« Au fond du vieux refuge », de Gilbert Dumas (1987)

La couverture de l'autobiographie « Le Carré de Pluton : Mémoires », écrite par Brigitte Bardot

Texte du poème « Au fond du vieux refuge »

Au fond du vieux refuge, dans une niche en bois,

Depuis deux ans je purge, d'avoir trop cru en toi.

Tous les jours je t'attends, certain que tu viendras,

Tous les soirs je m'endors, sans que tu ne sois là.

 

Pourtant je suis certain, je te reconnaîtrai,

Viens me tendre une main, je te la lécherai.

Tu te souviens très bien, quand je sautais sur toi,

Que tu me caressais, que je dansais de joie.

 

Que s'est-il donc passé, pour que ce 16 juin,

Heureux que tu étais, je me rappelle bien,

Tu sifflais, tu chantais, en bouclant les valises,

Que tu m'aies attaché, là, devant cette église.

 

Je ne peux pas comprendre, et ne croirai jamais,

Que toi qui fus si tendre, tu sois aussi mauvais.

Peut-être es-tu très loin, dans un autre pays,

Mais quand tu reviendras, moi j'aurai trop vieilli.

 

Ton absence me pèse, et les jours sont si longs,

Mon corps s'épuise, et mon cœur se morfond.

Je n'ai plus goût à rien, et je deviens si laid,

Que personne, jamais, ne voudra m'adopter.

 

Mais moi je ne veux pas, que l'on me trouve un maître,

Je montre bien mes dents, et je prends un air traître,

Envers qui veut me prendre, ou bien me caresser,

Pour toutes illusions, enfin leur enlever.

 

Car c'est toi que j'attends, prêt à te pardonner, 

A te combler de joie, du mieux que je pourrai, 

Et je suis sûr, tu vois, qu'ensemble nous saurions,

Vivre des jours heureux, en réconciliation.

 

Pour cela, je suis prêt, à faire de gros efforts,

A rester prés de toi, à veiller quand tu dors,

Et à me contenter, même si j'ai très faim,

D'un vulgaire petit os, et d'un morceau de pain.

 

Je n'ai jamais rien dit, lorsque tu m'as frappé, 

Sans aucune raison, quand tu étais énervé, 

Tu avais tous les droits, j'étais à ton service,

Je t'aimais sans compter, j'acceptais tous tes vices.

 

Tu m'as mis à la chaîne, ou tu m'as enfermé, 

Tu m'as laissé des jours, sans boire et sans manger,

J'ai dormi bien souvent, dans ma niche sans toit,

Paralysé, raidi, tellement j'avais froid.

 

Pourtant, si tu reviens, nous partirons ensemble,

Nous franchirons en chœur, la porte qui ressemble,

A celle d'une prison, que je ne veux plus voir,

Et dans laquelle, hélas, j'ai broyé tant de noir.

 

Voilà, mon rêve se termine, car je vois le gardien,

Puis l'infirmière, et le vétérinaire plus loin, 

Ils entrent dans l'enclos, et leurs visages blêmes, 

En disent long pour nous, sur ce qu'ils nous amènent.

 

Je suis heureux, tu vois, car dans quelques instants, 

Je vais tout oublier, et, comme il y a deux ans, 

Je m'endormais sur toi, mon cher et grand ami,

Je dormirai toujours, grâce à …l'euthanasie.

 

Et s'il t'arrive un jour, de repenser à moi, 

Ne verse pas de larmes, ne te prends pas d'émoi, 

Pour toi, j'étais " qu'un chien ", tu préférais la mer,

Tu l'aurais su avant, j'aurai payé moins cher.

 

À vous tous les humains, j'adresse une prière,

Me tuer tout petit, aurait peiné ma mère, 

Mais il eut mieux valu, pour moi, cette manière,

Et vous n'auriez pas eu, aujourd'hui, à le faire.

Informations sur l'auteur et explications

Œuvre du poète Gilbert Dumas, « Au fond du vieux refuge » fut rendu célèbre en 1987 par l’illustre actrice française et défenseuse des droits des animaux Brigitte Bardot (née en 1934). En effet, elle en fit une lecture publique à l’occasion de la visite d’un refuge à Gennevilliers (en banlieue parisienne) dans le cadre de l’émission Entre chien et loup, diffusée en direct sur l’ancienne chaîne de télévision française Antenne 2. Le texte fut plus tard édité en annexe du second volume de son autobiographie, Le Carré de Pluton : Mémoires, publié en 1999.

 

Dans ce poème en alexandrins composé de quinze quatrains, l’auteur s’identifie à un chien dans un refuge. Il parle donc en son nom, et par extension au nom de tous les animaux abandonnés et maltraités.

 

La première strophe pose la cadre : la scène se situe « au fond du vieux refuge, dans une niche en bois ». Le chien s’exprime à la première personne, et on comprend immédiatement que c’est son ancien maître qu’il tutoie. Il ressent indéniablement de la déception d’avoir été trahi (« je purge, d’avoir trop cru en toi »), mais dans le même temps attend impatiemment son retour.

 

Dans la strophe qui suit, il évoque la joie qu’il avait de retrouver son maître quand celui-ci rentrait à la maison, et celle qu’il aurait de le revoir. Cette joie du chien, témoignage de son amour pour son propriétaire, s’inscrit en opposition avec celle que ce dernier montrait à l’idée de partir en vacances le jour où il l’a abandonné, manifestement donc sans scrupules, devant un lieu pourtant sacré – une église. Ayant vu son maître boucler des valises, le chien l’imagine parti dans un pays lointain. Le lecteur comprend très bien la situation, mais lui, plein de candeur et d’innocence, ne parvient pas à imaginer que son « tendre » maître ait pu avoir la cruauté de l’abandonner (« Je ne peux pas comprendre, et ne croirai jamais »).

 

Dans les strophes 5 à 7 sont évoquées les souffrances psychologiques et physiques que lui occasionne la séparation : « je deviens si laid / Que personne, jamais, ne voudra m'adopter », dit-il. Pour autant, il ne souhaite pas qu’on lui trouve un autre maître : l’amour qu’il porte au sien est si fort qu’il préfère vivre ainsi et garder espoir, plutôt que de le reporter sur un autre.

 

Sa loyauté à toute épreuve est soulignée à nouveau dans les strophes qui suivent. En effet, malgré les souffrances causées par l’abandon, il serait prêt à pardonner son maître si celui-ci venait le rechercher. Évoquant une possible « réconciliation », il se dit prêt à « faire de gros efforts », inversant en quelque sorte les rôles et exprimant un sentiment de culpabilité qui, aux yeux du lecteur, ne saurait en aucun cas être justifié compte tenu du cruel acte d’abandon dont il a été victime – d’autant que sont ensuite énoncés la liste des mauvais traitements et des violences que son tortionnaire lui avait auparavant déjà fait subir.

 

Malgré toutes ces horreurs, sa loyauté et sa fidélité prennent le dessus : il se plaît à rêver de passer avec son maître la porte du refuge « qui ressemble / À celle d’une prison ».

 

Débutant par un « Voilà » au caractère manifestement définitif, la douzième strophe marque une rupture. Le rêve du retour du maître se termine, et le chien étend son propos à tous les animaux du refuge, voire tous les animaux abandonnés, via le passage au pronom personnel pluriel « nous ». Mais malgré ce douloureux retour à la réalité, il se dit « heureux » du fait de la perspective d’un tournant qui marquerait la fin d’une vie de souffrances et le repos éternel. Le mot se fait attendre, mais il apparaît à la fin de la treizième strophe : « euthanasie ».

 

Le jugement de l’animal se fait alors plus sévère : il refuse la pitié de son propriétaire, qui lui a causé tant de souffrances en réalisant trop tard qu’à ses yeux il était moins important que des vacances à la mer. Autrement dit, il le retire du piédestal sur lequel il continuait jusqu’alors de le placer.

 

Dans le dernier quatrain, bouleversante conclusion qui marque un nouveau changement de ton, le chien ne s’adresse plus à son maître, mais à nous tous, « les humains ». Il affirme qu’il aurait été préférable de le tuer dès sa naissance plutôt que de lui faire subir cette vie de souffrances.

 

Émouvant éloge de la fidélité et de la loyauté sans faille d’un chien envers son maître, ce poème qui décrit les violences, maltraitances et souffrances qu’un animal peut être amené à subir est aussi un avertissement sur la responsabilité que représente le fait d’adopter un chien, en plus d’une dénonciation des abandons.

Dernière modification : 06/27/2025.