Si l’on devait se limiter à une lecture stricte des évangiles, on pourrait penser que le chien est mal vu dans le christianisme, tant il est présenté de manière péjorative dans la plupart des passages où il est cité.
C’est le cas notamment dans cette injonction figurant au verset 6 du chapitre 7 du livre de Matthieu : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les cochons, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent ».
Un autre verset du livre de Pierre, bien connu, parle de ceux qui briseraient sciemment des lois divines même s’ils les connaissent : « Car mieux valait pour eux n'avoir pas connu la voie de la justice, que de se détourner, après l'avoir connue, du saint commandement qui leur avait été donné. Il leur est arrivé ce que dit un proverbe vrai : le chien est retourné à ce qu'il avait vomi, et la truie lavée s'est vautrée dans le bourbier » (Pierre, chapitre 2, versets 20 à 22).
Toutefois, selon le théologien chrétien Yves I-Bing Cheng, ces termes ne sont pas à prendre au pied de la lettre. À ses yeux, les termes « chiens » et « porcs » sont avant tout utilisés comme métaphores, pour décrire des gens dont la spiritualité et la moralité sont répugnantes. Il ne serait donc pas littéralement question des chiens à proprement parler, mais des humains dont les valeurs ne correspondent pas à celles de la chrétienté.
En tout état de cause, il est judicieux de remettre ces versets dans le contexte de la rédaction du Nouveau Testament, entre le 1er et le 4ème siècle après J.-C. : à cette époque, les chiens rôdaient en meute dans les cimetières et aux abords des villes, si bien qu’ils étaient considérés comme des animaux sales et dangereux.
Ces quelques versets qui renvoient une image négative de la gent canine ne sauraient donc suffire pour tirer des conclusions quant à la position du christianisme à son égard.
Du reste, celle-ci ne fait pas forcément consensus entre les différentes confessions qui composent ce dernier.
Ainsi, l’Église orthodoxe met en avant l’idée que l’humain et la nature sont étroitement liés et perçoit le chien comme un animal sensible dont il faut prendre soin, même si elle ne lui reconnaît pas une âme.
La question de savoir si un chien a une âme (et donc s’il peut aller au paradis) fait davantage débat dans l’Église catholique. C’est lié notamment à l’évolution des mœurs et au nombre grandissant de fidèles adoptant un compagnon canin, mais aussi à l’influence que certains saints chrétiens ont sur la question.
C’est le cas par exemple de Saint Roch (1295-1327), un noble français originaire de Montpellier qui faisait partie de l’ordre des Franciscains, et dont l’image est intimement liée à cet animal. Sa vie fut rapportée par plusieurs hagiographies (c’est-à-dire des biographies embellissant la vie du personnage traité) parues à partir de la fin du 14ème siècle : notamment Acta Breviora, publié en 1483 et dont on ignore l’auteur ; et Vita Sancti Rochi, rédigé en 1478 par le noble vénitien Francesco Diedo (mort en 1484). Les différents récits bibliques narrent ainsi que Saint Roch aurait été auteur de guérisons miraculeuses au temps de la peste alors qu’il était en route pour Rome, avant de la contracter lui-même aux alentours de 1371, à son retour d’un pèlerinage à la Ville Éternelle. Constatant les signes de la maladie sur son corps, il s’isola dans un bois pour mourir. La légende veut toutefois qu’un chien s’approcha de lui et revint le voir tous les jours, léchant ses plaies et lui apportant de la nourriture, et qu’il finit par survivre à la peste. Saint Roch devint ainsi le saint patron des animaux, particulièrement de ceux de compagnie. D’ailleurs, le 16 août, jour de la Saint Roch, est en Bolivie l’occasion de célébrations au cours desquelles les chiens sont décorés de rubans et bénéficient d’attentions particulières.
On ne peut évoquer la question des chiens dans le catholicisme (et plus largement celle des animaux dans leur ensemble) sans citer également François d’Assise (né en 1181 ou 1182, et mort en 1226), religieux italien figurant parmi les saints les plus importants de la chrétienté. Sa vision des animaux marque un tournant, alors que tout au long des siècles précédents le remplacement par le christianisme des cultes polythéistes (notamment romain et grec), caractérisés par leurs croyances animistes, avait entraîné une déconnexion de l’Homme vis-à-vis de la nature. En effet, dans sa forme primitive, le christianisme ne s’intéressait guère au monde naturel et aux autres créatures vivantes, considérant que l’Homme était libre de disposer comme bon lui semble de ce qui l’entoure. François d’Assise fut l’un des premiers à remettre cette idée en cause, décrivant au contraire les animaux comme les « frères de l’Homme » et arguant qu’il faut par conséquent les traiter avec respect.
Les informations dont on dispose sur son rapport avec les représentants du monde animal sont à prendre avec des pincettes, car elles émanent pour la plupart d‘hagiographies, mais il semble qu’il voyait chez eux des qualités dont les fidèles devaient s’inspirer pour mener une vie pieuse. Il trouvait ainsi les vers de terre rampant au sol particulièrement humbles, ou considérait la brebis comme l’incarnation même de l’innocence. La légende veut même qu’il fût capable de communiquer avec eux. Par ailleurs, il pensait que les humains et les animaux n’étaient fondamentalement pas si différents, et prônait en conséquence la non-violence à leur égard.
Le 4 octobre 2023, pour commémorer le jour de la Saint François, la cathédrale Saint-Jean le Théologien de New York (États-Unis) organisa d’ailleurs une messe durant laquelle Andrew Dietsche, l’évêque de la ville, bénit des centaines d’animaux - dont de nombreux chiens.
Cette initiative aurait peut-être été appréciée par le pape Paul VI (1897-1978), qui fut à la tête de l’Église catholique de 1963 jusqu’à sa mort. En effet, il aurait au cours de son pontificat déclaré à un enfant attristé par le décès de son chien qu’il le reverrait un jour dans « l’éternité du Christ », car « le paradis accueille toutes les créatures de Dieu ».
Celui qui lui succéda à partir de 1978 sur le trône de Saint Pierre, Jean-Paul II (1978-2005), s’inscrivit dans le prolongement de cette pensée lorsqu’il affirma que les animaux étaient « aussi proches de Dieu que le sont les hommes ». Même son successeur de 2005 à 2013 Benoît XVI (1927-2022), réputé plus conservateur, resta sur cette ligne, allant même jusqu’à ajouter que lorsqu’un animal meurt, cela ne constitue « que la fin de son existence sur terre ».
Les déclarations de différents papes n’ont pour l’heure jamais conduit à une remise en question officielle de la doctrine de l’Église stipulant que les animaux n’ont pas d’âme, mais montrent que cette question métaphysique est loin d’être tranchée.