Exemples d'erreurs d'interprétation sources d'incompréhensions

L'éthologie, cette science qui étudie le comportement des êtres vivants - humains ou animaux -, et qui s’intéresse aux motifs qu’un individu a d’exprimer tel ou tel comportement, permet de mieux percevoir une réalité animale jusqu’ici ignorée : la compréhension d’un (ou plusieurs) comportement(s) gênant(s) de l’animal commande de ne pas rester focalisé(e) sur celui (ou ceux)-ci, mais de se concentrer sur les interactions maître/chien qui les génèrent et les entretiennent.


Contexte familial, éléments déclencheurs et autres manifestations de comportements associés sont donc autant de facteurs à prendre en compte pour s’expliquer l’une ou l’autre conduite indésirable de ces compagnons à quatre pattes.

L'occupation de l'espace, privilège de la dominance

L'occupation de l'espace, privilège de la dominance

Le premier exemple montre comment, d’interprétations erronées en réponses inappropriées, Xavier et Céline, les heureux propriétaires de Saxo, jeune Am'Staff de 15 mois, en viennent à ne plus comprendre leur chien quand celui-ci, après avoir mordu Xavier (une blessure sans grande gravité), se met à le lécher. 

 

« Nous n’avons rien compris, explique Céline. Tout s’est passé très vite. D’un coup, Saxo a attrapé Xavier au bras et sitôt après, il s’est mis à lui faire des léchouilles, comme pour s’excuser. D’abord en colère d’avoir été mordu, Xavier s’est un peu radouci quand Saxo s’est mis à le lécher. Spontanément, il a alors voulu le caresser, et c’est là que Saxo l’a remordu une deuxième fois ! »

 

Dans cette situation, la méconnaissance des codes sociaux canins et l’anthropomorphisme vont induire une escalade interactionnelle malheureuse : Xavier, qui fait fausse route en interprétant les léchouilles de Saxo comme une repentance juste après sa morsure, va vouloir y répondre par une caresse, tendant alors la main vers la tête de son chien. Le jeune chien, surpris et ne comprenant pas un tel comportement de la part de l'homme, va réitérer sa morsure.

 

Après étude des circonstances de l’incident et examen du type de relation qu’ils entretiennent avec Saxo, ses maîtres voient poindre une réalité canine qui leur fait mieux comprendre leur compagnon... 


Plutôt permissifs au quotidien avec Saxo, le jeune couple n’avait jusqu’ici jamais jugé bon de lui assigner une place précise, le laissant se reposer à son goût sur le canapé et les fauteuils, trop contents de profiter de sa chaude présence.

 

Ce fameux soir, quand Xavier a voulu rejoindre Céline sur le canapé, s’allonger et repousser son chien vautré de tout son long, Saxo, dérangé, s’en est indigné et s’est mis à gronder, comme parfois paraît-il.
Indigné à son tour, Xavier a insisté, et c’est là que Saxo, pas décidé à céder la place qu’il occupait, a lancé un rappel à l’ordre (selon les codes sociaux canins) avec une morsure brève autant qu’inattendue, qui a fait reculer son maître. Suite au retrait ébahi de Xavier, Saxo s’est alors mis à lui lécher le bras qu’il venait de mordre, pour l’apaiser comme il l’aurait fait sur un congénère qui se serait soumis devant sa démonstration d’autorité physique. 

 

Si Xavier n’avait pas interprété les léchouilles de son molosse comme une demande de pardon, mais bien au contraire comme un signal d’apaisement d’un canidé dominant à son dominé qui se soumet, il ne se serait pas permis d’insister davantage, avec une caresse sur la tête de surcroît. Saxo a alors vécu cette flatterie comme une insistance de son maître ; message contradictoire pour lui et donc suspect, auquel il réagit ipso facto par un second rappel à l’ordre (une morsure de plus).

 

Selon les codes régissant les conduites entre canidés, pour Saxo, à qui il était offert d’occuper librement cet espace, l'un des privilèges de sa dominance, il n’était pas acceptable de se faire déplacer par Xavier. Menacer pour l’en empêcher, et mordre son maître parce que celui-ci insiste au lieu de céder devant les menaces, s’explique donc légitimement. Ensuite, derrière ses léchouilles, et toujours selon les codes sociaux canins, si Saxo avait reçu l’attitude basse et soumise de Xavier, il n’aurait pas dû le rappeler à l’ordre une seconde fois en le remordant.

 

La conduite du chien est bien entendu inacceptable, mais la méconnaissance du jeune couple de ces conduites sociales canines, et le fait de se fier aux idées reçues sur un comportement quel qu'il soit, sont en grande partie responsables de cette situation qui aurait pu s'avérer fâcheuse, surtout avec un molosse, un chien de catégorie 2, dit dangereux

 

Il n'est pas forcément question que Saxo n’occupe pas le canapé et les fauteuils, mais plutôt qu’il intègre qu’il n’est pas de son droit d’en disposer librement, ce qui fait alors toute la différence du point de vue relationnel.

Affirmer sa supériorité par le chevauchement

Affirmer sa supériorité par le chevauchement

« Obsédés de la chose », « Homosexuels » sont les qualificatifs courants dont sont affublés les chiens, mâles ou femelles, qui se distinguent en chevauchant, souvent sans retenue, leurs congénères de même sexe ou opposé, le chat de la famille, ou même les humains, qu'ils soient petits ou grands. Pour Jean-Louis, et son entourage qui en riait beaucoup, son Rottweiler Ulk était cet « obsédé » qui « voulait culbuter » les visiteuses gênées autant qu’effrayées qui venaient chez lui (certains visiteurs pouvant aussi avoir droit aux mêmes assauts). Pour Ulk, l’enjeu de ce comportement n’était pourtant pas la sexualité comme tout le monde le croyait.

 

En effet, les canidés sont actifs sexuellement quand ils sont motivés par l’instinct de reproduction et seulement aux deux périodes annuelles de chaleurs des femelles. Les mâles, disponibles toute l’année, sont alors fortement stimulés par les odeurs particulières qu’elles dégagent, allant parfois même jusqu'à se mettre en danger. La recherche mutuelle d’accouplement est alors légitime et commandée par la survie de l'espèce.

 

Au contraire du chien, l’être humain, qui est sexuellement actif tout au long de l’année, n’est pas uniquement motivé par le besoin de reproduction. Ainsi, voir le chien de la famille si souvent animé du désir de chevaucher ses congénères, le chat ou les humains, et en déduire que lui aussi est motivé par une recherche de plaisir, ne serait donc qu’anthropomorphisme.

 

En dehors des périodes d’oestrus des femelles, il est courant chez les canidés d’observer ces chevauchements qui ont alors une valeur sociale. Les chiots les plus déterminés d’une portée, très tôt et bien avant leur puberté, expriment déjà de cette manière leur volonté d’avoir l’ascendant sur les autres. Mimant l’accouplement, nullement « obsédés par la chose » ni « homosexuels », ces chiens mâles ou femelles qui se chevauchent expriment tout simplement leur volonté d’asseoir leur autorité sur l’autre.

 

Tout congénère qui ne sera pas d’accord saura le faire savoir à l’effronté, mais s’il ou elle laisse faire, c’est qu’alors il ou elle accepte ce pouvoir de l’autre. À noter que le fait de mettre sa patte ou sa tête sur l’autre est déjà, pour un chien, une expression plus modérée de la même volonté de lui imposer sa dominance.

 

Ulk le Rott veut donc soumettre toutes les petites amies de Jean-Louis, non pas parce qu’il est sensible à leur charme, mais parce qu’il entend exercer son contrôle sur l’espace où il vit, y compris sur les êtres qui le peuplent ou le traversent.

 

C’est donc là tout le problème. Outre que ces comportements sont inacceptables et très gênants pour le maître, et surtout pour les visiteuses, ils peuvent devenir dangereux au niveau de la prise de pouvoir que l’animal veut exercer sur tout son monde. Gare à celui ou celle qui voudra un jour simplement s’opposer à Ulk : celui-ci pourrait ne pas le supporter, et devoir rappeler à l’ordre en menaçant, voire en mordant.

 

Ulk, bien sûr, a déjà des conduites agressives vis-à-vis des autres chiens croisés en promenade, qu’il menace ou/et agresse copieusement pour les mêmes raisons. Les maîtres des chiens comme Ulk sont alors souvent amenés à envisager la castration du chien pour tenter de réduire ces comportements indésirables du chien. Certes le molosse sera alors bien moins sensible aux odeurs des femelles en chaleur, et moins en compétition avec les congénères mâles en balade, mais cela ne réglera rien du problème de fond qui n’a rien à voir avec la sexualité, mais plutôt avec le pouvoir.

 

Chevauchements, et possiblement conduites agressives chez les plus déterminés en cas d'opposition, seront toujours les seuls messages canins de Ulk, et de bien d’autres de ses congénères, pour affirmer leur supériorité.

 

Il faut comprendre que toutes ces conduites sont des éléments de communication, et que si les maîtres veulent les voir s’atténuer et disparaître, il y aura lieu de réorganiser la relation avec le chien au sein de la hiérarchie familiale.

Mordre pour ne pas se faire brosser

Mordre pour ne pas se faire brosser

Tenir compte des signaux d'apaisement envoyés par le chien est réellement important. Mais, « en tenir compte », qu'est-ce que ça signifie exactement ?
Il s'agit avant tout de ne pas forcer un chien lorsqu'il envoie de tels signaux ou lorsqu'il grogne, mais aussi de le sortir de situations qui le mettent mal à l'aise. 

 

De nombreux maîtres disent que s'ils ne forcent pas leur chien, il ne pourra jamais comprendre qu'il doit se laisser faire, et qu'ils n'arriveront pas à progresser. Que le chien aura « gagné », et que la fois suivante ce sera encore pire. Malheureusement, cela est entièrement faux, et tiré d'idées reçues qui ont souvent des conséquences dramatiques. 

 

Prenons un exemple courant et très concret : le brossage. Madame veut brosser son Cocker. Elle sort la brosse et le peigne à démêler, les pose sur la table et appelle son chien. Celui-ci approche, mais très lentement, la queue rentrée entre les jambes et les oreilles basses. Ne perdant pas de temps, Madame le prend elle-même pour le faire monter sur la table. Ici, le chien est déjà contraint une première fois, alors qu'il envoyait déjà des signaux d'apaisement. En effet, dès le départ, la vue des objets de toilettage le met mal à l'aise. 

 

Une fois perché sur la table, l'animal se sent encore moins bien ; la queue est encore plus rentrée et les oreilles encore plus basses. Madame n'en tient pas compte et commence à démêler le pelage du chien. Elle tire un peu sur les noeuds, et le Cocker tourne la tête vers elle : il a mal. Au bout d'un moment, il commence à grogner. Madame le gronde fortement, car il n'a pas à grogner contre elle, et doit attendre sagement qu'elle ait fini. 

 

Au bout de quelques minutes, le Cocker finit par se retourner rapidement, mord la main de Madame et saute de la table pour partir en courant.

 

Le chien retient de cette histoire que, malgré tous les signaux et les messages qu'il a envoyés, on ne l'a pas écouté. Il perd confiance en sa maîtresse. De plus, il apprend que seule la morsure lui permet de se sortir d'une situation stressante et douloureuse. Alors, la fois suivante, quand Madame approche avec la brosse, le Cocker commence déjà à grogner, car il associe de plus en plus les objets à toute cette situation. Une nouvelle fois, Madame le force, et dès qu'elle commence à le brosser, il la mord rapidement avant de partir en courant se coucher dans son panier. La fois suivante, le Cocker essaiera de mordre sa maîtresse dès qu'elle commencera à vouloir le prendre, car il n'a plus confiance en elle. 

 

C'est un cercle vicieux qui se met en place et qui peut malheureusement se terminer par un accident très grave. 

 

Ce que Madame n'a pas compris, c'est qu'il faut respecter les signaux émis par le chien pour l'habituer et le faire progresser. Ainsi, quand un chien envoie des signaux d'apaisement, et afin de pouvoir progresser avec lui, il faut en premier lieu lui montrer que son message est compris, et donc cesser de faire ce qui est en train de le mettre mal à l'aise. Ensuite, à force de voir que son langage canin est respecté, le chien va faire confiance à son maître. La confiance est un point essentiel dans la relation avec un chien, mais aussi dans l'apprentissage des choses plus contraignantes, comme les manipulations. Lorsqu'un chien fait confiance et sait que son langage est respecté, il va pouvoir se sentir plus à l'aise et va donc supporter plus facilement les manipulations et autres contraintes. 

 

Bien évidemment, l'idéal en termes de prévention reste d'habituer correctement le chien dès son plus jeune âge, en associant toujours l'action potentiellement problématique à quelque chose de positif pour lui, comme des caresses, des friandises ou des jeux. Il est essentiel de toujours progresser par paliers, et de s'arrêter avant que le chien n'envoie des signaux d'apaisement, ou au plus tard lorsqu'il se met à le faire. Ainsi, il apprendra à faire confiance à son maître, celui-ci pouvant aller de plus en plus loin dans les manipulations sans qu'il n'y ait de problème. 

 

Cela dit, au même titre qu'il est possible d'éduquer un chien à tout âge, il est possible à tout âge de réhabituer un chien à supporter des contraintes et manipulations, pour éviter les situations présentant un risque de morsure. 

Dernière modification : 12/10/2019.

Commentaires sur cet article

Pour ma part, je les laisse renifler ce qu'ils veulent : je n'ai pas le même odorat qu'eux et j'accepte cet état de fait. Il est naturel de ne les voir se saluer de la même façon que nous et je ne leur demande pas de se serrer la patte !
Il m'est arrivé à plusieurs reprise de devoir l'expliquer aux autres propriétaires de chiens.
Il arrive de m'impatienter : mais ça sent si bon que ça, à cet endroit là ? Je ne le saurai jamais.

   
Par CocciNim