L'histoire du Carlin

La genèse du Carlin

Il est établi que le Carlin est originaire de Chine et qu’il s’agit d’une race très ancienne, car il est mentionné dans des archives datant de l’époque préchrétienne. Pour beaucoup d’experts, son élevage aurait commencé sous la dynastie Shang, vers 400 avant J.-C.

 

Ses origines exactes demeurent incertaines (comme c’est d’ailleurs le cas pour de nombreuses races), mais il existe essentiellement deux théories sur le sujet. Certains pensent qu’il descend du Pékinois et qu’on l’aurait obtenu soit en sélectionnant des Pékinois avec le poil le plus court possible, soit en croisant cette race avec une autre à poil court. D’autres, arguant de sa ressemblance avec le Mastiff, soutiennent qu’il descendrait du dogue.

 

Dans la Chine ancienne, ce petit chien était appelé Lo-Chiang-Sze, puis Lo-Sze. Il était très prisé mais demeura longtemps l’apanage des familles impériales, de l’aristocratie et des moines. Nul autre n’avait le droit d’en posséder.

 

C’est notamment à la ride verticale de son front qu’il devait le fait d’être alors réservé à une élite. Celle-ci était nommée « ride du prince », car sa forme rappelle le caractère chinois qui signifie « prince ». Cette caractéristique morphologique est courante chez les chiens brachycéphales (c’est-à-dire à la face aplatie et au nez écrasé), et en faisait donc des animaux quasiment sacrés. Elle explique certainement – au moins en partie – la popularité dont ont toujours joui ce type de races dans l’empire du Milieu.

 

Déjà élevé comme simple animal de compagnie en raison de son caractère sociable et enjoué, le Carlin avait un statut très particulier parmi la noblesse chinoise. On dit ainsi que les chiots étaient souvent allaités par une nourrice humaine, afin d’épargner le corps des chiennes. Il n’existe aucune preuve sur ce point précis, mais en revanche de nombreuses traces écrites témoignent de l’importance qui lui était accordée.

 

Ainsi, outre le fait qu’il était souvent présent dans la littérature et les arts, on peut citer par exemple les archives de l’empereur Ling-To, de la dynastie Han (156-189) : les femelles Carlin du monarque y sont répertoriées au même rang que ses épouses. Par ailleurs, ses chiens étaient placés sous la surveillance d’un garde du palais, et en voler un était puni de mort. D'autres écrits racontent que pendant la dynastie Yuan (1203-1333), on avait coutume de faire parader les animaux de l’empereur à certaines occasions, du plus noble au plus commun. Or, le Carlin venait dans les premiers rangs, juste après le lion.

La diffusion du Carlin dans son pays d'origine

Pendant des siècles, le Carlin était très prestigieux, mais seuls les empereurs, les nobles et les moines chinois pouvaient en posséder un. On peut donc supposer qu’il était alors présent un peu partout sur le territoire, mais en nombre limité et en petits groupes isolés.

 

On ne sait pas exactement quand la race devint accessible au plus grand nombre, mais il est probable que ce ne fut qu’au 20ème siècle. Elle se diffusa alors de façon naturelle au sein de l’ensemble des couches de la population. En effet, même au temps où il était réservé à une élite, le Carlin était connu et populaire auprès du peuple.

 

Que ce soit par esprit de revanche (s’approprier ce qui pendant longtemps était interdit) et/ou parce qu’il est très affectueux, joueur et doté d’un tempérament plaisant, il semble plausible que le Carlin trouva rapidement sa place au sein de nombreux foyers chinois.

La diffusion internationale du Carlin

La diffusion du Carlin en Asie

 

La popularité du Carlin auprès de la noblesse chinoise des temps anciens était telle qu’il fut très tôt exporté vers d’autres pays d’Asie, probablement sous forme de cadeau à des aristocrates et des moines, et/ou par effet de mode parmi les classes dirigeantes.

 

On trouve ainsi des témoignages historiques d’un chien ressemblant fortement au Carlin au Tibet, au Japon ainsi qu’en Corée, et qu’on pense qu’il était sans doute présent également en Mongolie et en Turquie.

 

La diffusion du Carlin en Europe

 

Il est très probable que Marco Polo (1254-1324) et ses compagnons furent les premiers Européens à découvrir le Carlin lors de leur voyage en Chine, entre 1271 et 1295. Il fallut cependant attendre le 16ème siècle pour que celui-ci parte à la conquête de l’Europe.

 

Aux Pays-Bas

 

C’est vraisemblablement via les Pays-Bas que le Carlin fut introduit en Europe au 16ème siècle. On pense en effet que les premiers représentants de la race furent ramenés par les marchands de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales.

 

Sa grosse tête, son front plissé et ses yeux pétillants qui lui donnent des expressions presque humaines ne tardèrent pas à conquérir le cœur de la noblesse et même de la famille royale, qui était à l’époque la maison d’Orange-Nassau.

 

Pompée, le Carlin du prince Guillaume Ier d’Orange (1533-1584), aurait même sauvé la vie de son maître en 1572, en l’avertissant par ses aboiements de la présence d’intrus venus l’assassiner. Ce haut fait aurait incité les souverains à faire du Carlin le chien officiel de la maison royale, ce qui le propulsa au rang de favori de la cour et de toute la noblesse hollandaise.

 

Au Royaume-Uni

 

En 1688, les couronnes hollandaise et britanniques s’unirent : Guillaume III d’Orange devint roi d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse. Il emmena ses Carlins en Grande-Bretagne, et c’est ainsi que les Britanniques découvrirent la race, qu’ils nommèrent Dutch Pug ou Chinese Pug. Là aussi, le petit chien devint vite très populaire auprès de l’aristocratie – au point d’ailleurs de remplacer l’Épagneul King Charles comme race favorite de la noblesse.

 

Les Anglais se prirent de passion pour le Carlin et développèrent cette race, qui ressemblait alors assez à un Bouledogue Américain miniature. En effet, il était plus grand, plus fin et plus long qu'aujourd’hui, et possédait un nez plus allongé. Par ailleurs, tous les individus amenés alors en Europe possédaient une robe fauve : les premiers spécimens noirs ne furent importés de Chine que vers la fin du 19ème siècle.

 

Les Anglais contribuèrent grandement à l’évolution morphologique du Carlin et à lui donner l’apparence qu’on lui connaît de nos jours – y compris en Chine et ailleurs en Asie. Toutefois, comme c’est souvent le cas quand on parle de périodes antérieures au 19ème siècle, on manque de documentation sur le processus exact. On pense néanmoins qu’il impliqua notamment des croisements avec l’Épagneul King Charles, ce qui permit d’apporter du sang neuf à la race.

 

Au 18ème siècle, deux lignées devinrent dominantes en Angleterre : la lignée Morrison, vraisemblablement fondée à partir des Carlins de la reine Charlotte (1744-1818), l’épouse du roi George III (1738-1820) ; et la lignée Willoughby, créée par lord et lady Willoughby d’Eresby à partir de sujets provenant de Russie et de Hongrie.

 

Le 19ème siècle marqua un tournant dans l’histoire du Carlin. En 1864, des troupes franco-britanniques venues aider l’empereur chinois à écraser la révolte des Taiping eurent accès à la Cité Interdite, le siège du palais impérial à Pékin. Les Britanniques en ramenèrent des Pékinois ainsi que plusieurs Carlins – en Chine, ces derniers continuaient d’être élevés par les familles impériales et les moines. Parmi les Carlins se trouvaient notamment deux spécimens baptisés Lamb et Moss : un de leurs descendants, Click, fut croisé avec des représentants des deux lignées anglaises et est considéré comme l’ancêtre de la race actuelle.

 

La popularité du Carlin au Royaume-Uni connut son apogée pendant le règne de la reine Victoria (1819-1901). Comme elle le fit pour d’autres, la souveraine se prit de passion pour cette race. Non seulement elle posséda plusieurs de ses représentants – avec une préférence pour la robe fauve abricot –, mais en plus elle s’impliqua dans sa promotion.

 

En outre, elle décida en 1885 de faire interdire l’otectomie, cette pratique consistant à couper les oreilles de son chien qui était couramment pratiquée tant sur les Carlins que sur les représentants d’autres races.

 

Un club de race, le Pug Dog Club, vit par ailleurs le jour en 1883. Il publia un premier standard la même année, et organisa les premières expositions. En effet, la race ne tarda pas à être reconnue par le Kennel Club, qui fut fondé en 1873 et est aujourd’hui encore l’organisme cynologique de référence du pays.

 

Globalement, le Carlin devint ainsi à cette époque plus qu’un simple chien de salon, que cette coqueluche de la haute société davantage considérée comme un bibelot de luxe que comme un être vivant qu’il était jusqu’alors.

 

Par ailleurs, en 1886, l’écrivaine lady Brassey (1839-1887) ramena de Chine des spécimens noirs. Non seulement cette nouvelle couleur devint rapidement à la mode, mais en plus elle permit l’apparition de plusieurs autres, tel le fauve argenté.

 

Quant à la reine Victoria, elle transmit sa passion du Carlin à ses descendants, notamment à son fils Edouard VII (1841-1910) et à son petit-fils George V (1865-1936) : eux-mêmes possédèrent à leur tour plusieurs représentants de cette race..

 

Dans le reste de l’Europe

 

Ce fut à partir du Royaume-Uni - et dans une moindre mesure des Pays-Bas - que le Carlin se diffusa progressivement à travers toute l’Europe à partir du 17ème siècle, toujours parmi les familles royales et la noblesse. Les grands de ce monde l’offraient à leurs pairs en cadeau de mariage, en gage d’amitié ou encore par galanterie, tant et si bien qu’à la fin du 18ème siècle il était présent dans toutes les cours européennes. Sa grande popularité est attestée par les nombreuses gravures et peintures dans lesquelles il apparaît, principalement aux côtés de femmes de la noblesse.

 

Bien qu’on ne sache pas exactement quand ni comment, ce fut vraisemblablement ainsi qu’il fut introduit en Suisse, en Belgique ainsi qu’en Italie. Dans ce dernier pays, on l’appelait Caganlino, et il était de coutume de l’habiller avec la même tenue que les cochers des carrosses.

 

Il ne manqua pas également de se faire une place et de devenir très populaire auprès des élites en Allemagne, où il reçut le nom de Mops (mot familier qui signifie « gros pépère ») – nom qu’il conserve d’ailleurs de nos jours. En 1738, en réaction au fait que le pape Clément XII (1652-1740) avait interdit la franc-maçonnerie, un groupe de francs-maçons créa même ironiquement un pseudo-ordre maçonnique nommé Mopsorden (Ordre du Carlin) et qui perdura quelques années.

 

Pour ce qui est de la France, divers inventaires royaux prouvent que le roi Louis XV (1710-1774) posséda plusieurs Carlins. On sait également que la race doit son nom français au célèbre comédien de la commedia dell’arte Carlo Antonio Bertinazzi, dit Carlin (1710-1783) : il jouait le rôle d’Arlequin avec un masque noir sur le visage, ce qui rappelait la face noire du petit chien. Ce dernier resta à la mode auprès de la noblesse française jusqu’à Napoléon Ier (1769-1821). Il fut ensuite délaissé jusqu’aux années 1960, où il revint à la mode grâce notamment au duc de Windsor (1894-1972), qui emmenait ses trois Carlins partout où il allait.

 

La diffusion du Carlin en Amérique du Nord

 

On ne sait pas vraiment quand le Carlin posa les pattes au Canada, mais on peut penser qu’il y fut introduit lorsque des colons nobles et de hauts dignitaires s’y installèrent à l’aube du 17ème siècle.

 

En revanche, son implantation aux États-Unis est un peu plus documentée. On sait en effet qu’il y fit son apparition après la guerre de Sécession (1861-1865). Il fit partie des premières races reconnues par l’American Kennel Club (AKC), puisque cette reconnaissance survint dès 1885 - l’année suivant la fondation de l’organisme. Il fallut en revanche attendre 1931 pour voir apparaître un club de race, le Pug Dog Club of America. Même s’il n’atteignit jamais les premières places du classement, il ne tarda pas à remporter un certain succès auprès de la population.

La reconnaissance du Carlin par les organismes officiels

Le Carlin fut reconnu par les organismes cynologiques officiels américains et britannique entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème. L’American Kennel Club (AKC) ouvrit la marche dès 1885, soit dès l’année suivant sa création. Le Kennel Club britannique (KC) lui emboîta le pas en 1908, soit une vingtaine d’années plus tard : cela peut sembler surprenant, étant donné que c’est au Royaume-Uni que la race fut développée. Quant au United Kennel Club (UKC) américain, il fit de même dix ans après, en 1918.

 

Il fallut en revanche attendre 1966 pour que la Fédération Cynologique Internationale (FCI) reconnaisse à son tour le Carlin, en le plaçant sous le patronage du Royaume-Uni. Cela marqua un tournant, en facilitant sa reconnaissance par les nombreux organismes cynologiques nationaux de référence qui en sont membres. Ceux-ci sont une centaine de nos jours, et on y trouve notamment celui de la France (la Société Centrale Canine, ou SCC), celui de la Belgique (la Société Royale saint-Hubert, ou SRSH) et celui de la Suisse (la Société Cynologique Suisse, ou SCS).

 

Bien sûr, le Carlin est également reconnu par le Club Canin Canadien (CCC).