Comme les humains, les chiens peuvent être atteints de maladies génétiques assez diverses, dont beaucoup sont héréditaires.
Certaines sont très rares et ne concernent qu'une poignée d'individus ; d'autres à l'inverse sont relativement courantes et présentes chez bon nombre de races. C'est le cas notamment de l'atrophie progressive de la rétine (APR), dont l'issue est bien souvent une cécité partielle voire totale.
Quelles sont les différentes formes d'APR existantes ? Comment savoir qu'un chien souffre d'une APR ? Est-il possible de la soigner, ou d'au moins en prémunir son compagnon ?
L'atrophie progressive de la rétine (APR), aussi appelée atrophie rétinienne progressive ou rétinite pigmentaire, est un terme génétique regroupant différentes maladies oculaires du chien génétiques et héréditaires, caractérisées par des atteintes progressives des couches externes de la rétine.
Ces affections font partie des rétinopathies, c'est-à-dire des maladies de la rétine. Elles sont le plus souvent bilatérales (c'est-à-dire touchant les deux yeux) et entraînent une perte de vision pouvant aller jusqu'à la cécité. Elles sont malheureusement incurables.
Les APR ont été décrites chez le chien pour la première fois en Suède en 1911, dans un groupe de Setter Gordons. Elles ont ensuite été constatées chez le Setter Irlandais, puis le Caniche, puis beaucoup d'autres. À ce jour, elles ont été diagnostiquées chez pas moins d'une centaine de races différentes, avec des prévalences et des formes toutefois assez variables de l'une à l'autre.
Dans certains pays dont la France et la Belgique, les APR sont considérées comme des vices rédhibitoires lors de l'achat d'un chien. Cela signifie que si la maladie est diagnostiquée dans un délai de 30 jours après l'adoption, l'acquéreur est en droit d'exiger le remboursement intégral du prix d'achat en contrepartie de la restitution de l'animal. Toutefois, dans la pratique, ceci est rarement possible avec une APR, car les symptômes mettent souvent plusieurs mois voire plusieurs années à apparaître.
Il existe plusieurs formes d'atrophie rétinienne progressive chez le chien. Leurs causes, symptômes et modalités d'évolution différent.
La dégénérescence des bâtonnets et des cônes (APR-PRCD, pour Progressive Rod and Cone Degeneration) est la forme la plus courante d'atrophie progressive de la rétine chez le chien.
Comme son nom l'indique, elle se caractérise par une destruction progressive des bâtonnets et des cônes, les cellules de la rétine qui permettent la vision. Cette destruction aboutit donc à une dégradation de la vue qui commence à se manifester généralement vers l'âge de 2 ans, puis à une cécité totale vers 7-8 ans. Elle peut avec le temps se compliquer d'une cataracte.
On retrouve l'APR-PRCD chez un grand nombre de races, comme le Samoyède, le Schapendoes Néerlandais, le Bullmastiff ou le Husky Sibérien. Les gènes impliqués, les mutations génétiques et les modes de transmission sont assez variables d'une race à l'autre et ne sont d'ailleurs même pas toujours connus avec certitude.
Dans la plupart des cas où les gènes responsables ont pu être identifiés, l'APR-PRCD se transmet selon un mode récessif, c'est-à-dire qu'il faut obligatoirement que les deux parents soient porteurs de l'anomalie et la transmettent à leurs petits pour que ces derniers développent la maladie. Mais chez certaines races comme le Bullmastiff, le mode de transmission est dominant : un seul parent malade peut suffire pour que le chiot soit atteint.
La dysplasie des bâtonnets et des cônes (APR-RCD, pour Rod and Cone Dysplasia) cause un développement anormal ou inachevé de la rétine pendant la gestation, ce qui entraîne des troubles de la vision du chiot à partir de l'âge de 6 mois et une cécité totale généralement avant l'âge d'un an.
On retrouve l'APR-RCD notamment chez le Setter Irlandais, le Sloughi, le Welsh Corgi Cardigan, le Colley à Poil Court, le Colley à Poil Long ou encore le Schnauzer Nain.
La mutation génétique impliquée n'est pas toujours la même selon les races, mais elle fonctionne toujours selon un mode récessif : les deux parents doivent être porteurs de l'anomalie et la transmettre pour que le chiot développe des symptômes. Si un seul des deux parents la transmet, le chiot est porteur sain : il ne développe pas la maladie, mais peut à son tour transmettre la mutation à ses descendants.
La dysplasie des cônes (APR-CD, pour Cone Dysplasia) est une APR présente notamment chez le Malamute d'Alaska et le Braque Allemand.
Le gène concerné est le même chez ces deux races, mais les symptômes diffèrent :
Le gène impliqué est à transmission récessive, c'est-à-dire que les deux parents doivent transmettre l'anomalie pour que leur petit soit atteint. Si un seul des deux le fait, le chiot est porteur sain : il n'est pas malade, mais peut à son tour transmettre la mutation génétique à sa progéniture.
La dégénérescence rétinienne précoce (APR-ERD, pour Early Retinal Degeneration) déclenche les mêmes symptômes que ceux d'une APR-PRCD (perte de vision...), sauf qu'ils apparaissent beaucoup plus tôt dans la vie du chien : ils se manifestent avant l'âge de 3 mois.
Pourtant, contrairement à l'APR-RCD, le développement prénatal des capteurs de la rétine est normal lors d'une APR-ERD : le chiot naît avec des yeux parfaitement opérationnels, mais leur état se dégrade beaucoup plus vite que dans le cas des autres APR.
La mutation génétique associée à cette maladie n'a à ce jour été identifiée que chez le Chien d'Elan Norvégien Gris. Son mode de transmission n'est pas connu à l'heure actuelle.
La cécité de nuit (APR-CSNB, pour Congenital Stationary Night Blindness) est une APR correspondant à une dégradation progressive des photorécepteurs rétiniens permettant la vision à basse luminosité. La perte de vision ne concerne donc que la vision de nuit ou à faible éclairage ; en revanche, la vue de jour reste inchangée.
Cette maladie a été identifiée notamment chez le Berger de Brie et le Beagle. Chez ces deux races, elle se transmet selon un mode récessif : les deux parents doivent être porteurs de l'anomalie génétique et la transmettre pour que les petits soient malades. Si un seul parent la transmet à son petit, ce dernier est un porteur sain : il peut transmettre à son tour l'anomalie à sa progéniture, mais n'a lui-même aucun symptôme.
L'atrophie centrale de la rétine, aussi appelée dystrophie de l'épithélium pigmentaire, correspond à un défaut de l'épithélium pigmentaire, c'est-à-dire la couche pigmentée située à la surface externe de la rétine.
La maladie a été observée notamment chez quelques races très populaires, comme le Labrador Retriever et le Border Collie. Elle se transmettrait selon un mode dominant, c'est-à-dire qu'un seul parent malade peut suffire pour que les petits le soient aussi. Toutefois, les gènes en cause ne sont pour l'heure pas encore connus.
La transmission semble être à pénétration incomplète : cela signifie que tous les chiens porteurs des mutations problématiques ne développent pas forcément de symptômes. Le déclenchement de la maladie ne surviendrait en effet que sous l'influence de certains facteurs environnementaux, notamment une carence du chien en vitamine E.
Dans la mesure où il existe de nombreuses formes d'APR chez le chien, il est difficile de décrire avec précision l'évolution de ces maladies et les symptômes présents, car ils sont assez variables d'une race à l'autre.
On retrouve tout de même une certaine similarité d'un type d'APR à l'autre. Ainsi, la maladie évolue dans tous les cas assez lentement, la perte de vue n'apparaissant pas du jour au lendemain. Il n'est pas rare qu'une seule des deux visions soit d'abord atteinte (la nocturne ou la diurne), puis que la seconde se dégrade quelque temps plus tard. Enfin, le chien finit bien souvent aveugle, même si cela prend plus ou moins de temps selon l'APR concernée.
Selon les races et les formes d'APR, l'âge d'apparition des symptômes est assez variable. En général, la vue ne se dégrade qu'au terme de plusieurs années. Toutefois, dans le cas de l'APR-CD et l'APR-RCD, des premiers signes sont visibles au bout de quelques mois seulement.
Les symptômes de l'APR-PRCD apparaissent généralement entre 1 et 3 ans, selon les races et les gènes concernés.
La maladie commence par une perte de vision nocturne : le chien a du mal à trouver ses repères la nuit ou au crépuscule, et semble avoir des difficultés à passer d'une pièce éclairée à un lieu sombre.
Puis, la vision diurne finit par être elle aussi affectée. L'animal a alors tendance à se cogner dans des pièces pourtant familières, et a du mal à repérer les objets situés à côté de lui. Ses pupilles sont dilatées et ses yeux réagissent peu lorsqu'on les stimule avec un faisceau lumineux.
La cécité du chien est complète vers 6 à 8 ans, selon les cas. En fin d'évolution, l'APR se complique souvent d'une cataracte, et parfois d'une luxation du cristallin.
La maladie étant due à une malformation de la rétine pendant le développement prénatal du chiot, les symptômes de l'APR-RCD apparaissent très tôt, vers l'âge de 6 mois. On constate tout d'abord une perte de vision à faible luminosité, donc essentiellement la nuit et au crépuscule.
Bien que progressive, la dégradation de la vue se fait assez vite, puisque le chien est généralement aveugle avant l'âge d'un an - exception faite du Schnauzer Nain, chez qui elle prend plusieurs années.
Les symptômes de l'APR-CD chez le Malamute d'Alaska sont une perte de la vision diurne très rapide, puisque la cécité de jour est généralement présente dès l'âge de 2 mois. En revanche, la vision dans la pénombre est encore fonctionnelle, bien qu'elle aussi soit affectée par la maladie.
Chez le Braque Allemand en revanche, la dysplasie des cônes est beaucoup plus légère, puisqu'elle occasionne « seulement » une sensibilité accrue à la lumière, voire une intolérance dans les cas les plus sévères : l'animal est donc ébloui par la lumière du jour. Il s'agit d'un des rares cas où une APR n'engendre pas de cécité.
Les symptômes de l'APR-ERD sont similaires à ceux de l'APR-PRCD, sauf qu'ils apparaissent dès l'âge de 3 à 10 semaines.
Comme dans le cas de l'APR-PRCD, la perte de la vision de nuit précède celle de la vision de jour : la cécité nocturne est effective dès 6 mois, et celle de jour dès 12 à 18 mois. Le chien est donc dans un premier temps plutôt à l'aise de jour et hésitant lorsqu'il fait sombre, mais très rapidement, il devient totalement aveugle.
De plus, comme pour l'APR-PRCD, une cataracte secondaire (c'est-à-dire causée directement par l'atrophie de la rétine) est possible en fin d'évolution de la maladie.
L'APR-CNSB se manifeste par un trouble précoce de la vision nocturne constatable dès l'âge de 6 semaines, éventuellement accompagné d'une altération de la vision diurne.
Comme la perte de la vue est d'abord surtout nocturne et que les symptômes apparaissent à un âge où le chiot n'est pas encore forcément très habile dans ses déplacements, la maladie peut passer inaperçue.
Il arrive même parfois que l'APR soit détectée de manière fortuite beaucoup plus tard : l'animal ayant grandi avec ce handicap, il le compense généralement très bien grâce à ses autres sens, si bien que personne ne soupçonne la cécité.
Les symptômes de l'atrophie centrale rétinienne apparaissent en moyenne entre un an et demi et 5 ans, en fonction notamment des races et des mutations génétiques impliquées.
Cette APR présente la particularité de causer une perte progressive de la vision centrale, ce qui lui a valu son nom. Cela signifie que le chien a des difficultés à voir les objets immobiles devant lui, alors qu'il continue à bien percevoir les mouvements. L'atteinte est bilatérale : les deux yeux sont donc touchés.
L'apparition d'une cataracte secondaire est rare, mais possible.
Diagnostiquer une APR chez un chien n'est pas chose aisée, car il existe beaucoup de formes différentes. Par ailleurs, lorsque la perte de vision est d'abord nocturne, elle peut passer assez inaperçue, a fortiori si le chien a grandi avec et a donc appris à compenser son handicap avec ses autres sens.
Un maître qui constate des symptômes pouvant laisser penser que son compagnon est atteint par une atrophie rétinienne progressive a tout intérêt à se rendre rapidement chez un vétérinaire afin que ce dernier observe les yeux du chien, en particulier si ce dernier appartient à une race prédisposée.
Les examens les plus souvent pratiqués sont :
Ces examens permettent généralement de savoir s'il s'agit bel et bien d'une APR, et le cas échéant de déterminer le type d'APR en question. Néanmoins, si un doute persiste, il peut être intéressant de réaliser un test génétique, si un tel test existe pour la forme d'APR et la race concernées.
Il existe de nos jours toutes sortes de tests génétiques pour chien, et une partie d'entre eux visent à détecter la mutation génétique associée à telle ou telle forme d'APR. Ils permettent ainsi d'établir un diagnostic certain si le doute persiste après l'examen des yeux par le vétérinaire.
Ces tests n'existent toutefois pas chez toutes les races ni pour toutes les APR : tout dépend en fait de si la ou les mutations génétiques impliquées sont connues ou non, et s'il est facile de les détecter. Ainsi, un test génétique peut être disponible chez une race mais pas chez une autre, et pour une forme d'APR mais pas pour une autre. Les formes qu'il est le plus facile de tester sont l'APR-PRCD et l'APR-CSNB.
Dans tous les cas, ces tests consistent en un simple prélèvement buccal par frottis. Le prix d'un test d'APR pour chien est d'une centaine d'euros, et les résultats sont disponibles au bout d'environ un mois. Un certificat est alors délivré afin d'attester du patrimoine génétique de l'animal testé.
Il n'existe à ce jour aucun traitement permettant de soigner ou même de ralentir la progression de l'APR chez un chien, quelle que soit la forme qu'elle prend. La vue de l'animal se dégrade donc progressivement et inexorablement - souvent jusqu'à la cécité - tout au long d'un processus qui s'étale sur plusieurs mois voire années.
Tout ce que le maître peut faire pendant ce temps, c'est de rendre régulièrement visite à un vétérinaire pour effectuer des examens ophtalmologiques et suivre la progression de la maladie, si celle-ci évolue pendant plusieurs années.
Dans le cas où l'issue de l'APR est une cécité marquée voire totale, il est important d'aménager le logement pour faciliter la vie du chien aveugle : ne pas laisser traîner d'objets sur le sol, privilégier les jouets sonores, lui empêcher l'accès aux escaliers...
Il convient toutefois de souligner qu'un chien aveugle totalement ou partiellement s'habitue beaucoup mieux à son handicap qu'un humain, en particulier si la dégradation de sa vue est progressive ou précoce. Par conséquent, sous réserve de prendre quelques précautions et de changer certaines choses pour améliorer son quotidien, la cohabitation ne devrait pas s'en trouver profondément affectée.
Hormis l'atrophie centrale de la rétine, dont on peut prémunir son animal en jouant sur certains facteurs environnementaux, il n'existe pas vraiment de moyen d'empêcher l'apparition ni la progression d'une APR, dès lors que l'animal est porteur de la mutation correspondante sans pour autant être porteur sain.
Ces maladies ayant toujours une origine génétique et héréditaire, un chien qui n'est pas porteur d'une de ces mutations est assuré de ne jamais être touché. Par conséquent, le seul bon moyen d'éviter l'APR est de s'assurer que les parents de l'animal ne lui ont pas transmis un gène problématique. Cela suppose donc que l'éleveur ait choisi soigneusement les reproducteurs afin d'éviter que des individus malades ou porteurs sains transmettent la pathologie à leur progéniture.
Effectuer un test génétique (lorsqu'il en existe un adapté à la race en question) est le moyen le plus efficace de savoir si l'animal que l'on souhaite faire reproduire est porteur des mutations en question.
Dans le cas des formes d'APR à mode de transmission dominant (c'est-à-dire qu'un seul parent atteint peut suffire pour qu'un petit le soit également, même si l'autre parent est sain), tout individu porteur de la mutation doit être exclu de la reproduction. Dans le cas des formes dont le mode de transmission est récessif, il demeure possible de faire se reproduire un individu porteur de la mutation, mais uniquement à condition de le marier avec un congénère totalement sain, pour être sûr que leurs petits ne développeront pas la maladie.
Comme une atrophie rétinienne progressive met bien souvent des mois voire des années à apparaître, le meilleur moyen de s'assurer d'adopter un chien qui sera épargné par cette maladie est donc de demander à son propriétaire actuel les résultats des différents tests génétiques effectués sur l'animal en question ou sur ses parents, en particulier s'il s'agit d'une race à risques. S'il ne les a pas fait réaliser ou s'il refuse d'en communiquer les résultats, mieux vaut s'abstenir et privilégier l'adoption d'un autre chien auprès d'une personne plus sérieuse.
Même si l'atrophie progressive de la rétine n'est pas soignable, la pose du diagnostic est importante, quelle que soit la race concernée. En effet, elle permet non seulement de s'adapter pour accompagner l'animal atteint en cas d'importante dégradation de sa vision, mais aussi et surtout de s'assurer qu'il ne transmette pas la maladie à ses éventuels descendants.
Cela étant, les chiens aveugles s'en sortent généralement bien mieux que les humains, car leurs autres sens (à commencer par l'ouïe et l'odorat) sont particulièrement développés et capables de prendre le relai de la vue, au moins dans une certaine mesure.