S'illustrer dans les expositions canines, ces concours de beauté pour chien, constitue pour beaucoup de maîtres et d'éleveurs professionnels un Graal ultime. Il s'agit toutefois d'un univers très concurrentiel, en particulier lorsqu'il s'agit de concourir dans les expositions les plus prestigieuses.
Or, certains professionnels se donnent justement pour mission de préparer et présenter au mieux lors de ces évènements des chiens qu'on leur confie, avec à la clef des chances de succès sensiblement accrues : il s'agit des handlers.
C'est ce métier assez méconnu qu'Audrey Garcia exerce à temps plein, et que son témoignage permet de découvrir...
Je m’appelle Audrey Garcia, je suis née en 1975 et je suis handler professionnel.
Grâce à ma mère et ma sœur, j’ai grandi au sein d’un élevage canin. En effet, nous avons élevé ensemble des Lévriers Afghans, puis des Caniches, des Lhassa-Apso et des Shih-Tzu. J’ai d’ailleurs eu mon premier chien (un Lévrier Afghan) dès l’âge de 8 ans.
J’ai pratiqué l’éducation canine, l’agility, puis me suis intéressée à l’éthologie canine (c’est-à-dire l’étude des comportements). Mais surtout, j’ai été plongée dès mon plus jeune âge dans le monde des expositions canines.
Le métier de handler ne date pas d’hier, puisque la création aux États-Unis de la Professional Handlers Association (PHA) remonte à 1926.
La partie visible de ce métier consiste à présenter un chien à des juges experts lors d’expositions canines.
Mais pour en arriver là, 80% du travail est fait en amont. En effet, il faut déjà réussir à créer un lien affectif, car la complicité avec l’animal est primordiale. Puis commence l’entrainement en fonction de ce qu’il a déjà appris et ce qu’il lui reste à apprendre, le but étant de sublimer ses qualités naturelles – c’est-à-dire de « fixer » des attitudes et allures qui sont pour lui naturelles.
De fait, plus un chien est à l’aise avec son handler, plus il fait montre de brio dans le ring (l’espace dans lequel il est évalué). Le respect – mutuel - et la complicité s’obtiennent avec de la douceur.
Quoi qu’il en soit, c’est un métier assez paritaire : les hommes et les femmes y sont à peu près autant représentés.
Depuis toute jeune, je présente des chiens en exposition. En effet, il y a toujours lors des expositions canines une catégorie spéciale « jeunes présentateurs » dans laquelle c’est l’enfant qui est jugé, et non le chien qu’il a en main. Cela ne se fait plus vraiment de nos jours, mais il arrivait alors parfois que les juges invitent les enfants à échanger leurs chiens, pour voir comment ils s’en sortaient.
C’est ainsi que j’ai commencé, puis naturellement j’ai présenté les chiens de l’élevage familial, je me suis prise au jeu des concours et c’est devenu une passion.
À 22 ans, après des études dans un domaine sans rapport avec les animaux (le droit et les lettres), je me suis tournée vers le toilettage, qui était un « vrai » métier. J’ai ouvert un salon que j’ai tenu pendant 20 ans, mais la relation avec les chiens n’y est pas la même. Même si c’est bon pour eux, ils n’ont pas toujours envie d’être là, de se faire laver, toiletter…
Le week-end, j’étais en expositions pour présenter mes chiens et ceux de l’élevage familial. Cela me permettait de me ressourcer et de retrouver ce contact que j’aime tant avec l’animal. Au bout de quelques années, j’ai commencé à présenter des chiens ne m’appartenant pas. La plupart appartenaient à des clients de l’élevage familial, puis de personnes qui m’avaient vue en exposition.
Petit à petit, avec mon compagnon, on a entrevu quelque chose… Néanmoins, c’est difficile d’abandonner un « vrai » métier, un commerce, pour un métier qui n’existe pas vraiment. Le pas n’a pas été facile à franchir, mais on l’a fait. En 2018, j’ai vendu mon salon de toilettage et nous avons quitté notre Provence natale pour s’installer dans l’Allier.
Au final, je n’ai qu’un seul regret : ne pas l’avoir fait beaucoup plus tôt !
Il n’existe pas d’école de handling, donc la formation qui fut la mienne est celle de la vie d’éleveur, puis celle de toiletteur.
J’ai appris le toilettage seule dans un premier temps. En effet, je recopiais en cachette le travail du toiletteur qui s’occupait des chiens d’exposition de l’élevage familial. C’est ainsi que j’ai assimilé les bases, avant d’effectuer un stage décisif chez un grand éleveur de Caniches. Ce fut le début d’une longue carrière comme toiletteuse, puisque j’ai exercé ce métier pendant une vingtaine d’années…
C’est grâce à cette expérience que j’ai appris les différentes races de chiens et leurs spécificités. Ainsi, je ne serais pas le handler que je suis aujourd’hui sans cet important savoir-faire, car le toilettage fait partie intégrante du métier de handler.
La suite n’est qu’une succession de week-ends en expositions à courir dans un ring avec les chiens ; on pourrait parler d’apprentissage « sur le tas »…
D’un point de vue strictement légal, il n’y a aucune formation nécessaire pour être handler et présenter des chiens en exposition, et pas non plus d’équipement requis. En théorie, n’importe qui peut donc se lancer, sans forcément s’y connaître ni avoir la moindre dépense à engager.
Toutefois, la réalité est très différente, du fait que le handler ne se contente pas de prendre en charge les chiens pendant l’exposition : c’est aussi lui qui les y emmène. Or, le transport d’animaux est une activité réglementée. En France, deux formations s’avèrent donc nécessaires pour être en mesure d’exercer : l’ACACED (Attestation de Connaissances pour les Animaux de Compagnie d'Espèces Domestiques) et le TAV (Transport d’Animaux Vivants).
Pour les mêmes raisons, il faut prévoir un investissement assez conséquent concernant le véhicule utilisé pour se rendre en exposition avec les chiens qui vous sont confiés. En France, il doit être validé par la DDCSPP (Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations, qui inclut le service vétérinaire départemental) et c’est là que les choses peuvent se compliquer, car il y a des normes strictes en termes de ventilation, désinfection, présence de cages de transport, etc. Certains parviennent toutefois à faire homologuer des véhicules de série, car certains départements ne sont pas très regardants…
Par ailleurs, être prêt à avaler les kilomètres (pour moi, c’est entre 60 et 80.000 par an) pour se rendre en exposition est une chose, mais encore faut-il précisément avoir des chiens à y présenter. Si vous n’écumez pas les expositions depuis un moment, qui irait vous confier son animal ?
Cela dit, être visible ne suffit pas : il faut aussi des résultats. Pour se développer et fidéliser sa clientèle, plus encore que les rapports humains que l’on peut avoir avec les clients, ce sont eux qui parlent pour vous. Si vous ne gagnez jamais, qui vous paierait pour présenter son chien ? Il est d’ailleurs très courant qu’un nouveau client me dise que cela fait un moment qu’il m’observe, qu’il suit mes résultats et ma manière de travailler.
Il n’existe que très peu de handlers réellement professionnels. En France par exemple, nous ne sommes guère plus d’une grosse dizaine. En outre, nous ne démarchons pas les clients : ce sont eux qui nous choisissent. Et quand un éleveur est habitué à travailler avec un handler donné, c’est très rare qu’il en change par la suite.
Le premier travail des juges lors des expositions consiste à désigner pour chaque race le meilleur sujet qui leur est présenté. Or, les races sont regroupées par la Fédération Cynologique Internationale (FCI) dans 10 groupes (chiens de berger, chiens d'arrêt, chiens d’agrément…) : l’étape suivante est donc celle des finales, qui met en compétition pour chaque groupe le meilleur représentant de chaque race qui en fait partie. Enfin, les 10 meilleurs chiens ainsi sélectionnés s’affrontent pour obtenir le titre de « Best in show », c’est-à-dire être désigné comme le meilleur chien de toute l’exposition.
On se retrouve parfois en concurrence avec un autre handler dans une même race, mais c’est surtout lors des finales que la situation se présente, et bien sûr pour le « Best in show ».
En théorie, la confrontation devrait porter uniquement sur les résultats et ne pas influencer nos rapports humains. Dans la pratique, c’est parfois plus compliqué : tant qu’on ne gagne pas (ou très peu), ça va, mais dès que les résultats sont au rendez-vous, il peut y avoir de la jalousie - a fortiori si c’est lors d’expositions réputées …
Le budget dépend de la manière dont on cherche à exercer ce métier. Il y a dans tous les cas deux gros postes à prévoir, correspondant respectivement à l’accueil des chiens chez soi et à leur transport pour se rendre aux expositions.
Concernant l’hébergement des chiens que l’on prépare à concourir, il est nécessaire de disposer d’un chenil – mot que je n’apprécie d’ailleurs guère, compte tenu de sa connotation péjorative. Il faut aussi un espace pour les toiletter, un pour les entraîner à être présentés, et un autre où ils peuvent se détendre. En tout état de cause, la loi française stipule que chaque chien doit disposer d’un espace intérieur d’au moins 5 m² (hors espace de détente).
En tout cas, le budget à prévoir à ce niveau est très variable : si l’on dispose déjà dans sa maison de pièces disponibles et suffisamment grandes qu’il y a juste à aménager, il ne faut pas forcément prévoir plus de quelques milliers d’euros. En revanche, si l’on souhaite créer ex nihilo un bâtiment dédié qui soit aux meilleures normes, la facture peut rapidement grimper. C’est la solution pour laquelle nous avons opté, avec un complexe couvert de presque 500 m², opérationnel à partir de 2023 et qui nous a coûté environ 200.000 euros.
Pour ce qui est du transport, un véhicule est évidemment indispensable. Le budget correspondant dépend fortement du nombre de chiens que l’on prévoit de transporter, et donc de ses ambitions. Si on pense ne jamais en avoir plus de 4 ou 5 à emmener, l’investissement à prévoir est nettement plus modeste que si on souhaite pouvoir en prendre 10 ou 15… Dans ce cas, la facture globale a tôt fait de dépasser les 50.000 euros.
Dans mon cas, je me suis contenté d’utiliser un véhicule de série les premiers mois, mais cette solution a vite montré ses limites et ses inconvénients. Par la suite, j’ai investi plus de 70.000 euros pour disposer d’un camion de 7 mètres de long aménagé sur mesure, entièrement isolé et climatisé, que nous pouvons raccorder à l’électricité lorsque nous nous arrêtons, afin de ne pas dépendre de la batterie. Cela permet de maintenir la température intérieure en toute circonstance, de disposer d’un extracteur d’air indépendant avec une autonomie à l’arrêt de 36 heures, d’un thermomètre connecté avec alerte en cas de dépassement d’une certaine température, d’une caméra pour surveiller les chiens… L’investissement peut sembler conséquent, mais le confort et la sécurité de ces derniers n’a pas de prix à mes yeux.
Oui, j’ai réussi à me faire une place sans trop de difficultés, mais il faut dire que je suis tombée dedans quand j’étais petite. Le plus dur a été d’oser abandonner ma vie casanière d’avant pour me consacrer à 100% à cette activité, et je dois dire que j’en vis correctement.
Cela dit, encore une fois, mon cas est un peu à part. J’ai eu le temps d’apprendre à perdre, avant de savoir gagner. Le temps aussi de laisser le microcosme des expositions canines s’imprégner de ma présence, de mon image… Si j’avais dû vivre de cette activité il y a 20 ans, je n’aurais sans doute pas mangé à ma faim tous les jours.
Toutefois, je suis persuadée aujourd’hui que c’est un métier stable, à condition de prendre les bonnes décisions dès le départ, et surtout d’être très sérieux. Cela m’amène à aborder la question du prix : un professionnel digne de ce nom doit être en mesure non seulement de gagner suffisamment bien sa vie pour rester motivé, mais aussi de disposer d’équipements de qualité et être en mesure de les entretenir correctement. Donc une des bonnes décisions à prendre, c’est de fixer un tarif cohérent qui permet de travailler avec du matériel de qualité. On reconnait le bon ouvrier à ses outils…
J’ai vu d’ailleurs plus d’une fois de nouveaux acteurs se lancer avec des tarifs au rabais, mais rares sont ceux qui n’ont pas disparu. En effet, quand vous finissez par comprendre la nécessité de disposer de moyens adéquats et ajustez fortement vos tarifs à la hausse, vos clients ne vous suivent pas forcément... D’où l’importance de fixer d’emblée des prix adaptés.
Nous n’avons pas vraiment de journée ou semaine type.
Néanmoins, comme les expositions ont lieu généralement le week-end, la semaine commence alors par la désinfection du véhicule et des caisses de transport. Le camion est alors lavé à fond : il faut qu’il brille !
Ensuite, mon compagnon le configure en vue du prochain départ. En effet, même si le noyau reste généralement le même, je n’emmène pas les mêmes chiens à chaque exposition : il faut donc s’assurer de mettre en place des box de transport adaptés au gabarit de chacun.
Nous préparons ensuite l’exposition suivante : toilettage des chiens, balades, entrainement, nettoyage des locaux, réservations d’hôtels, planification du parcours et des haltes (nous avons nos petites habitudes concernant les aires de repos ou les endroits pour détendre les chiens pendant le voyage), préparation des horaires de passage…
Bien sûr, il y a aussi les aspects administratifs : devis à établir, factures, comptabilité…
En ce qui concerne les chiens, s’il n’y a qu’une semaine entre deux expositions, cela ne laisse pas vraiment le temps pour de l’entraînement, ou seulement très peu. Je peux retravailler quelques points de présentation qui ne se sont pas déroulés comme je le souhaitais, mais pour le reste c’est surtout de la détente et du jeu. Les deux jours avant le départ sont pour leur part consacrés à leur toilettage afin de soigner leur apparence en vue du concours.
J'ai toujours de l'activité, car il y a des expositions tout au long de l’année
J’établis un planning annuel dans lequel figurent environ 35 week-ends d’expositions par an, tant en France et dans d’autres pays d’Europe qu’aux États-Unis.
J’essaye de m’octroyer quelques vacances en été et pour les fêtes de fin d’année, mais ce n’est pas toujours évident car il peut y avoir des rendez-vous importants à ces dates.
Sur un an, je présente environ 90 chiens de 30 à 35 races différentes. Certains ne nous sont confiés qu’une ou deux fois dans l’année tandis que d’autres passent plusieurs semaines – voire mois – d’affilée chez nous, car ils sont présentés à de nombreuses expositions.
Pour la majorité, mes clients sont réguliers mais j’ai aussi des missions uniques, des « tests » qui peuvent se transformer par la suite en client régulier.
Mes clients sont principalement des éleveurs. Ils ont besoin de la vitrine que représentent les expositions pour valoriser leurs reproducteurs et augmenter la notoriété de leur élevage. Or, cela prend du temps. Les expositions se déroulent généralement sur deux jours, mais pour peu que l’endroit soit éloigné, cela a tôt fait de prendre quatre jours si on inclut le temps de s’y rendre et d’en revenir. En outre, elles ont lieu majoritairement le samedi et le dimanche, c’est-à-dire précisément les jours de la semaine où ils ont le plus besoin d’être disponibles pour recevoir des adoptants potentiels.
Par ailleurs, les expositions impliquent des coûts de déplacement, d’hébergement et de restauration. Or, faire appel à un handler permet de bénéficier d’une mutualisation de ces derniers, puisque celui-ci emmène également les chiens d’autres éleveurs : c’est donc une solution plus économique non seulement en termes de temps, mais aussi sur le plan financier.
De fait, un nombre croissant d’éleveurs décident de confier cette mission à un handler professionnel afin de garder plus de temps pour leur élevage.
J’ai également une clientèle de particuliers. Même si tout maître a tendance à penser que son chien est le plus beau, certains possèdent effectivement des spécimens très prometteurs, mais ne se sentent pas capable de le présenter, ou veulent simplement mettre toutes les chances de leur côté afin qu’il remporte le ou les titres tant convoité(s).
Chaque handler applique un tarif selon sa propre logique. Pour ma part, le prix est le même quelle que soit la race ou la taille du chien. En revanche, je différencie le montant demandé en fonction du niveau de l’évènement. Autrement dit, je ne facture pas le même montant pour une exposition classique (150 euros), un championnat national (400 euros) ou encore un championnat d’Europe ou du Monde (600 euros).
À ce montant viennent s’ajouter des frais de déplacement, qui sont toutefois assez modérés puisqu’ils sont mutualisés entre tous les clients dont j’ai emmené un chien à l’évènement en question.
Il faut aussi prévoir bien sûr les frais d’engagement demandés par les organisateurs. Le plus souvent, ils ne dépassent pas quelques dizaines d’euros, mais pour les rendez-vous les plus courus, on peut atteindre – voire dépasser – les 100 euros par exposition, sachant qu’il peut y en avoir jusqu’à trois ou quatre au cours de la même manifestation.
Beaucoup de personnes trouvent mes tarifs (et ceux d’autres handlers professionnels) trop élevés. Ils oublient toutefois que pour le bien-être de leurs chiens, nous investissons dans du matériel, des aménagements, un véhicule qui répondent aux plus hautes exigences en termes de confort et de sécurité. Ils oublient aussi qu’en France, les charges sont très élevées.
Mis bout à bout, tout cela explique les prix pratiqués. Ils sont à mes yeux justifiés si on veut pouvoir gagner sa vie correctement tout en assurant un travail de qualité.
Comme beaucoup de clients se focalisent sur le prix, on voit apparaître régulièrement de nouveaux handlers qui ne sont pas forcément en règle…
Pour un petit éleveur ou un particulier, il n’y a pas grand-chose à gagner (en dehors de la satisfaction) à présenter ses chiens en exposition, que ce soit soi-même ou en faisant appel à un handler.
En revanche, un éleveur qui produit pas mal de chiots à tout à y gagner. En effet, si les résultats sont au rendez-vous, il peut alors vendre ses petits plus cher, voire reçoit des demandes d’adoption en provenance du monde entier. Un mâle qui a une belle carrière de champion est par ailleurs davantage demandé pour des saillies, et son propriétaire est en mesure de facturer plus cher ces dernières.
Par exemple, je possède un Bearded Collie de quatre ans, qui partage nombre de mes voyages et gagne énormément de titres – dont plusieurs Best in Show dans différents pays. Au printemps, il a été papa de 5 chiots. Quand j’ai posté l’annonce sur Facebook, ceux-ci ont été réservés dans l’heure qui a suivie par des personnes basées respectivement en Allemagne, aux États-Unis, en Israël, en Italie et en Norvège.
Je ne parle pas de séances. J’aime passer du temps avec mon nouveau compagnon d’aventure, car il faut que l’on tisse des liens et qu’on apprenne à se faire confiance. Une fois que c’est le cas, il est plus facile de lui demander des choses : il les fait beaucoup plus volontiers. A partir de ce moment-là, on peut donc lui apprendre à marcher et à se tenir de la manière dont les expositions l’exigent, ainsi qu’à se laisser manipuler.
De ce fait, je tâche de prendre en charge un nouveau chien 10 à 15 jours avant sa première présentation, et recommande qu’il demeure chez moi pendant toute cette durée. Certains propriétaires ont du mal à accepter cette longue séparation, mais ils doivent comprendre que c’est dans leur intérêt s’ils souhaitent effectivement maximiser les chances de succès de leur animal… Du reste, ce temps passé avec ce dernier ne fait pas forcément l’objet d’une facturation supplémentaire.
Les deux cas sont courants, et le travail n’est pas le même.
Un chien habitué aux expositions sait immédiatement et de manière mécanique ce que j’attends de lui. Il faut donc principalement que je m’applique à créer un lien pour qu’il se sente en sécurité et en confiance, afin que l’on puisse exploiter tout son potentiel.
J’ai quand même une préférence pour les chiens novices. En effet, chaque handler a sa manière de présenter un chien, ses propres petits gestes et ses paroles ; lorsqu’on me confie un animal qui n’a aucune expérience en expositions et a donc tout à apprendre, je peux le « faire » à ma main…
De fait, la majorité des chiens que je présente ont démarré les expositions avec moi, c’est-à-dire étaient débutants lorsqu'ils m’ont été confiés. C’est un vrai travail d’équipe avec les éleveurs qui me font confiance : nous pouvons sélectionner ensemble rapidement les chiots ayant le plus grand potentiel, ce qui me permet de commencer à tisser très tôt des liens avec eux (dès 5 ou 6 mois). D'ailleurs, je peux aussi servir d’éclaireuse pour mes clients, si je vois à l’étranger des chiots ou des étalons qui pourraient les intéresser.
En général, j’arrive à me rendre compte du potentiel d’un chien dès le premier coup d’œil. Toutefois, il peut y avoir des surprises à l’occasion des premiers concours - bonnes ou mauvaises, d’ailleurs.
Lors d’une exposition, il y a 500, 1000 voire 2000 de ses congénères réunis dans un même endroit. Certains sont excités, d’autres agressifs, d’autres encore apeurés. Il peut aussi y avoir des femelles en chaleur. Tout ceci fait qu’il se retrouve confronté à une explosion de signaux sensoriels et olfactifs. Or, tous ne la supportent pas de la même manière : ils peuvent être écrasés par cette pression, ou au contraire révéler un petit « truc » en plus grâce à elle, trouvant réconfort et appui en se focalisant sur leur handler. C’est dans ces moments-là que les liens et la confiance créés trouvent toute leur importance et peuvent faire la différence.
La capacité à s’acclimater à cet environnement est néanmoins difficile à prévoir. Alors que certains s’adaptent assez facilement et finissent par trouver leurs marques, d’autres n’y arrivent tout simplement jamais… Évidemment, le passé du chien peut alors avoir une influence déterminante. Le problème est que s’il s’est produit quelque chose de marquant avant, bien souvent le propriétaire ne me le dit pas. Or, il est difficile de remédier à un problème dont on ne connaît pas la cause…
Quoi qu’il en soit, on est généralement fixés au bout de deux ou trois expositions sur le fait que les choses se passent bien, vont nécessiter du temps ou semblent sans espoir. Cela permet de décider avec le propriétaire du chien s’il est pertinent de continuer ou s’il vaut mieux arrêter.
Un chien d’exposition peut être assimilé à un athlète de haut niveau, et a donc besoin d’une bonne hygiène de vie. On doit notamment éviter certains comportements qui pourraient le « déformer ». Par exemple, si on laisse un jeune chien se dresser sur ses pattes arrière toute la journée, celles-ci risquent de finir par devenir arquées. En jouant trop brutalement, il peut aussi se déplacer le bassin ou se bloquer une vertèbre : il ne s’en plaint pas forcément, mais le problème apparaît clairement quand on le met dans une posture de présentation en concours. Il faut aussi éviter de le solliciter de manière excessive, car il risquerait de finir par devenir hyperactif : toutes les activités doivent être faites avec modération, sans excès.
Par ailleurs, on voit souvent des propriétaires travailler la statique (position du chien dans un ring) de leur jeune espoir trop tôt, alors qu’il n’est encore qu’un chiot… Or, même s’il est destiné à être présenté en expositions, un chiot reste un chiot : il doit prendre le temps de grandir et de jouer avant d’apprendre à se tenir. L’accabler trop tôt avec un travail strict voire excessif n’est pas un cadeau à lui faire… En tout cas, c’est la ligne que j’adopte quand on me confie un jeune chien. Avec beaucoup de câlins, du jeu, de la complicité et de la confiance, on peut aller au bout du monde !
Quant à ceux qu’on me confie alors qu’ils sont déjà adultes, c’est un peu la même chose : beaucoup de câlins et un peu de travail. Si on prend du plaisir ensemble, alors il donnera le meilleur de lui dans le ring.
La réponse est à la fois non… et oui !
En effet, un chien reste régulier dans ses humeurs. Il peut certes être troublé par une odeur ou un bruit, mais généralement cela n’a que peu d’incidence sur son comportement.
Cependant, il en va tout autrement pour nous, et cela change tout. Si vous êtes préoccupé(e), en colère, fatigué(e), triste, surexcité(e)…, il le ressent et interprète cette information. Du coup, son comportement devient sensiblement différent.
Par exemple, si vous appréhendez votre passage dans le ring, le chien le remarque et se demande pourquoi vous êtes inquiet. Lorsque le juge (c’est-à-dire pour lui un inconnu) s’approche, il a alors de fortes chances de réagir. S’il est devenu inquiet lui aussi, il se laisse plus difficilement examiner, mais il peut aussi vous sentir fragile et décider de vous protéger. Bien sûr, c’est un exemple extrême, mais il n’est pas rare qu’un juge se fasse mordre.
C’est là que l’expérience du handler parle. Quand je rentre dans un ring, ma vie reste à l’extérieur et il n’y a plus que le chien et moi. Je maîtrise les techniques de présentation, et peux donc me focaliser pleinement sur la qualité de notre prestation.
Que le client soit basé en France ou à l’étranger, il doit toujours faire en sorte que son chien arrive chez nous plusieurs jours avant l’exposition, quand bien même ce dernier nous connaît déjà très bien. L’idéal est que ce soit une dizaine de jours avant, mais bien sûr nous nous adaptons à ses contraintes.
En effet, nous avons besoin de travailler et entretenir la complicité avec son animal, et pour cela il est indispensable de passer du temps avec lui. Lors de ces entraînements, c’est beaucoup de câlins et de jeux juste lui et moi, puis on travaille. On peaufine ainsi notre complicité : je l’entraîne à se placer tout seul, à rester fixé sur moi. C’est dans les détails que l’on fait la différence.
J’établis un calendrier au début de chaque année, et les clients font leur choix sur cette base. Il est conçu de manière à pouvoir satisfaire le maximum de personnes et offre un large choix pour concourir à des titres de Champion à l’étranger, ainsi que pour les deux titres de Champion Français.
Il m’arrive toutefois de rajouter une exposition à la demande d’un client - souvent, il s’agit de la Nationale d’Elevage de la race qu’il élève. Organisé annuellement par le club de race, cette exposition est en effet un rendez-vous incontournable, et c’est à cette occasion qu’est décerné un des trois qualificatifs nécessaires à l’obtention du titre de champion de France : le CACS (Certificat d’Aptitude et de Conformité au Standard) de championnat.
En effet, cela arrive parfois. Néanmoins, c’est rarement bénéfique : dans le meilleur des cas, ça n’a aucune incidence sur le chien ; dans le pire des cas, celui-ci devient complètement ingérable.
Cela dit, sa réaction est pour le coup prévisible de manière quasi-certaine, alors on prend les devants. Si le maître est présent et que cela peut être problématique, je lui demande de cesser tout contact avec son chien dès son arrivée à l’exposition, jusqu’à ce que ce dernier ait fini de travailler. Certains chiens en revanche sont parfaitement capables de se comporter de la meilleure des manières même si leur maître est tout près, en tant que simple spectateur.
Cela dépend de la taille de l’exposition. Les organisateurs ne fixent jamais de limite au nombre de chiens qu’une même personne peut présenter, mais plus l'événement est petit, moins il y a de juges qui officient, et donc moins il y a de rings. La probabilité que deux chiens doivent passer à la même heure est alors moins élevée.
Le programme et le nombre de juges est connu normalement plusieurs mois avant la date de l’évènement : cela permet de définir bien en amont le nombre maximum de chiens que j’y présenterai. Celui-ci se situe normalement entre 10 et 15.
Si je suis en mesure d’atteindre un tel nombre, c’est uniquement parce que je ne suis pas seule. En effet, mon compagnon joue un rôle essentiel de chef d’orchestre, me dirigeant tout au long de la journée afin que je puisse à chaque fois me concentrer sur le chien que je présente. Il est systématiquement du voyage et sans son aide, il serait compliqué d’en prendre en charge plus de 5 ou 6. De fait, c’est clairement un métier qu’il vaut mieux envisager en duo qu’en solo…
En tout état de cause, compte tenu du volume de demandes que je reçois, le nombre de chiens que nous emmenons à un évènement atteint toujours le maximum que je m’étais fixé. Notre programme est rempli 3 à 4 mois à l’avance…
Non : tant que le chien est partant, il n’y a pas de problème. De toute manière, si un jour il ne veut plus aller en exposition, il vous le fera comprendre et vous n’obtiendrez plus de résultats : il aura moins d’entrain, de brio… Mieux vaut savoir s’arrêter au bon moment avant que ses résultats ne déçoivent.
En principe, il n’est pas permis de converser avec le juge, hormis quelques mots de politesse et éventuellement pour lui donner l’âge du chien s’il le demande. Néanmoins, un handler doit savoir capter son attention pendant les 3 à 5 minutes pendant lesquelles il lui présente ce dernier : il s’agit d’estomper ses petits défauts et au contraire d’accentuer ses qualités.
La complicité qu’il aura su créer avec l’animal est également un atout. La victoire se joue dans des détails, et l’image que le duo renvoie doit donc être parfaite.
C’est aussi pour cette raison que je m’habille toujours de façon élégante : porter une veste et un pantalon chics sont un moyen d’attirer son œil… Autrement dit, je tâche de faire en sorte qu’il ne voie que nous, et donc d'une certaine manière de l’influencer un peu.
On pourrait comparer cela à un même plat versé dans deux assiettes différentes : on a tendance à dire que la nourriture est meilleure dans l’assiette la mieux présentée, la plus jolie. Pour un chien, c’est pareil : on le trouve souvent plus joli lorsqu’il est présenté par un professionnel…
En revanche, pour rester sur cette comparaison, si un plat n’est pas bon, il n’est pas bon, peu importe qu’il soit bien ou mal présenté !
Absolument ! En fonction de la race ou du type de races, on ne présente pas du tout de la même façon.
Par exemple, la présentation doit être faite en marchant pour certaines races, alors que pour d’autres il faut courir. Pour certaines, on doit se placer devant le chien, pour d’autres derrière.
En outre, la manière dont on se déplace et dont on tient la laisse dépend de la position attendue de l’animal. Par exemple, un chien de berger doit avoir un mouvement ample et fluide. Il ne doit pas lever la tête, ou très peu. A l’inverse, on attend d’un Caniche qu’il ait une allure assez sautillante, avec un port de tête haut et fier.
Ce ne sont là que des illustrations : il y a énormément de détails qui diffèrent d’une race à une autre, autant physiques que psychologiques, et je dois m’y adapter.
En théorie, un handler peut parfaitement choisir de se spécialiser : il est libre de gérer son activité comme il l’entend.
Mais dans la pratique, quel serait l’intérêt ? Il réduirait énormément son potentiel de clients et de chiffre d’affaires, et même aurait toutes les chances de ne plus pouvoir vivre décemment…
Dans les expositions canines, les chiens sont jugés par tranche d’âge : on appelle ça les classes. Il y a sept ou huit classes dans une race, dont trois pour les chiots : Baby (4 à 6 mois), Puppy (6 à 9 mois), Jeune (9 à 18 mois). Puis viennent les classes pour les chiens adultes : Intermédiaire (15 à 24 mois), Ouverte (plus de 15 mois), Champion (plus de 15 mois et déjà Champion de Beauté). Pour les sujets âgés de plus de 8 ans, il y a la classe Vétéran. Enfin, pour les races qui ont à la base une fonction précise (par exemple les races de chiens de chasse ou celles de chiens de berger), il existe également une classe Travail accessible aux spécimens de plus de 15 mois et détenteurs du certificat de travail.
Pour remporter sa classe, l’âge n’a pas beaucoup d’importance - à l’exception notable de la classe Jeune. Il en va autrement pour espérer décrocher le titre de « Meilleur de la race », car un chien mature et ayant déjà de l’expérience est généralement meilleur. D'ailleurs, il est courant que ce soit un concurrent de la classe Champion qui remporte ce titre. Pour autant, courant ne veut pas dire systématique. En effet, les juges sont des experts et savent faire la part des choses pour reconnaître les qualités morphologiques d’un chien, même en début de carrière.
Chaque nouveau chien est un challenge. Vais-je pouvoir gagner sa confiance, lier un lien profond avec lui, lui apporter le réconfort dont il a besoin en l’absence de son maitre ?
Chaque chien est différent, et je dois m’adapter à son caractère, ses acquis, son passif. La laisse offre un exemple parmi tant d’autres : alors que certains ont besoin de ressentir que quelque chose nous relie pour être rassurés et en confiance, d’autres au contraire ne doivent pas me sentir au bout de la laisse pour être en mesure d’exprimer tout leur potentiel…
De façon générale, je dois donc me remettre en question à chaque nouveau chien, car c’est bien à moi de m’adapter à lui et non l’inverse.
Oui, cela m’arrive, et même plus souvent que je ne le souhaiterais.
Lorsque je rentre d’une exposition, j’affiche mes résultats (notamment sur Facebook et les réseaux sociaux), et mes clients en font de même. J’ai alors quasi-systématiquement de nouvelles demandes d’éleveurs et propriétaires ayant la même race… Malheureusement pour eux, la place est déjà prise, car je n’emmène jamais à un évènement des chiens d’une même race appartenant à des clients différents. Au demeurant, vu la rivalité qui existe souvent entre éleveurs d’une race donnée, il est courant qu’un éleveur avec qui je travaille fasse tout pour que je ne prenne jamais en charge les chiens d’un de ses concurrents pendant tout le temps que nous collaborons, et donc me confie ses protégés pour l’ensemble des expositions. Du coup, certains attendent leur tour, que la place se libère, et d’autres jettent l’éponge.
Il m’arrive également de refuser parce que je pense que le chien ne sera pas à la hauteur. Dans ce genre de cas, c’est toujours un peu délicat pour le faire entendre à son propriétaire, mais ça ne serait pas honnête de ma part de ne pas le faire. Il est important de trouver les bons mots, même si ce n’est pas toujours facile.
Enfin, même si c’est beaucoup plus rare, il m’est arrivé de refuser de prendre un chien parce que son propriétaire n’était pas prêt pour la séparation. Cela peut sembler fou, mais le cas s’est présenté plusieurs fois : sentant l’échéance approcher, le propriétaire du chien devenait tellement angoissé que, d’un commun accord, nous avons décidé de ne pas aller plus loin.
Je reste libre à tout moment de ne pas présenter un chien, même quelques secondes avant le moment prévu. Il est évident que s’il n’est pas en condition pour être jugé, par exemple parce qu’il est malade ou qu’il boite, il ne sert à rien de prévoir de le présenter ce jour-là. Par ailleurs, un chien jeune ou débutant peut être trop stressé pour concourir : dans un tel cas de figure, je préfère renoncer mais prends ensuite le temps de lui faire découvrir ce nouvel environnement, dans l’espoir que les choses se passent mieux la fois suivante.
Il y a donc toutes sortes de cas de figure possibles, et c’est à moi de m’adapter : le bien-être du chien passe toujours avant le reste. Néanmoins, ce genre de situations demeure exceptionnel.
Les chiens ! Le contact avec eux est magique. Un chien ne juge pas, il vous accepte comme vous êtes, et n’est jamais avare de câlins.
En outre, lui se fiche complètement des résultats. Ce qui compte à ses yeux, c’est ce moment partagé avec vous dans le ring : juste lui, vous et une laisse. Plus d’une fois, on m’a dit que le chien semble avoir la « banane » quand nous sommes ensemble dans le ring. Je crois que c’est exactement ça : on passe un super moment ensemble, et c’est donc un jeu pour lui, pas un travail…
En voyant un de mes chiens bondir sur le podium et attendre les photographes, je me suis parfois posé la question de leur attirance pour la gloire. En fait, à bien y réfléchir, je suis convaincue qu’ils s’en fichent : ce qui les rend fondamentalement heureux, c’est l’émotion qu’ils me procurent d’avoir réussi à les mener là-haut, du fait justement de ce lien qui nous unit.
La nature humaine, parfois ! Je fais mon métier dans un monde de passionnés, un monde assez fermé où tout le monde connaît tout le monde, où les rumeurs les plus folles peuvent courir… Vous pouvez aujourd’hui être le « Dieu » de certains, et demain être moins que rien. La pression psychologique est énorme et il faut être bien préparée et soutenue pour l’affronter. Dans mon cas, j’ai la chance d’avoir mon compagnon pour m’épauler lors des expositions : il gère bon nombre des « à-côtés », ce qui me permet de me concentrer pleinement sur le chien que je présente.
L’autre gros point noir de ce métier, c’est son impact sur la vie sociale et la vie de famille. En effet, les expositions se déroulent le week-end, ce qui veut dire qu’on est généralement absent du vendredi au lundi, voire plus. Cela implique de gros sacrifices. Par exemple, notre fille a grandi avec ses parents souvent absents le week-end entier ; heureusement que ses grands-parents étaient en mesure de la garder quand elle était petite…
Il y en a plusieurs, mais 2022 restera pour sûr un grand cru.
Ca a été le cas notamment lors de la Crufts, le plus grand rassemblement au monde. Deux de mes protégés ont été sacrés meilleur de race : Ovation de Chester, un Bearded Collie qui s’est imposé face à pas moins de 205 concurrents venus du monde entier ; puis Imperio from Bohemica Land, un Bichon Havanais, qui a surclassé les 63 autres représentants de cette race qui étaient en compétition. Fouler le ring d’honneur de cette prestigieuse exposition britannique a été une sensation inoubliable.
Toujours en 2022, les chiens que j’ai présentés ont décroché en cumulé 4 titres de Champion d’Europe et 5 de Champion du Monde.
Enfin, ça a été l’année de notre première aventure sur le continent américain, avec là encore un résultat exceptionnel…
Au tout début de ma carrière, j’ai eu droit à un avertissement qui a changé ma façon de prendre en charge les chiens. Nous étions à l’étranger avec mon compagnon, après une exposition, et nous promenions les chiens.
Soudainement, le collier du Caniche Moyen que j’avais en laisse rompt, et celui-ci se met à courir comme un fou. J’ai vite compris qu’il ne voulait heureusement pas s’enfuir, mais il m’a fallu plus d’une demi-heure pour le rattraper. Le collier qu’il portait était celui fourni par son propriétaire ; depuis ce jour-là, je n’utilise plus que mon propre matériel, et je conseille d’ailleurs à toute personne qui aurait envie de se lancer d’en faire de même.
Plus récemment, j’ai eu la chance de présenter un Mastiff, un superbe molosse de près de 100 kg. Lorsque son propriétaire me le dépose, nous faisons rapidement connaissance puis je demande à son maître de le faire monter dans mon camion, afin de voir s’il y va volontiers (parce qu’autant vous dire que s’il n’a pas envie d’y monter, il est difficile de l’en persuader…). Il le fait, et rentre dans sa cage de transport avec plaisir. Nous le laissons là quelques minutes, le temps de signer tous les documents, puis son maître s’en va. Quand je retourne le chercher pour le mettre dans le parc, il me fait un joli sourire, me faisant comprendre que nous ne sommes pas potes du tout. Je n’ai jamais craint les chiens, mais pour le coup je dois avouer que je n’en menais pas large… Toutefois, quelques minutes plus tard, nous étions les meilleurs amis du monde, et je n’ai jamais eu de plus gros bisous !
Lors du World Dog Show (championnat du monde) de 2018 à Amsterdam, je suis au bord du ring avec Titi, la Bull Terrier. Titi m’a été confiée par son propriétaire plusieurs mois avant, et vit à la maison depuis lors : nous nous connaissons donc par cœur. Nous sommes concentrées et prêtes. Nous avions remporté les deux expositions de la veille et l’avant-veille, mais il y avait beaucoup moins de concurrence. Je décide de ne pas la présenter avec ma laisse habituelle, m’étant laissée convaincre qu’elle serait encore mieux avec un autre modèle. Notre tour est dans moins de cinq minutes, et c’est le moment que Titi choisit pour me faire passer un message : la nouvelle laisse ne lui convient pas, et d’un mouvement sec elle libère sa tête. Elle se retrouve alors libre, me regarde et part en courant dans le ring voisin, en fait le tour comme une fusée, avant de me sauter dans les bras. Heureusement, elle n’a pas agressé qui que ce soit, donc cela n’a donné lieu à aucune sanction.
Quelques secondes plus tard, je reçois un SMS du président du club de race, le Club Français des Amateurs de Bull Terriers, qui est aussi un ami : il a tout vu en live sur Facebook, est hilare, se moque gentiment de moi et me taquine sur mon professionnalisme.
Toutefois, l’histoire retiendra seulement que juste après ce moment de détente, Titi devenait Championne du Monde…
En théorie, le métier de handler est accessible à tous, d’autant qu’il n’est pas réglementé et qu’il n’existe pas de formations qui y préparent.
Toutefois, dans la pratique, il implique d’être tout à la fois éducateur, toiletteur et transporteur animalier : autant de professions pour lesquelles on trouve pour le coup toutes sortes de formations, voire qui ne peuvent être exercées que sous certaines conditions.
Du reste, une personne extérieure au monde canin (élevage, concours…) aurait sûrement du mal à s’y faire une place, car l’univers des expositions canines est un petit milieu dans lequel tout le monde se connaît. Une personne qui voudrait se lancer sans expérience ni connaissances aurait probablement bien du mal à trouver des clients.
Par ailleurs, il faut tout de même une bonne condition physique. Je parcours environ 20 km par journée d’exposition, on court beaucoup, et il y a tous les aspects logistiques : intendance, chargement, déchargement, installation… J’ai la chance d’être assistée par mon compagnon, et son aide est précieuse.
Le métier de handler n’existe pas à proprement parler dans les textes de loi, donc il n’y a malheureusement pas de réglementation particulière.
Je dis malheureusement, car à mes yeux il serait normal que la loi prévoit quelles formations et conditions sont nécessaires pour l’exercer, comme elle le fait pour la quasi-totalité des autres métiers avec des chiens.
Cela dit, il ne faut pas perdre de vue qu’il est un peu la fusion de plusieurs autres. Ainsi, lorsque nous gardons et entraînons des chiens à la maison, nous sommes soumis à la même réglementation qu’une pension canine. Lorsque nous nous déplaçons vers une exposition, c’est la réglementation applicable au transport d’animaux qui trouve à s’appliquer, c’est-à-dire qu’il faut être habilité pour cela (ACACED plus agrément TAV - Transport d’Animaux Vivants) et disposer d’un véhicule homologué. Elle est toutefois moins contraignante que celle concernant les taxis animaliers.
De nouveaux handlers arrivent régulièrement sur le marché, et ne sont pas en règle sur tel(s) ou tel(s) aspects. Comme beaucoup de clients regardent avant tout le prix, ce n’est pas bien grave à leurs yeux : ce qui compte est qu’ils soient moins chers…
Un autre fléau pour notre métier, c’est le « co-voiturage ». Il ne s’agit pas de « co-voiturage » comme on pourrait l’imaginer, c’est-à-dire plusieurs personnes faisant ensemble le déplacement vers une exposition avec leurs chiens respectifs, et se partageant simplement le coût du trajet. Ce que l’on désigne ainsi, c’est la situation où une personne (un particulier ou un éleveur) se rend à une exposition avec ses chiens, mais également avec un ou plusieurs chiens d’autres personnes qui ne sont pas du voyage. C’est elle aussi qui présente ces derniers, moyennant finance bien sûr, mais « sous le manteau ».
Comme il n’y a aucun contrôle, il est peu probable que les personnes peu scrupuleuses soient davantage inquiétées dans un futur proche - d’autant qu’il n’existe pas d’organisme regroupant et visant à représenter les acteurs de la profession. Un couple de handlers français a bien essayé de créer un syndicat, mais c’est tombé à l’eau…
La France est bien en-dessous de la moyenne européenne, et très loin des États-Unis, de l’Amérique du Sud ou de l’Asie. Même si là-bas il n’y a pas non plus de gain financier direct lors des expositions, elles sont nettement plus professionnelles, et le handling est nettement plus courant.
Je suis effectivement en contact avec certains de mes confrères, surtout par affinité. On arrive souvent les premiers sur les expositions, on repart souvent les derniers et on vit les mêmes choses : cela nous rapproche.
J’ai donc des amis handlers partout, en France comme à l’étranger, et estime que c’est important. En effet, il est courant que nous échangions et nous entraidons pendant l’évènement, mais surtout une fois celui-ci terminé : cela me permet d’évaluer ma façon de travailler, mon matériel, et d’échanger des tuyaux parfois précieux pour améliorer ce qui peut l’être. Par exemple, mon véhicule actuel est fait sur le modèle de celui d’un confrère français qui m’a conseillé dans mes choix de conception.
Je pense que c’est d’autant plus nécessaire que c’est en faisant corps ensemble que nous arriverons un jour à faire reconnaître notre métier, même s’il n’existe pas pour l’instant d’instance représentative des professionnels du handling – que ce soit au niveau français, européen ou mondial.
Oui, c’est clair que nous ne présentons pas tous de la même manière, et que nous n’avons pas tous les mêmes rapports avec les chiens ou avec les personnes.
Un bon handler doit être harmonieux dans ses déplacements avec son chien. Il doit savoir mettre en valeur le binôme qu’il constitue avec l’animal, et faire en sorte que ce dernier donne l’impression d’agir et se déplacer sans contrainte, comme s’il n’était pas tenu en laisse.
Il doit aussi être élégant : l’apparence et la tenue vestimentaire sont très importantes, au même titre qu’on n’imaginerait pas Miss France défiler en survêtement et avec les cheveux gras…
Cela dit, le plus important pour trouver un bon handler, c’est de prendre le temps de faire sa connaissance autrement qu’en le voyant évoluer dans un ring. Il sera un membre de votre équipe, et pour qu’une équipe fonctionne il faut qu’il y ait une bonne entente…
C’est difficile de répondre, mais de façon générale, je respecte mes pairs. Je dois être la plus « jeune » des anciens (en termes d’expériences dans le métier) et ai l’impression d’être moins respectée par certains d’entre eux, mais cela ne me pose aucun souci.
En France, pas mal de petites jeunes (essentiellement des filles, donc) se sont lancées ces derniers temps, et font les choses comme il faut. Je considère que cela est positif, car il faudra qu’on soit un certain nombre pour faire reconnaitre notre métier. Certaines ont pris contact avec moi, pour avoir quelques renseignements, et je leur ai répondu avec plaisir. Malheureusement, cela n’a pas été le cas de tous les « anciens »…
En parallèle, comme le prix est une donnée essentielle pour de nombreux clients, on voit aussi apparaître régulièrement des nouveaux acteurs qui ne font pas vraiment les choses dans les règles… Par exemple, ils emploient généralement leur véhicule personnel, mais faute de moyens (du fait d’une tarification trop basse) ne sont pas en mesure de le réparer ou le remplacer le jour où il y a un souci majeur. Ils ont alors de grandes chances de cesser leur activité du jour au lendemain...
Le toilettage joue un rôle important dans le résultat final lorsqu’on présente un chien en exposition : il permet de mettre en avant des qualités et au contraire de masquer certains défauts. Donc oui, un handler doit être toiletteur. À défaut, il doit être assisté d’un toiletteur, mais l’équation économique devient alors plus compliquée…
Faute de compétences en la matière, certains prennent le parti de ne présenter que des races ne nécessitant pas de toilettage, mais cela revient à faire une croix sur toute une partie de la clientèle potentielle. Financièrement, ce n’est donc pas très judicieux. En outre, les races nécessitant d’être toilettées sont souvent les plus spectaculaires, et leurs représentants ont donc davantage de chances de remporter des prix – avec à la clef un gain de visibilité pour le handler.
En tout cas, il est certain qu’un toiletteur chevronné n’est pas forcément un bon handler. En effet, il travaille avec un chien statique, alors que dans le handling ce dernier est en mouvement.
Cela dit, il est assurément plus facile pour un excellent toiletteur de devenir un excellent handler plutôt que l’inverse…
C’est un métier dur et exigeant. En effet, tout le travail à la maison est relativement facile, et on a le privilège d’organiser ses journées comme on le souhaite. Néanmoins, dès que l’exposition arrive, c’est une autre histoire…
D’abord, il faut toiletter tous les chiens présentés le plus tard possible avant de partir, ce qui implique généralement une dizaine de séances de toilettage dans les 36 heures maximum avant le départ.
Puis vient le moment de prendre la route, avec tous les aspects logistiques que cela implique : chargement, déchargement, conduite, pauses afin de permettre aux chiens de se détendre…
Ensuite, durant le week-end d’exposition, il faut leur accorder beaucoup d’attention, ne pas oublier qu’ils n’ont pas choisi de passer la majorité de leur temps enfermés dans une caisse de transport et ne s’en réjouissent pas forcément. Même si on est soi-même fatigué, il faut prendre le temps de les promener et leur permettre de se détendre tard le soir avant de se coucher, très tôt le matin avant d’arriver à l’exposition. L’événement en lui-même est une succession de courses toute la journée, ce qui explique que je parcours à chaque fois près de 20 km à pied.
De fait, entre le moment où on quitte la maison et celui où on rentre, je ne dors que 5 heures par nuit en moyenne… Dans ces conditions, on comprend mieux d’ailleurs pourquoi l’assistance de mon compagnon est indispensable ; la réussite et la longévité reposent sur notre complémentarité et notre complicité. D'ailleurs, ce métier est clairement plutôt à envisager en duo qu’en solo…
Quel que soit le pays, le métier de handler professionnel n’a pas forcément évolué au cours des dernières décennies, ne serait-ce que parce que le nombre de personnes qui l’exercent est des plus limités. En France, même si nous sommes désormais une dizaine, nous étions pendant longtemps moins de cinq…
Cependant, depuis le milieu des années 2010, on voit de grosses évolutions du côté du matériel – et plus précisément des équipements du véhicule. Ainsi, les professionnels sont en mesure de prendre encore mieux en compte le bien-être des animaux et de proposer des solutions de qualité pour les week-ends d’expositions, tant en ce qui concerne leur transport que leur hébergement. Ceux qui effectuent correctement leur travail (et j’estime en faire partie) possèdent aujourd’hui des véhicules isolés, climatisés même à l’arrêt la nuit, connectés… Le hi-tech est donc au service du confort de notre équipe : même sans y être, je peux voir à tout moment ce qu’il se passe dans le véhicule, connaître la température qu’il y fait et être alertée sur mon smartphone si celle-ci dépasse un certain seuil ou par exemple si l’alimentation électrique est coupée, etc.
Le pourcentage de chiens présentés par un handler dans les expositions canines demeure largement minoritaire ; je dirais qu’il se situe aux alentours de 5%. Cette proportion progresse légèrement au fil des années, mais reste donc très faible.
Je l’espère sincèrement, car j’aimerais qu’il soit davantage encadré. Toutefois, pour le moment, cela n’en prend pas le chemin.
Pour que notre métier puisse évoluer et être réglementé comme il se doit, il faudrait que les expositions se professionnalisent. Or, pour l’heure, nous exerçons dans un monde associatif où nous dépendons de bénévoles. La crise du Covid-19 nous a d’ailleurs fait toucher du doigt les limites de ce mode de fonctionnement : la reprise a été assez poussive, car pendant longtemps nombre d’événements ont continué à être purement et simplement annulés faute de bras.
La première chose à conseiller à quelqu’un qui envisagerait un jour de devenir handler professionnel est d’accumuler déjà pas mal d’expérience en tant que simple participant. Cela lui permet de confirmer son intérêt pour le monde des expositions, de prendre conscience de tout ce que ce métier implique (en bien comme en mal) et de confirmer – ou pas - l’intérêt pour ce métier. De fait, je n’ai jamais vu de personnes extérieures à cet univers se lancer comme handler.
Ensuite, pour franchir le pas, je lui conseillerais de se rapprocher d’un professionnel déjà établi et d’apprendre le métier à ses côtés. En fonction du pays, cela peut être plus facile à dire qu’à faire : aux États-Unis, les handlers professionnels ont quasiment tous un assistant, mais ce n’est pas du tout le cas en France, par exemple.
Mieux vaut en tout cas apprendre aux côtés d’une personne déjà installée que de se lancer en proposant à des amis ou connaissances de présenter gratuitement leur animal, simplement pour acquérir de l’expérience. En effet, il serait alors bien difficile de demander aux gens de commencer à payer le moment venu…
Et pour finir, je lui rappellerais que la présentation d’un chien dans un ring ne représente que 10% du métier : elle n’est que l’aboutissement d’un travail et d’une relation quotidienne.