’autres dessins animés (notamment Tom et Jerry), et une seconde série lui est même consacrée plusieurs décennies plus tard : baptisée Droopy Détective (Droopy, Master Detective, en anglais), elle est diffusée en 1993.
Créés en 1950 par les Américains William Hanna (1910-2001) et Joseph Barbera (1911-2006), les studios américains Hanna-Barbera ne tardent pas à s’imposer dans le paysage audiovisuel américain : à partir des années 60, ils sont à l’origine de la quasi-totalité des dessins animés diffusés à la télévision. On reproche toutefois à ceux-ci de faire la part belle aux scènes d’action : cela ne manque pas de faire réagir les associations parentales, qui dénoncent ce trop-plein de violence et font pression sur les chaînes de télévision pour qu’elles les retirent de leur programmation.
Il faut dire qu’en quelques décennies, les dessins animés ont considérablement changé : alors que pendant longtemps ils étaient destinés aux adultes, ils ne s’adressent alors plus qu’aux enfants. Les studios sont alors invités par les diffuseurs à faire évoluer leur offre.
À la fin des années 60, la quasi-totalité des productions Hanna-Barbera voient progressivement leur audience chuter et sont annulées les unes après les autres. Les équipes du studio doivent alors redoubler de créativité pour proposer des œuvres plus familiales. Elles y parviennent à merveille, au point d’ailleurs de donner naissance à quelques-uns des personnages les plus marquants de l’histoire du dessin américain. Parmi eux figurent plusieurs vedettes canines.
La plus connue est sans doute Scooby-Doo, le grand Dogue Allemand brun tacheté qui donne son nom à la série éponyme, lancée en 1969 et qui parodie de nombreux classiques du cinéma d’horreur. Elle narre les aventures d’un groupe d’amis qui enquêtent sur de pseudo phénomènes surnaturels, en compagnie de leur chien qui parle. À la différence de la plupart des précédentes vedettes canines présentes dans les cartoons américains, Scooby-Doo est un véritable quadrupède. Imposant mais particulièrement peureux, le personnage plaît au jeune public et est encore présent de nos jours sur les écrans.
Une autre seule série célèbre des studios Hanna-Barbera dans laquelle un chien figure au casting est Les Fous du volant (Wacky Races, en version originale). Parue en 1968, elle invite à suivre des courses automobiles dans lesquels les concurrents n’hésitent jamais à tricher pour l’emporter, et met tout particulièrement en vedette les deux pilotes les plus méchants de la compétition : l’humain Satanas et son chien Diabolo, un croisé au poil jaune qui passe son temps à rire sous cape. Ce drôle de duo marque tant les esprits que ses créateurs décident de lui dédier un spin-off, qui sort en 1969 et est baptisé Satanas et Diabolo (Dastardly and Muttley in their Flying Machines, en version originale). Ils y participent à des missions d’interception de messages top-secret durant la Première Guerre mondiale.
Dans les années 80 et 90, l’évolution des mœurs amène les créateurs et diffuseurs de dessins animés à délaisser les sujets politiquement incorrects. Les nouvelles séries produites prennent alors soin d’éviter tout ce qui pourrait choquer les jeunes spectateurs.
Dans ce contexte, la place du chien dans ces nouvelles productions évolue. Le meilleur ami de l’Homme ne sert plus seulement à faire rire, mais entend aussi de plus en plus souvent personnifier des valeurs que l’on souhaite inculquer à la jeunesse : courage, ténacité, droiture morale, etc.
En parallèle, puisque les dessins animés sont désormais destinés aux enfants, les anciennes productions (pensées à l’époque pour un public adulte) sont éditées avant toute rediffusion, de manière à retirer tout ce qui pourrait heurter la sensibilité des plus jeunes. C’est ce qui arrive par exemple à différents épisodes des Looney Tunes que les chaînes de télévision rediffusent en boucle à cette époque.
L’évolution du rôle du chien est particulièrement visible dans les dessins animés européens et japonais des années 80 et 90, qui s’imposent peu à peu dans le paysage médiatique. En effet, alors que dans les œuvres américaines c’est historiquement un rôle comique qui lui est dévolu, il y apparaît souvent comme un personnage héroïque voire un exemple pour la jeunesse.
Une des créations les plus remarquables en la matière voit le jour en 1981, dans le cadre d’une coopération entre les studios japonais Tokyo Movie Shinsha et la RAI, la principale société de production audiovisuelle publique italienne. Intitulée sobrement Sherlock Holmes (Meitantei Hōmuzu), il s’agit d’une adaptation en dessin animé des romans dédiés au célèbre détective inventé par Arthur Conan Doyle (1859-1930). Confiée au départ à Hayao Miyazaki (né en 1941), qui n’est alors qu’un illustre inconnu, elle présente la particularité de mettre en scène un casting exclusivement canin - à l’exception de Moriarty, qui prend l’apparence d’un loup.
Les spectateurs découvrent ainsi Sherlock Holmes sous les traits d’un Welsh Corgi Pembroke, tandis que le docteur Watson est pour sa part un Scottish Terrier. Quant à leur logeuse, madame Hudson, elle est incarnée par un Golden Retriever. Les chiens sont ainsi présentés comme des êtres héroïques et courageux, plutôt que d’être simplement des personnages destinés à faire rire.
Ce changement du rôle du chien dans l’animation se confirme aussi par exemple dans l’adaptation en dessin animé de la célèbre bande dessinée du Belge Hergé (1907-1983), Les aventures de Tintin. En effet, cette série mettant en scène un jeune journaliste voyageant aux quatre coins du monde fait la part belle à son compagnon canin : Milou, un Fox Terrier blanc dont l’héroïsme et l’ingéniosité hors norme lui permettent de secourir son maître à de nombreuses reprises.
À côté de ces chiens héroïques de dessins animés sans doute inspirés des stars canines du grand écran comme Rintintin et Lassie, il continue d’y en avoir qui sont là avant tout pour faire rire. Coproduit en 1983 par Hanna-Barbera, Extrafilm, Gaumont et FR3, le western Lucky Luke en offre un parfait exemple. Dans cette adaptation de la bande dessinée du même nom signée par le Belge Morris (1923-2001), le célèbre cowboy « qui tire plus vite que son nombre » est accompagné dans ses aventures par Rantanplan, un Berger Allemand présenté comme « le chien le plus bête de l’Ouest » et qui ne manque pas d’amuser le spectateur.
Toujours dans les années 80 et 90, Disney tente de faire découvrir ses personnages les plus célèbres à une nouvelle génération de spectateurs en produisant de nouvelles séries et films d’animation qui leur sont dédiés. C’est notamment l’occasion pour Pluto et Dingo de faire leur retour sur les écrans.
Le premier s’illustre au côté de son maître Mickey dans plusieurs films destinés exclusivement au marché de la vidéo, comme Le Prince et le Pauvre (The Prince and the Pauper) en 1990 et Mickey, il était une fois Noël (Mickey’s Once Upon a Christmas) en 1999.
Quant à Dingo, il est le personnage principal de la série La Bande à Dingo (Goof Troop), produite et diffusée en 1992. Le succès de la série est tel que le célèbre chien de Disney devient trois ans plus tard la vedette d’un film sortant directement au cinéma : Dingo et Max (A Goofy movie). C’est à ce jour le seul « sensational six » de Disney à avoir bénéficié d’un tel traitement.
Les productions animées des années 80 et 90 ciblent principalement le jeune public, mais le succès croissant de la série Les Simpson (lancée en 1989) montre qu’il est encore possible de créer des dessins animés pour adultes.
À partir de la fin des années 90, certains studios tentent donc de plaire eux aussi à ce public plus mature avec des productions irrévérencieuses comme South Park en 1997 ou encore Les Griffins (Family Guy, en version originale) en 1999.
C’est l’occasion de retrouver le meilleur ami de l’Homme dans des rôles moins élogieux et moins consensuels. Les dessinateurs imaginent d’ailleurs des animaux au physique étrange et à la personnalité complexe, qui tend plutôt à les rapprocher des humains.
Par exemple, il est difficile de considérer comme un simple chien Brian, le Labrador blanc et rondouillard de la série Les Griffin. En effet, tant son penchant pour le Martini que son amour des femmes en font un personnage ambigu, dans la lignée de Bimbo et des autres stars canines des années 30. On ne peut pas non plus deviner aisément que Jake, l’un des deux héros de la série d’animation Adventure Time (diffusée de 2010 à 2018), est un chien. En effet, il marche sur deux pattes, affiche un penchant pour les débats ainsi que la philosophie, et possède la capacité de métamorphoser son corps à l’envie - il peut notamment se transformer en voiture, en ours ou en monstre.
À l’inverse, d’autres productions s’adressent désormais exclusivement aux très jeunes spectateurs. C’est le cas par exemple de PAW Patrol : La Pat' Patrouille, une série animée canadienne lancée en 2013 et qui rencontre un grand succès chez les moins de 6 ans. Elle met en scène un groupe de chiens menant des missions de sauvetage diverses et variées. Comme dans les programmes des années 80 et 90, l’héroïsme et la bravoure de ces animaux sont de nouveau mis en avant, mais de façon plus basique, afin de tenir compte du fait que le public visé est très jeune.
L’animation occidentale est toutefois assez binaire en ce qui concerne la figure du chien : difficile de trouver des dessins animés où celui-ci n’est ni un petit personnage adorable pensé pour plaire aux plus petits, ni au contraire un animal anthropomorphique qui parle plutôt aux adultes. Contrairement à ce qui a pu se faire par le passé, il n’existe pas vraiment aujourd’hui de productions mettant en scène le meilleur ami de l’Homme et destinées aux enfants de plus de 6 ans ou aux adolescents.
Les animes japonais parviennent dans une certaine mesure à combler ce vide, avec des œuvres qui explorent le quotidien de ces animaux (c’est le cas par exemple de Itoshi no Muco, sorti en 2013) ou qui s’intéressent à la grande variété des races existantes (à l’instar de Fortune Dogs, paru en 2002).
Il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, on voit mal quel personnage de dessin animé du 21ème siècle est capable de fédérer un large public et de marquer durablement les mémoires comme l’ont fait par exemple Droopy, Scooby-Doo ou Milou.