De manière générale, les Russes sont un peuple à chats plutôt qu’à chiens. Selon une enquête menée en 2023 par le Levada Center, une ONG russe indépendante de sondages et de recherches sociologiques, on trouvait alors un petit félin dans 43% des foyers : c’est considérable dans l’absolu mais aussi en comparaison des représentants de la gent canine, présents dans « seulement » 22% des foyers.
Leurs dirigeants en revanche font nettement plus la part belle au meilleur ami de l’Homme : depuis la révolution d’Octobre 1917, tous eurent des chiens.
Ce fut le cas notamment de Joseph Staline (1878-1953), qui fut à la tête de l’Union soviétique de la fin des années 20 jusqu’à sa mort en 1953. Il aimait en effet beaucoup ces animaux, et en eut plusieurs au cours de son existence. On ne sait cependant que peu de choses à leur sujet, en raison du culte du secret qui entourait sa vie privée. D'ailleurs, contrairement par exemple à Adolf Hitler (1889-1945) qui n’hésitait pas à faire connaître cette passion pour les chiens, Staline n’utilisa guère les siens à des fins de propagande.
L’époque où il fut impliqué dans de nombreuses activités révolutionnaires et criminelles (vols, incendies, crimes en bande organisée, etc…) avant l’effondrement du tsarisme en 1917 est déterminante pour expliquer son intérêt pour les chiens. En effet, il fut alors arrêté et exilé en Sibérie à plusieurs reprises. Or, au cours de l'une de ces périodes d’exil, plus précisément en 1914, des membres d’une communauté toungouse (un groupe de peuples autochtones de Sibérie) lui offrit un chien - probablement un bâtard. Il le baptisa Stepan Tmoffevich, mais prit l’habitude de le surnommer Tishka.
Celui-ci devint très vite son compagnon d’aventure préféré. Dans Le jeune Staline (Young Stalin en version originale), une biographie consacrée à la jeunesse du dictateur soviétique, l’écrivain et historien britannique Simon Sebgag Montefiore décrit d’ailleurs cette époque de sa vie comme « la période la plus heureuse de son existence morose ». Staline lui-même écrivit ceci à son sujet : « mon chien Tishka était mon compagnon. Les nuits d’hiver, si j’avais du kérosène pour lire et écrire, il entrait et venait se blottir contre mes jambes en gémissant comme s’il essayait de me parler. » Il déclara aussi sur le ton de la plaisanterie qu’il aimait parler de politique internationale avec lui.
Les recherches du biographe montrent cependant que Staline avait une vision ambiguë des relations entre les humains et les chiens. Selon lui, aux yeux du dictateur soviétique « les animaux de compagnie ont un avantage sur les Hommes : leur affection est désintéressée et leur admiration est sans borne, mais ils ne trahissent jamais leurs maîtres […] et pourtant on peut les abandonner sans une once de culpabilité ».
On sait également que le leader soviétique eut beaucoup d’affection pour un Cocker Spaniel Anglais femelle prénommé Milka. Il décida d’ailleurs de la faire empailler lorsqu'elle mourut et aujourd’hui encore elle est visible au musée Darwin, le musée d’histoire naturelle de Moscou. Il est avéré qu’elle lui fut offerte en 1949 comme cadeau d’anniversaire, mais des doutes persistent quant à l’auteur de cette attention. Selon les sources, il pourrait s’agir de la reine des Pays-Bas, d’un simple fermier ou encore d’un mineur belge. Quoi qu’il en soit, cette race étant très réputée pour ses talents de chasseur, le petit père des peuples finit par donner Milka à son fils cadet Vasily (1921-1962), dont c’était la passion.
Pour autant, la race de chien qu’on associe le plus au dictateur soviétique n’est pas le Cocker Spaniel Anglais, mais le Terrier Noir Russe. Ce chien globalement méconnu dans le reste du monde est né en URSS dans la seconde moitié du 20ème siècle à l’École centrale militaro-technique d’élevage canin, plus connu sous le nom de Chenil de l’étoile rouge. Athlétique, de très grande taille et arborant un pelage noir, il était aussi connu sous le nom de « Chien de Staline ». Le Kremlin se plaisait en effet à associer cet animal réputé pour son intelligence et ses capacités physiques à l’image du dirigeant soviétique.
D'ailleurs, ce lien perdura même après la mort de ce dernier. C’est ainsi qu’en 2012 Vladimir Poutine (né en 1952) offrit un Terrier Noir Russe au président du Venezuela Hugo Chavez (1954-2013), un pays allié de la Russie. À cette occasion, l’agence publique russe Ria Novosti déclara que Staline avait en son temps ordonné que les Terriers Noirs soient dressés pour surveiller les détenus dans les camps de Sibérie. Cette affirmation est toutefois contestée par le spécialiste de la Russie Egueni Rozenberg, qui estime que cette race n'a absolument aucun rapport avec Staline, et que certains l'appellent « chien de Staline « ou « chien du KGB » simplement pour en faire la publicité.
En tout cas, si Staline n’ordonna peut-être pas que des chiens soient dressés pour surveiller les goulags, il envoya nombre d’entre eux à une mort certaine pendant la Deuxième Guerre mondiale. En effet, il en fit déployer plus de 40.000 sur le front, afin de soutenir l’effort de guerre. On forma même des brigades de chiens équipés d’explosifs et utilisés pour mettre hors d’état de nuire les chars allemands. L’efficacité du stratagème s’avéra cependant douteuse : sur les 30 premiers chiens antichars formés à cet effet et déployés à l’été 1941, seuls 4 parvinrent à se faire exploser près de leur cible. Les autres furent en majorité tués par les Allemands avant d’atteindre leur objectif, quand ils n’opéraient pas tout simplement un demi-tour vers les tranchées soviétiques pour s’y faire exploser – en provoquant éventuellement la mort de soldats russes. À partir de 1942, l’armée soviétique arrêta donc progressivement de les utiliser à cet effet. Les centres de dressage se réorientèrent alors vers la formation de chiens détecteurs de mines (une activité elle aussi très dangereuse) et de chiens messagers.