« Regarde ton chien dans les yeux, et tu ne pourras pas affirmer qu’il n’a pas d’âme » : cette phrase du grand écrivain français Victor Hugo (1802-1885) reflète la relation intime qui s’est nouée à travers les âges entre les humains et les chiens. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, de tout temps, les artistes aient eu à cœur de représenter ces derniers.
Si les peintures avec des chiens sont relativement courantes, plus rares sont les sculptures mettant en scène le meilleur ami de l’Homme. On trouve néanmoins sur les cinq continents toutes sortes d’œuvres rendant hommage à des représentants de la gent canine, qu’il s’agisse de mettre en avant leur fidélité, leur loyauté ou encore certains de leurs actes héroïques.
Voici un petit tour d’horizon de 30 chiens passés à la postérité en trois dimensions.
Différentes découvertes archéologiques du milieu des années 2010 attestent que l’histoire des relations entre le chien et les humains a débuté il y a au moins 15.000 ans. Il est d’ailleurs le premier animal à avoir été domestiqué, notamment grâce à la large et abondante répartition de son ancêtre sauvage, le loup gris (canis lupus), dans l’hémisphère nord – là où évoluaient de nombreuses sociétés humaines à la fin du Paléolithique. Son histoire est d’ailleurs singulière par rapport à celle des autres espèces domestiques, puisque sa domestication a commencé bien avant la transition de l’Homme vers la sédentarité au Néolithique.
Les premières représentations artistiques de chiens remontent pour leur part au huitième ou neuvième millénaire avant notre ère. Il s’agit de représentations de 156 chiens domestiqués gravées sur des parois rocheuses de Shuwaymis et Jubbah, dans le nord-ouest de l'Arabie saoudite. Ceux-ci ne peuvent clairement pas être confondus avec d’autres canidés sauvages (notamment des hyènes et des loups) également figurés sur ces parois, et ressemblent fortement à ce qui est aujourd’hui le Chien de Canaan.
Entre le troisième millénaire et le premier siècle avant notre ère, le chien faisait déjà pleinement partie de la vie quotidienne des habitants de la Mésopotamie. Un molossoïde ancêtre de l’actuel Berger d’Anatolie était ainsi employé durant cette période à la fois pour garder les troupeaux, pour chasser et pour combattre à la guerre.
Le chien était associé à la déesse de la guérison Gula et un temple lui était dédié à Isin, situé dans l’actuelle Irak. Celui-ci comportait un cimetière canin dans lequel furent découvertes des stèles et des statuettes votives en pierre et en bronze, toutes représentant un chien. Le musée du Louvre, à Paris, expose également une statue de chien supportant un récipient, très certainement destiné à contenir du parfum ou de l’encens, découverte sur le site voisin de Tello et datée d’environ 2.000 ans avant notre ère.
A partir du deuxième millénaire avant notre ère, l’art assyrien mit également les chiens à l’honneur tant sur les frises et bas-reliefs décorant les édifices religieux ou royaux (à l’image par exemple du palais de Ninive, construit entre -669 et -631 et situé dans les faubourgs de l’actuelle ville de Mossoul, en Irak), que sur des objets plus quotidiens tels que des sceaux cylindriques en bronze. Des tablettes en terre cuite arborant des représentations de scène de chasse au sanglier, au lion ou au cheval sauvage à l’aide de chiens ont également été retrouvées dans cette région lors de fouilles archéologiques.
Plus à l’ouest, les Hittites, qui régnaient au deuxième millénaire avant notre ère sur un puissant royaume établi en Anatolie centrale (Turquie), créaient des figurines de terre séchée représentant des chiens et destinées à éloigner les mauvais esprits.
Représentation terrestre du dieu égyptien des morts Anubis, le chien accéda dans l’Egypte ancienne au statut de divinité, en plus de son simple rôle de chasseur et de défenseur du foyer.
A ce titre, il faisait partie du panthéon des grandes figures artistiques présentes dans les hiéroglyphes, sur les objets d’apparat ou les fresques murales présentes dans les tombeaux. Les sculptures ne dérogeaient pas à la règle, depuis les figurines décoratives de petite taille en calcaire, en jade ou en bronze (à l’instar de celle représentant Anubis qui est conservée au musée du Louvre, à Paris), jusqu’aux statues monumentales de chiens protecteurs des lieux sacrés installées à l’entrée de temples (tel celui dédié à Ramsès II, à Louxor).
Dans l’Antiquité gréco-latine, le chien occupait plusieurs fonctions au sein de la société : combattant, compagnon domestique et figure mythologique.
Les sculpteurs le représentaient principalement sur des stèles ornées de représentations en relief d’un défunt et de ses attributs, à la chasse (on peut penser notamment à la statue de pierre conservée à la Glyphotèque de Munich, en Allemagne), à la guerre (par exemple sur les bas-reliefs de la colonne de Marc-Aurèle, à Rome) ou lors de jeux du cirque.
Néanmoins, une statuaire d’ornementation se développa également en parallèle, prenant pour thèmes des scènes de vie quotidienne - à l’image par exemple de la statue représentant un enfant avec un chien qui est conservée au musée de la Romanité à Nîmes, dans le sud de la France.
Enfin, l’Antiquité gréco-latine comptait plusieurs figures mythologiques intégrant la figure du chien et représentées notamment par des statues. La plus connue est sans doute Cerbère, le chien à trois têtes gardien des Enfers. Il en existe notamment une statue le montrant aux côtés d'Hadès qui est conservée au musée archéologique d'Héraklion, en Crète (Grèce). On peut évoquer aussi Artémis (dans la mythologie grecque) / Diane (son pendant dans la mythologie romaine), déesse de la chasse, souvent représentée accompagnée de ses chiens, ou encore la magicienne Hécate, dont on pensait qu’elle profanait les tombes, accompagnée de féroces molosses.
Les artistes du Moyen Âge abandonnèrent peu à peu le formalisme antique : leurs créations faisaient plutôt la part belle à l’imaginaire et au symbolique. La présence de figures animalières était alors particulièrement courante sur les monuments funéraires. Le lion, symbole de courage et force, constituait une figure idéale pour les tombeaux des souverains et des chevaliers ; pour les gisants féminins ou les personnalités religieuses, on optait plutôt pour un chien ou un couple de chiens, animal réputé pour sa fidélité.
Pendant la Renaissance, avec notamment les progrès de la médecine, les artistes privilégièrent les études anatomiques et morphologiques, dans une quête des proportions idéales et d’une juste représentation des corps. Dans cette optique, le chien présentait un intérêt limité, au contraire du cheval ou d’animaux plus exotiques : il fut donc assez peu représenté à cette époque.
Toutefois, au tournant du 18ème siècle, l’art baroque remit au goût du jour les œuvres grecques ou romaines, qui servirent de sources d’inspiration à de nombreux artistes. On peut évoquer par exemple la statue de marbre réalisée par Antoine Coysevox (1640-1720) et représentant la dauphine de France, Marie-Adélaïde de Savoie, sous les traits de la déesse Diane accompagnée d’un lévrier.
La sculpture animalière connut au 19ème siècle un formidable essor, favorisé en premier lieu par le développement des zoos, qui révélèrent au public des espèces exotiques. À Paris, les animaux de la ménagerie du Jardin des Plantes, fondée en 1793, inspirèrent ainsi de nombreux artistes. Plusieurs écoles d'art étaient alors dédiées aux sculptures d’animaux, notamment en France et en Angleterre.
Le chien faisait un modèle de choix pour de nombreux sculpteurs, à l’image d’Antoine-Louis Barye (1795-1875), figure tutélaire de l’école parisienne. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on trouve celle d’un Ours terrassé par des chiens de grande race, réalisée en bronze et exposée au musée du Louvre (Paris). Il est aussi l’auteur notamment d’un groupe en bronze représentant un chien et une oie, conservé au musée Grobet-Labadié à Marseille (France).
Cette époque fut également marquée par le développement de la médecine vétérinaire et l’attention croissante portée aux questions du bien-être animal, avec notamment l’adoption de différents textes de loi et l’apparition des premières sociétés protectrices des animaux. Les animaux de compagnie étant présents dans un nombre croissant de foyers et y occupant une place grandissante, on observa une recrudescence de commandes de particuliers désireux de disposer d’une statue de leur compagnon. Les meilleurs sculpteurs animaliers de l’époque, comme Emmanuel Fremiet (1824-1910), Georges Gardet (1863-1939) ou François Pompon (1855-1933), croulaient ainsi sous les demandes.
Enfin, les sculpteurs et plasticiens du 20ème et du 21ème siècle s’emparèrent eux aussi de la figure du chien, animal populaire par excellence, mais souvent pour en faire des œuvres humoristiques, tendres ou parfois énigmatiques. Paradoxalement, sa petite taille en fait également un sujet très courant pour des œuvres monumentales et spectaculaires. Parmi les réalisations les plus marquantes, on peut citer les chiens ballons de Jeff Koons (né en 1955), l’anthropomorphe Dogman du couple d’artistes australiens Gillie et Marc Schattner (nés respectivement en 1965 et 1961) ou encore les Cerbères du plasticien belge William Sweetlove (né en 1949).