Les mushers et leurs chiens ont fait rêver et continuent à faire rêver des générations d’enfants et d’adultes. Dans l’imaginaire populaire, les attelages de chiens s’élançant sur la neige aux ordres de leur conducteur représentent un idéal de vie, une sorte de retour aux sources sous le signe de la complicité entre l’Homme et l’animal, dans le cadre sublime des grands espaces.
À une époque où le chien a pratiquement cessé d’être utilisé comme moyen de transport, les courses de traîneau font perdurer le rêve. Par leurs performances, leur endurance et l’amour indéfectible qui les unit, hommes et chiens suscitent l’admiration et l’envie...
Les premières courses officielles de traîneaux tirés par des chiens datent de l’aube du 20ème siècle, au moment de la ruée vers l’or en Alaska. Il y a certainement eu avant cela des compétitions entre villageois ou entre villages, mais elles n’étaient pas officielles, et il n'en demeure aucune trace.
Dans les premières années du 20ème siècle, des mushers (terme qui désigne les conducteurs de traîneau) passionnés eurent envie de comparer les qualités respectives de leurs attelages, et c’est ainsi que naquit la première course officielle.
Avant toute chose, il fallut créer un organisme en charge de l’organisation. Ce fut le cas avec le Nome Kennel Club, fondé en 1907 à Nome, en Alaska, dans le but d’organiser une vraie compétition. Le musher Scotty Allan se chargea de rédiger le règlement de la course, dont deux des règles sont encore en vigueur de nos jours.
La première de ces règles est que les chiens doivent être marqués au départ, pour éviter des substitutions durant l’épreuve. La seconde stipule que tous les chiens attelés au départ doivent être à l’arrivée : même s’ils se blessent voire meurent pendant l’épreuve, ils doivent être ramenés dans le traîneau. Cette règle a été édictée pour protéger les chiens et éviter que les mushers ne les sacrifient afin d’augmenter leurs chances de gagner. En effet, comme un chien blessé ou décédé alourdit le traîneau et ralentit l’attelage, les mushers n’ont aucun intérêt à ne pas prendre soin de leurs animaux.
La première édition de la compétition organisée par le Nome Kennel Club eut lieu dès l’année suivante, en 1908, et fut baptisée « All Alaska Sweepstakes ». Elle se courut jusqu’en 1917. C’était une course de vitesse de 653 km, consistant à effectuer un aller-retour entre Nome et Candle. Scotty Allan remporta lui-même la première édition, effectuant le trajet en 119 heures et quelques minutes, soit environ cinq jours.
Entre 1908 et 1915, les attelages évoluèrent. En effet, quelques semaines après la toute première course, un négociant en fourrures russe du nom de William Goosak arriva à Nome accompagné de Siberian Huskies. D’abord dédaignés par les mushers car plus petits et plus fins que leurs robustes Malamutes d’Alaska, ils firent bientôt la preuve de leurs qualités de vitesse et d’endurance, et commencèrent à être utilisés en compétition. En 1910, John Johnson gagna la 3ème édition (1910) avec un attelage de chiens de cette race. Il réalisa le parcours en 74 heures, 14 minutes et 37 secondes, établissant un record qui ne fut jamais battu par la suite.
En 1911, l’attelage qui remporta l’épreuve était constitué de « Croisés Alaskans », issus d’un croisement entre des Malamutes d’Alaska et des Setters Irlandais. Il réalisa le joli temps de 80 heures.
Léonhard Seppala, jeune émigré norvégien, fut le premier musher à devenir une légende grâce à cette compétition, qu’il gagna trois années de suite, entre 1915 et 1917. Son meilleur chien de tête, Togo, est lui aussi devenu une légende et est connu de tous les mushers et adeptes des courses de chiens de traîneau.
Si la « All Alaska Sweepstakes » a une importance particulière puisque c’est elle qui a créé le genre, elle n’en remporta pas moins un succès limité. Ainsi, même si la première édition en 1908 comptait 10 participants et que ce nombre monta à 13 l’année suivante, il ne fit par la suite que diminuer, au point qu’ils n’étaient que 4 équipages au départ en 1917. Cette année-là, l’engagement des États-Unis dans la Première Guerre mondiale, le manque de moyens financiers et le nombre insuffisant d’inscrits entraîna la disparition de la compétition. Elle refit toutefois parler d’elle en 1983 et en 2008, lorsque deux éditions exceptionnelles furent organisées pour célébrer respectivement son 75ème et son 100ème anniversaire.
Dans les années 20, ce nouveau sport gagna en notoriété, et les courses se multiplièrent aux États-Unis et au Canada. En Nouvelle-Angleterre, le « New England Sled Dog Club » vit le jour en 1924. Depuis bientôt un siècle, il organise des courses de chiens de traîneau, notamment dans les Etats du New Hampshire et du Maine. Même si elles sont secondaires en termes de notoriété, elles attirent systématiquement des mushers célèbres, qui participent à des « petites » compétitions de ce type pour se préparer, eux et leur attelage, aux plus prestigieuses et plus difficiles. En tout état de cause, ce club est un des plus anciens au monde.
En 1925, un événement qui n’avait rien à voir avec les courses contribua fortement à faire connaître – et reconnaître – la discipline.
Entre janvier et février, la ville de Nome connut une épidémie de diphtérie. Une vingtaine de mushers, dont Leonhard Seppala et son chien de tête, Togo, ou encore Gunnar Kaasen avec son célèbre Balto, traversèrent alors l’Alaska d’est en ouest pour aller chercher un chargement de sérum antidiphtérique à Anchorage. Ils parcoururent ce trajet de plus de mille kilomètres en à peine cinq jours et demie, là où à l’époque le courrier mettait plus d’un mois pour faire de même. Grâce à ces hommes et à leurs chiens, l’épidémie put être enrayée. On baptisa cette héroïque course contre la montre « The Serum Run » (« La course au sérum »), mais on la connaît aussi sous le nom de « Grande Course de la Miséricorde ».
Cet épisode eut un grand rayonnement médiatique, en particulier à travers tout le continent américain.
En 1932, lors des Jeux Olympiques de Lake Placid (Etat de New York, Etats-Unis), la discipline fut présentée au public à travers des démonstrations qui remportèrent un vif succès.
Dans le même temps, les sports de traîneaux continuaient de se développer, au point d’ailleurs que des compétitions officielles finirent par voir le jour également de l’autre côté de l’Atlantique, quoiqu’autour d’un sport un peu différent : la pulka. En Scandinavie, et plus particulièrement en Norvège (où le premier club fut fondé en 1936) et en Suède, cette pratique fait partie des traditions ancestrales. En effet, ce terme désigne un petit traîneau autrefois utilisé pour transporter du matériel et des personnes, ou encore pour chasser. Dans ce dernier cas, il permettait de transporter à la fois le matériel nécessaire à des sessions de chasse qui pouvaient durer plusieurs jours, ainsi que le gibier tué. Fabriquée à l’origine en bois, la pulka était généralement tirée par un skieur ou un chien.
De nos jours, même si la pulka est encore utilisée pour transporter de l’équipement lors des expéditions polaires, elle est essentiellement devenue une activité de loisirs et une discipline sportive, qui combine un traîneau et du ski de fond, sur des distances généralement situées entre 8 et 20 kilomètres. Le skieur est relié par une mince corde à un attelage d’un à trois chiens qui tirent le petit traîneau lesté et équipé de patins courts.
Encore aujourd’hui, ces derniers sont le plus souvent des chiens de chasse et non des chiens nordiques, ce qui s’explique potentiellement par le fait que ce sport a un lien historique étroit avec la pratique de la chasse. Ainsi, parmi les races le plus souvent utilisées pour la pulka, on trouve surtout des Braques, des Pointers et des Setters. De fait, ils sont plus rapides que les chiens nordiques sur ces distances moyennes, et plus aptes à produire un effort solitaire.
Par contre, ces chiens ne sont pas faits pour le grand froid, si bien que les mushers doivent en prendre un soin tout particulier : ils leur mettent un manteau pour chien avant et après la compétition, et dans le cas des courses par étapes, ils les font dormir dans des duvets.
Un autre sport scandinave utilise des chiens plus rapides que les chiens nordiques : il s’agit du ski-joëring, où les chiens tirent un skieur de fond.
Le moment viendra où traîneaux à chiens, pulka et ski-joëring se rejoindront dans les compétitions internationales.
La Seconde Guerre mondiale mit certes un frein au développement de la discipline entre 1939 et 1945, mais les courses – et les clubs – se multiplièrent de plus belle à la fin du conflit.
La notoriété des courses de chiens de traîneau ne fit que croître dans les années 60, tant en Amérique du Nord qu’en Europe, où apparurent notamment les premières courses de traîneaux à chiens dans les Alpes.
Ainsi, le Club Suisse des Chiens Nordiques fut fondé en 1959. Sa fonction était au départ de promouvoir l’élevage et la notoriété des races de chiens nordiques, mais il se mit rapidement à organiser également des courses de traîneaux. Le premier « camp de traîneau » eut ainsi lieu en 1965, et fut l’occasion de découvrir ce sport tel qu’il se pratiquait en Amérique du Nord. Le succès fut au rendez-vous, et des circuits de courses firent rapidement leur apparition, non seulement en Suisse (Lenk, Saint-Moritz…), mais aussi en Allemagne (Todtmoos, Bernau…). D’autres pays européens firent de même un peu plus tard.
Dans les années 70, plusieurs clubs de chiens de traîneau virent le jour en Europe, à l’instar par exemple du Trail Club of Europe, fondé en 1973.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Gouverneur de l’Alaska éleva en 1971 les courses de traîneaux à chiens au rang de « sport national ». Deux ans plus tard, toujours dans le berceau alaskan de ce sport, le musher Joe Redington organisa une grande course en hommage au « Serum Run », consistant à rallier Nome depuis Anchorage, à travers plus de 2.000 kilomètres de piste. Ce fut la première édition de la prestigieuse Iditarod, qui allait devenir l’une des courses les plus importantes non seulement en Alaska, mais même dans le monde entier.
Le rayonnement médiatique de cette compétition, tant pour sa difficulté que pour ce qu’elle célébrait, fut bien sûr très important dans le milieu du mushing international, et favorisa encore davantage la pratique de la discipline en Europe. En 1978 eut ainsi lieu la première course de chiens de traîneau française au col de la Schlucht, dans les Vosges. La France rejoignait la Suisse, l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche dans l’organisation de courses de traîneaux.
Malgré l’apparition et le développement de la pratique dans les années 60 et 70, il restait beaucoup à faire en Europe en comparaison avec l’Amérique du Nord, où la discipline était à présent fortement implantée. Dans les années 80, l’Europe s’organisa et rationalisa la pratique des sports de traîneaux.
La décennie s’ouvrit avec la création en Norvège en 1981 de la Finnmarksløpet, une compétition internationale sur le modèle de l’Iditarod. Sa distance totale, d’environ 1100 kilomètres, en faisait la course la plus longue d’Europe, ce qui est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui.
En 1983, les différentes fédérations européennes se regroupèrent sous la houlette de l’ESDRA (European Sled Dog Racing Association), qui organisa dès l’année suivante des championnats d’Europe. Ces championnats existent toujours aujourd’hui et se tiennent chaque année. Ils sont maintenant divisés en deux compétitions : une de vitesse, comprenant cinq catégories et 300 attelages, et une de moyenne distance, avec une soixantaine d’attelages.
En 1985 fut fondée en France la Fédération Française de Pulka et de Traîneau à Chiens (FFPTC). La pulka étant fortement implantée en Scandinavie, il était logique que ce sport soit représenté dans toute l’Europe lors des compétitions officielles.
La même année naquit l’IFSS (International Federation for Sleddog Sport, ou « Fédération Internationale des Sports de Traîneaux à Chiens »). C’est aussi en 1985 qu’eut lieu la première édition d’une des courses d’endurance les plus difficiles au monde : la Yukon Quest, entre l’Alaska et le Canada.
Sept ans après la Finnmarksløpet, une autre course européenne longue distance vit le jour en 1988 : l’Alpirod-Royal Canin. Il s’agissait d’une compétition à étapes sur 15 jours, conduisant les équipages à parcourir près de 1 000 kilomètres dans les Alpes. Le tracé traversait ainsi l’Italie, la France, l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche. Les meilleurs attelages alaskans y participèrent et ne manquèrent pas de s’y illustrer, remportant plusieurs éditions.
1990 fut une année clef pour la notoriété des courses de traîneau, avec l’organisation sous la houlette de la jeune Fédération Internationale, l’IFSS, des premiers championnats du monde de vitesse. Se tenant à Saint-Moritz, en Suisse, ils virent s’affronter l’élite de la pulka et du traîneau à chiens.
La décennie 90 fut également marquée par l’apparition des premières courses officielles en Amérique du Sud. La toute première fut organisée en 1992 à Ushuaïa, en Argentine, et son tracé conduisait les concurrents jusqu’au Chili voisin. La Sudamericana Sled Dog race était née.
Les courses de chiens de traîneau s’invitèrent même aux Jeux Olympiques de 1994 à Lillehammer (Norvège). En effet, on y organisa une compétition internationale de vitesse ainsi qu’une course longue distance de 600 kilomètres, la Fedmundløpet. Ces épreuves eurent lieu en tant qu’exhibition (la discipline ne fait pas partie des sports olympiques), mais la Fedmundløpet est restée une course annuelle en Norvège. En outre, lors de la cérémonie de clôture fut donné le départ d’une expédition arctique ralliant Nagano, au Japon, où devaient se tenir les J.O. suivants.
À ce propos, on peut signaler que même si les sports de traîne sur neige ne font toujours pas partie des disciplines olympiques, l'IFSS a déposé une demande en ce sens auprès du CIO (Comité International Olympique). Cette demande est actuellement à l’étude.
Toujours au milieu des années 90, la Finlande se lança aussi dans l’organisation d’une grande course par étapes avec la Scandream, disparue depuis.
En France, en 1995, la Fédération Française de Pulka et de Traîneau à Chiens fusionna avec la Fédération Française de Cross Canins et devint la Fédération Française des Sports de Traîneau, Ski-Pulka et Cross Canins (FFST).
1996 fut l’année de la disparition de l’Alpirod, mais aussi celle de la naissance d’une nouvelle course outre-Atlantique, calquée justement sur l’Alpirod : l’International Rocky Mountains Stage Stop Sled Dog Race.
L’Alpirod n’avait pas fini d’inspirer les organisateurs de courses de chiens de traîneau, puisque deux nouvelles courses apparues respectivement en 1996 et 1998 reprirent une partie de son tracé : l’Alpentrail au Tyrol (Autriche) et l’Alpirush dans le Vercors (France), course aujourd’hui disparue.
La Grande Odyssée Savoie Mont Blanc, célèbre course dans les Alpes franco-suisses, vit le jour en 2005 à l’initiative de deux amis, le musher aventurier et réalisateur Nicolas Vanier et l’homme d’affaires Henry Kam, disparu en 2017.
Dans les années 2010, une nouvelle course naquit également dans les Andes, la traversée des Andes, entre l’Argentine et le Chili, à l’initiative du musher Konrad Jakob.
Au final, en un peu plus d’un siècle, beaucoup de courses de chiens de traîneau ont vu le jour. Certaines perdurent, mais beaucoup ont disparu, et d’autres ne manqueront pas d’apparaître dans les prochaines années : la discipline est marquée par un certain turnover.
En effet, mis à part les compétitions mythiques comme l’Iditarod, la Yukon Quest ou plus récemment La Grande Odyssée, la plupart des courses restent fragiles.
Elles sont le plus souvent créées à l’initiative de passionnés, et leur organisation est aussi complexe et coûteuse. Il arrive souvent que les partenaires (villes, stations de sports d’hiver, organismes publics en tous genres, sponsors privés...) ne suivent pas dans la durée, que ce soit pour des raisons pratiques ou financières, et leur défaillance peut s’avérer fatale à l’évènement.